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Publié par YVAN BALCHOY


Des Israéliens engagés pour la paix quittent leur pays : "Il n’y a plus de place pour nous en Israël"

Eléonore et Eitan Bronstein, dans leur nouvel appartement à Ixelles : "D’autres Israéliens comme nous, juifs non-sionistes, sont aussi partis, à Berlin ou ailleurs." © D.F.
Daniel Fontaine
 Publié le dimanche 21 juin 2020 à 08h55
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Un aller simple Tel Aviv-Bruxelles. C’est le billet qu’Eitan et Eléonore Bronstein ont acheté il y a quelques mois, en compagnie de leur fils de trois ans. A 60 ans, Eitan a pourtant passé pratiquement toute sa vie en Israël. Il y a étudié, y a fait l’armée, y a travaillé. Eléonore y a vécu 15 ans comme chercheuse et militante.

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Tous deux se sont battus pour faire évoluer le regard des Israéliens sur leurs voisins Palestiniens, leur histoire et sur la manière dont Israël se comporte en puissance coloniale dans la région. Un combat devenu au fil du temps de plus en plus difficile, de plus en plus dangereux, de plus en plus désespéré.

Menaces de mort
"On a assisté ces dix dernières années à un rétrécissement des paroles alternatives en Israël, constate Éléonore. On a reçu des menaces de morts. Des portraits de collègues d’autres ONG ont été affichés à de Tel Aviv, avec la mention 'Traître', leurs coordonnées et des menaces de mort. Travailler pour les droits humains, c’est considéré comme un acte déloyal à Israël. Si on ne soutient pas le projet sioniste tel qu’il est mené aujourd'hui, on serait déloyal au pays."

Et il n’y a pas de perspective d’une évolution significative : l’opposition politique aux différents gouvernements conduits par Benjamin Netanyahou ne propose pas de réelle alternative sur ces questions. La paix, même pour les partis de gauche, n’est plus un sujet porteur. L’actuel projet d’annexion de la Cisjordanie occupée ne suscite que peu de débats.

Un tank en rouleaux de papier toilette
Eléonore et Eitan Bronstein ressentaient cet étouffement progressif de leur parole depuis longtemps. Mais un événement a provoqué le signal d’un départ urgent du pays, pour eux et leur fils de moins de trois ans. C’est un détail presque banal, un bricolage d’enfant. Eléonore y a vu un signal d’alarme.

"Un jour, je suis allée récupérer Hadrien au jardin d’enfants, raconte-t-elle. L’école était entièrement décorée de drapeaux israéliens et de cartes d’Israël comprenant les territoires palestiniens. Arrivée en classe, je manque de tomber lorsque je découvre que, comme activité manuelle, a été proposé aux enfants de fabriquer des tanks en rouleaux de papier toilette. Des tanks de guerre, avec le drapeau israélien."

"J’ai vu la directrice, qui ne comprenait pas pourquoi j’étais choquée. Et face aux autres parents, je me suis sentie seule au monde. Ce jour-là, j’ai dit à Eitan : je vais partir, je ne vais pas élever mon fils ici. C’était la ligne rouge."

"Moi, je pouvais vivre là en tant qu’adulte qui fait des choix conscients. Mais je ne voulais pas que mon fils soit confronté à un décalage permanent entre ce qu’on dit à la maison et ce qu’il allait entendre à l’école, chez les copains, dans la rue et dans les livres pour enfants. Je voulais qu’il grandisse comme une enfant comme les autres."

Une présence militaire normale
En tant qu’Israélien depuis sa petite enfance, Eitan a vécu différemment cet épisode du bricolage militariste à l’école maternelle. "La différence entre nous, c’est que j’ai l’habitude de ce genre de chose. Quand j’ai vu les tanks, bien entendu, ça m’a attristé et fâché. Mais pour moi, c’est normal. L’armée amène parfois de vrais tanks en ville pour permettre aux familles de monter et jouer dessus."

"Cette présence militaire dans nos vies depuis l’enfance est normale en Israël. Mais j’ai compris la réaction d’Eléonore. Je l’ai soutenue pour rechercher autre chose à Bruxelles."

