QUAND EN 1891 UN BELGE RACONTE UNE REVOLUTION AU CHILI (PARTIE I) - REEDITION
Dans de vieux documents hérités d'Alphonse Beeckman, lié à ma famille, vice-président du tribunal de Louvain en 1891, j'ai trouvé cette lettre racontant une révolution au Chili racontée par un Belge témoin sur place des évènements. J'aurais envie de répéter avec beaucoup d'anciens : " Rien de nouveau sous le soleil".
Ici nous sommes en guerre depuis sept mois, le duel de la baleine et du lion, de l'escadre et de l'armée. Il serait trop long de refaire l'histoire de cette révolution sui generis et de relater les incidents bien typiques de la lutte.
Le pouvoir législatif ( (Congrès et Sénat) a refusé les budgets à l'Exécutif qui ne voulait pas renoncer à la candidature officielle.
Sous le régime actuel, les élections sont des farces : le pouvoir est ce qu'il y a de plus absolu, de plus centralisé ; le Président nomme à tous les emplois et mandate toutes les dépenses; ses ministres sont ses secrétaires (c'est le titre officiel) non responsables ; toute l'administration est politique et les mesures les plus arbitraires se prennent sans contrôle.
En 91, la Présidence change sans réégibilité, mais le candidat était désigné. Il déplut au Congrès et Sénat qui furent presqu'unanimes à le repousser;
Pour empêcher son élection, on fit une loi électorale et pour la compléter une loi municipale. - Véto du Président ; refus du Budget, seule arme du Congrès.
La constitutions permet en ce cas au Président d'appliquer le budget précédent sauf pour la force armée.
Il passa outre et le 1er janvier il proclama la dictature.
L'escadre se mit du côté du Congrès et la révolution fut déclarée sans que le peuple se soit, le moins du monde, ému ; il reste complètement indifférent.
L'escadre s'empara très facilement du Nord, inaccessible par terre; elle ferait de même dans le Sud, au-delà des chemins de fer. Elle eut à former une armée, se procurer des armes et des munitions.
De son côté, le Président recruta 30 000 volontaires car il n'y a pas de souscription. Pour cela il offrit une prime de 30 piastres qui attira partie des désoeuvrés. Puis on donna des concerts en plein air dans les villes et, au moment voulu,, razzia de tout ce qui peut porter les armes. Encore, on emmena les ouvriers des chantiers publics sous prétexte de besogne urgente à la ville voisine et on les enferma dans les casernes - Puis on arrêta les trains pour saisir tout ce que contenaient les wagons de 3ème classe ; on fouilla toutes les exploitations agricoles, usant du lazo et du fusil contre les récalcitrants, de façon à n'oublier aucune ressource en hommes. En quelques semaines, ces volontaires par force deviennent d'excellents soldats par goût, dit-on.
Comme toutes les classes élevées sont avec l'opposition, le gouvernement a supprimé les journaux, les télégraphes, téléphones, clubs, universités, collèges et même les tribunaux, bien que les juges soient inamovibles.
(à suivre)
Lettre de L.C. du 3 août 1891
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