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Publié par BALCHOY



ils auront tué l'avenir avant l'aube
ils auront violenté les femmes dans le monde entier
les femmes qui portent leur eau leur nourriture leur terre
les femmes qui portent leurs enfants
ils auront transformé la savane
qui était belle comme une échine de gazelle
en poubelle génétiquement modifiée et pleine de carcasses d'oiseaux
réduit les enfants à l'état de travailleurs forcés
ou de soldats explosés à la came
ils auront fait des hommes qui aimaient les hommes des pantins roses et prêts pour le massacre
ils auront transformé les Afrique en champs de mort
en terrains de chasse pour les émirs en déserts de rocaille en fleuves charriant les cadavres
les Etats ils en auront fait des fantômes armés de bâtons
des fantômes soulevés par les vents de la misère et de la révolte
ils auront fait de la révolte une aigreur une haine une fistule habillée de génie
Céline sera leur maître à penser à grogner à manier les mots comme des couteaux sales
car les salauds d'hier ont toute leur raison d'être aujourd'hui
et ne sont pas l'enjeu d'académies un peu rances
ils reviennent d'ailleurs avec les mêmes obsessions les mêmes rengaines
ils reviendront avec le fond des âges
les terreurs religieuses les âpres fêtes du sang et du feu
ils sont hantés par ce qu'il y a d'humain en eux
qui les fait ressemblant aux anciens esclaves aux ombres juives d'Auschwitz
aux femmes qui dansent sur les violons
aux paysans des hauts plateaux de l'Atlas aux Indiens des favelas pleines de merde
aux Intouchables aux moines des montagnes qui tournent sur eux-mêmes
ils haïssent cette part d'humanité chez eux cette humanité des autres
ils campent dans leurs villages dans leurs quartiers dans leurs rues comme à la frontière du monde
ils souillent leurs draps dans des nuits où les couteaux s'allongent ils jouissent de la mort
ce sont les amants de la mort
et qui a dit que la vie devait triompher à la fin
ils auront assassiné des siècles et des siècles de vie humaine
croisades pogroms génocides guerres massacres bénédictions
les voilà sur cette terre dévastée par la mémoire
cette vieille putain d'Europe qui rêvait de paix depuis 60 ans
cette ancienne prostituée que la misère gangrène
que la richesse indolente de quelques-uns corrompt
les voilà qui relèvent le mufle et qui rient
tandis qu'à leurs pieds des milliers d'hommes et de femmes noirs se noient
et pour eux ce n'est pas assez
pas assez des prisons pour innocents pas assez des charters pour femmes volées
pas assez des quartiers pourris des caves où tentent de dormir les plombiers clandestins
les plongeurs les femmes d'ouvrage les constructeurs de villes les arpenteurs des soubassements

nous deux nous vivons côte à côte depuis des années
des matins bleus aux soirs diffus
des hivers et des hivers de front baissé
et des étés de rire orange
sans que nous y puissions rien nous représentons pour ces cohortes de soldats congelés
quelque chose comme le diable
nous sommes un affront à leur monde froid
parce que nous sommes du même sexe et de couleurs différentes
et que nous partageons nos jours de pain frais
nous deux nous ne pouvons pas simplement assister au retour de ces chiens à la gueule noire
sans nous demander ce qu'il adviendra de nous
et de notre monde de bleuets de rossignols d'orées de clairières
et de jours gris aussi
mais nos jours gris sont des marguerites
sur un pré de fraîcheur et de vent
de notre monde rouge
de notre monde de luttes de rivières de foules de huées
où crier est une respiration et non un étouffoir
ce qu'il adviendra de nos livres de nos tableaux de nos chansons
ce qu'il adviendra de nos voyages et de nos amis à Rabat et à Cotonou
des mers profondes et bleues désormais souillées débordantes
des navires qui battent pavillon d'espoir

c'est l'été
nous partirons
nous irons à la rencontre d'autres enfants amoureux des théâtres et des cirques
dans les jardins publics nous jouerons aux marelles du futur
incertains de l'issue mais sûrs de nos coeurs
le soleil baignera nos fronts et nous sourirons à la vie
nous sourirons aux passants
nous boirons le vin du pardon
nous romprons le pain de l'espoir
nous goûterons aux olives amères du combat
avec les Zapatistes et les Chavistes
avec les syndicats clandestins en Chine
et les électeurs communistes d'Afrique du Sud
avec les prisonniers laïcs d'Egypte
les peintres aborigènes
les paysans organisés
les militants grecs de la vraie gauche
celle dont le réalisme se nourrit de la réalité du peuple et non de la soupe qu'on lui sert
toi et moi nous nous baguenauderons dans les rues à Bruxelles
désertes et chaudes
nous imaginerons des corridas où les taureaux dansent
où les toreros rentrent chez eux sans plaisir
nous survolerons des Camargue pleines de chevaux bleus à la course de nuages
nous irons au grand marché près du grand fleuve où nous achèterons des plats émaillés
peints de poissons et d'oiseaux déployés
que nous remplirons de légumes frais et de viande grillée
nous boirons des eaux rugueuses et claires
nous essayerons de vivre avant la mort
avant que se présente le combat
avec la mort.

 

 

SERGE NOËL

 

 

 

yvanbalchoy13@gmail.com

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