Il y a toute notre vie dans dix valises

Ce soir-là, Eléonore a allumé son ordinateur et a commencé à chercher des opportunités d’emploi ailleurs : "Je savais que ce serait à Bruxelles. C’est là que j’avais envie d’établir ma famille. Six mois après, j’étais recrutée. On a déménagé avec 10 valises. Il y a toute notre vie dans 10 valises. Tout ça s’est fait très rapidement. Et il n’y a pas un jour où je regrette d’avoir fait ce choix. Mon fils grandit à Ixelles. Il parle de chevaliers et de dragons avec ses copains, et c’est bien comme ça."

"Eitan m’a fait le plus beau des cadeaux en acceptant de quitter Israël, sourit Eléonore. Je sais ce que ça signifie pour lui. C’est aussi un aveu d’échec. Ça veut dire qu’on n’arrive pas à trouver notre place en tant que militants progressistes, anticolonialistes, dans cette société."

La peur de "se faire casser la gueule"
Eléonore reconnaît cependant qu’ils ont toujours pu exprimer leurs points de vue, mener des actions dans la rue, aller à la télévision, dire des choses radicales sur le colonialisme israélien. Elle a parfois craint de "se faire casser la gueule", mais ça n’est jamais arrivé.

Leur démarche était précisément de faire entendre un récit alternatif, une histoire qui suscite un rejet spontané lorsqu’elle est racontée par des Palestiniens. Venant d’Israéliens, la possibilité d’écoute, d’identification est plus grande. Mais cette démarche a un prix pour ceux qui la portent, celui d’être considérés comme des traîtres à leur pays.

"Il y a une réelle stigmatisation des militants", déplore Eléonore. "Il y a des appels au meurtre sur les réseaux sociaux, avec des menaces sur les enfants de ces gens. C’est très violent. Il y a de moins en moins de place pour des gens comme nous. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a plus."

L’hémorragie des militants et des intellectuels de gauche
Ce sentiment d’être progressivement rejetés par la société israélienne et de devoir finalement partir, Eléonore et Eitan ne sont pas les seuls à l’avoir ressenti. Le quotidien Haaretz a récemment consacré une longue enquête à ce phénomène, titrée "Après avoir perdu espoir dans le changement, de grands activistes et universitaires de gauche quittent Israël".

En partant de l’histoire des deux Israéliens venus se réfugier à Bruxelles, Haaretz en évoque de nombreux autres qui faisaient partie de la gauche radicale et qui ont quitté le pays au cours de la dernière décennie. Ils avaient fondé ou milité dans des organisations comme B’Tselem, Breaking the silence, Coalition of women for peace, 21st Year, Matzpen… Certains sont des universitaires de premier plan qui ont dû émigrer pour pouvoir poursuivre leur carrière académique.

Un militant comme Eitan a, par exemple, peu de chance d’être engagé comme enseignant d’histoire ou de géographie dans une école. Les établissements ne prennent pas le risque de compter un professeur non-consensuel dans leurs rangs. Beaucoup d’Israéliens engagés pour la paix se retrouvent ainsi professionnellement bloqués.

Eléonore cite le cas d’Ariella Azoulay, "une des plus grandes penseuses de ce siècle". Son cursus académique a été interrompu par l’université de Bar Ilan "en raison de ses opinions politiques". Elle a fini par accepter un poste dans une des meilleures universités américaines et a quitté Israël.

Le privilège du second passeport
"Quand il n’y a plus de place pour des gens comme nous, il faut soit rentrer dans le rang, soit utiliser ses privilèges, soit partir", constate Eléonore. Et la possibilité de partir grâce à un passeport européen, c’est aussi un privilège. Les Juifs originaires du monde arabe (sépharades) ne disposent en général que du passeport israélien. Ils n’ont pas cette opportunité d’émigrer.

Pour poursuivre une carrière universitaire en Israël, les militants de gauche doivent cacher leurs opinions et leurs activités. Certaines organisations nationalistes, comme NGO Monitor ou Im Tirtzu se consacrent à les débusquer. Elles établissent des rapports sur les professeurs soupçonnés de déloyauté.

