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Publié par BALCHOY

Mais cette croyance est loin de satisfaire le condamné qui ne peut renoncer à ses aspirations à l’immortalité personnelle :

         « l’incertitude et sa répulsion devant cet inconnu qui allait surgir

         immédiatement était effroyable » (64)

 

 

         Ce malaise qu’il va ressentir encore plusieurs années au bagne lui fait assez curieusement du bien en le plongeant au cœur de la réalité et en lui faisant saisir la valeur de toute vie, si misérable soit-elle !

 

 

« Si l’on pouvait me rendre la vie ! Quelle éternité ! Et tout ceci serait à moi. Je convertirais chaque instant en siècle, je n’en perdrais pas un seul, je compterais, j’épargnerais chaque minute. » (65)

 

        

 

         Aux travaux forcés en Sibérie, une triple révélation va peu à peu le transformer : la redécouverte de la personne du Christ, du Peuple et de la Russie. L ’ Evangile, seul livre autorisé au bagne le ramène à la foi de son enfance, mais si l’on en croit ses dires, c’est surtout du peuple russe lui-même, de ce mélange de forçats de toutes espèces, qu’il retrouve le Christ en son âme.(66)

 

 

         Parler de conversion à ce stade serait prématuré. Sans doute l’athéisme s’éloigne de lui, sa rupture avec les milieux socialistes est consommée et son amour pour le Christ est acquis une fois pour toutes.

 

         Dieu même lui semble une nécessité pour donner un sens à l’univers, mais il  avoue être encore « un enfant du siècle, de l’incroyance et du doute, à ce jour et sans doute jusque la pierre tombale. Sa soif de croire, d’autant plus grande qu’il s’y trouvent d’arguments contraires, lui cause d’atroces tourments. » (67)

 

 

         Le problème de l’existence de Dieu se pose à lui en termes nouveaux. S’il est vrai que sans principe premier, tout est absurde à ses yeux, ne pourrait-on pas dire de même : le mal règne en notre monde –n’est-ce pas tangible au bagne ! Donc il n’y a pas de Dieu. L’absurde ne peut être vrai et pourtant il « est ». Ces ceux certitudes contradictoires lui ravagent le cœur. Au spectacle du désastre et de la souffrance du monde, le doute nécessairement ressurgit. Mais la personne du Christ échappe toutefois à ce doute.

 

 

         « Si la vérité était en dehors du Christ, je préférerais rester avec le Christ qu’avec la Vérité. »(67)

 

 

La vie personnelle de l’écrivain, attristée par l’échec d’un premier mariage, obscurcie par des crises d’épilepsie de plus en plus fréquen,tes, le pousse dans la voie d’un certain pessimisme. Si l’on excepte deux nouvelles satiriques sans grande portée, les œuvres significatives des années « soixante » révèlent le tourment intérieur qui le ronge et l’accable.

 

Les « Souvenirs de la maison des morts » et surtout « Humiliés et offensés » nous peignent implacablemen,t le mal à l’œuvre dans le monde, si puissant même qu’il écrase le bien. Dieu, lorsqu’il en est fait mention y apparaît  comme un justicier sévère.

 

 

« Quand le père maudit, Dieu châtie aussi (68)

 

« Il me pardonnerait, mais Dieu, pas ! » (69)

 

 

Tout se conjugue, il est vrai, à cette époque, contre l’écrivain. Sa femme atteint de phtisie se meurt peu à peu. Les créanciers ne cessent de le poursuivre. On a un écho de cette grave crise moral dans le sombre récit : « Le sous-sol »(1864) où Dieu, semble-t-il, ne se manifeste plus que par les terribles conséquences de son absence, même si la censure a écarté quelques allusions religieuses considérées comme inopportunes dans un récit si osé. (70) Le Christ, l’ultime consolateur reste lui-même caché.

 

Une fois de plus les évènements vont faire mûrir sa pensée. Le carnet, écrit devant le corps de sa femme, Macha, décédée le 15 avril 1864, après d’atroces souffrances, le pousse à se pencher une fois de plus sur le problème de la mort.

 

 

« Macha est étendue sur la table : reverrai-je Macha ? »  (71)

 

 

Son mariage a été un échec. « Aimer un homme comme soi-même, conformément au commandement du Christ, c’est impossible à cause de la loi de notre nature et de l’égocentrisme de notre « moi ». Le Christ seul y est parvenu, mais il était l’idéal éternel. Grâce à son exemple, sans doute arrivera-t-on un jour à réaliser la grande exigence évangélique, dans l’harmonie avec le grand Tout, c’est à dire Dieu. Mais cela ne se réalisera qu’au point ultime, c’est à dire là où l’évolution de l’homme aura atteint son terme. Le sens de la vie ne se trouve pas sur terre, mais dans l’autre monde. Il est absurde de penser que, le but atteint, l’homme retombera dans le néant. L’immortalité est donc une nécessité, puisqu’elle seule donne un sens à la vie humaine et consacre son effort vers l’idéal inaccessible ici-bas. Mais qu’est-ce que cette vie future, où selon l’Ecriture, on ne prendra plus femme  et ne convoitera plus ? Où sera-t-elle ? Au cœur de la Synthèse universelle, c’est à dire en Dieu ? Le tort des athées est de nier un dieu et une vie future qui évidemment n’existent pas sous la forme terrestre qu’ils imaginent. La nature de Dieu est diamétralement opposée à la notre. (72)

 

 

Nul doute, que Dostoïevski subissait encore dans le « carnet de Macha » l’influence Hégelienne, très en vogue dans la société russe de son époque, tout en gardant sa liberté d’appréciation. Il hésite encore manifestement entre un certain panthéisme et la tradition russe orthodoxe

 

 

En tout cas, les réflexions amorcées par lui à l’occasion de la mort de sa femme éclairent bien sa problématique. La méditation du romancier part d’un problème humain – en l’occurrence son mariage malheureux – pour aborder la question religieuse. L’auteur prend de plus en plus conscience de la nécessité absolue d’entamer une vie nouvelle fondée sur des principes solides. Pressentant les exigences morales, qui en découleront pour lui, il se sent désemparé et l’angoisse le saisit devant cet avenir mystérieux où il s’engage peu à peu.

 

 

« Je suis resté seul et j’ai eu peur. Ma vie était brisée en deux. Dans la première moitié, était tout ce pour quoi j’avais vécu et dans la seconde encore inconnue tout était neuf, étrange. Autour de moi, j’ai senti le froid et le vide. «  (73)

Yvan Balchoy

balchoy@belgacom.net

 

 

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