Si un enseignant utilise le mot "nakba", il se fera critiquer pour ne pas avoir utilisé le vocabulaire voulu. Mais les militants refusent en général de trop se plaindre : ils estiment que ce qu’ils vivent représente encore peu de choses au regard de ce que subit la minorité palestinienne vivant en Israël, discriminée en matière d’emploi ou d’accès à la propriété.

Eitan a également ressenti cette diminution de l’espace disponible pour le message qu’il tente de porter : "Il y a de moins en moins de place pour parler d’une autre possibilité de vivre ensemble, Juifs et Palestiniens. Par rapport à il y a 20 ans, il y a un grand désespoir. Des gens comme nous, Juifs non-sionistes, sont déjà partis à Berlin ou ailleurs. D’autres sont toujours en Israël. On peut toujours y faire certaines choses. Mais sans espoir d’un réel changement vers la paix."

Une enfance israélienne au kibboutz
Son histoire personnelle est pourtant semblable à celle de nombreux Israéliens. Eitan s’appelait en fait Claudio Bronstein-Aparicio, lorsqu’il est né en Argentine. En 1965, il a 5 ans lorsque ses parents émigrent en Israël, plus attirés par l’organisation collectiviste des kibboutz que par le projet sioniste. Il était alors habituel pour les immigrants de prendre un prénom israélien. Claudio devient Eitan.

Il grandit donc dans un kibboutz, étudie en hébreu et fait son service militaire au sein de l’armée israélienne, sans se poser de questions. Les questions sont venues plus tard. "J’ai changé d’identité politique. Je suis devenu non-sioniste", explique-t-il. Il a cinq enfants, dont l’un avec Eléonore. D’autres vivent en Israël.

Faire connaître la nakba en Israël
En 2001, Eitan fonde une ONG destinée à faire connaître le nakba palestinienne aux Israéliens. La nakba (la catastrophe, en arabe) désigne l’expulsion de 750.000 Palestiniens de leurs maisons, de leurs villages, au cours de la guerre qui a suivi la création de l’Etat d’Israël en 1948. Eitan a dirigé cette ONG baptisée Zochrot pendant 10 ans. En 2015, il crée avec Eléonore une nouvelle organisation, De-Colonizer, qui se définit comme un laboratoire qui entend montrer la nature coloniale du régime israélien.

Evidemment, son travail pour faire connaître et comprendre la nakba détonne au sein d’une nation dont le "devoir de mémoire" est tout entier consacré au génocide des Juifs par les nazis.

"La mémoire collective est importante dans toutes les sociétés, tous les Etats nations en ont besoin pour créer une identité nationale, explique Eitan. En Israël, la Shoah est une composante majeure de l’identité nationale. Il y a aussi ce que l’on appelle la guerre d’indépendance de 1948, que l’on apprend selon le nom du calendrier hébreu, Tashah, plutôt que 1948. On connaît nos 6000 victimes juives, on sait que les Arabes nous ont attaqués et que l’on a gagné la guerre."

Mais la plupart des Israéliens ignorent totalement ce qui est arrivé aux Palestiniens, leur narratif de ces événements. "La nakba est une expulsion systématique de civils par des unités militaires armées, poursuit Eitan. L’expulsion s’est passée durant la guerre, mais elle n’était pas liée aux opérations de cette guerre entre Israël et les pays arabes voisins. L’armée israélienne a perdu plusieurs batailles, mais pas contre les Palestiniens qui étaient trop faibles pour offrir une vraie résistance. Ils ont été mis dehors, 600 lieux ont été détruits et 750.000 Palestiniens, expulsés. Cette histoire n’était racontée à personne en Israël."

Pourtant, ceux qu’on appelle les nouveaux historiens israéliens ont établi les faits. Zochrot vise à faire connaître cette histoire au public israélien, en la publiant en hébreu.

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ttps://www.rtbf.be/info/monde/detail_des-israeliens-engages-pour-la-paix-quittent-leur-pays-il-n-y-a-plus-de-place-pour-nous-en-israel?id=10524287