BRUXELLES, JE T'AIME (CARMEN PEREZ)
Bruxelles, je t’aime
Mons, 1957, un jour de bise,
Nous descendîmes du train avec nos vieilles valises.
Venus du sud, de Madrid ou d’ Aragon,
nous arrivions en Belgique pour extraire le charbon.
Pour ces espagnols cinq années passèrent,
petit à petit les mines fermèrent.
Je laissais à Mons mes rêves d’enfant et mes merveilles,
mes jeux sur les terrils, mes cueillettes de mûres et de groseilles.
Bruxelles nous accueillit, cahin-caha.
Nous étions sept; dans un trois pièces, on se logea.
Bruxelles, pour moi, tu ne fus pas belle,
de mon envie de vivre, tu en fis une gabelle.
Saint-Gilles, point pour moi ne fut une idylle.
Mes tendres années souvent connurent la bile.
Pardonne-moi, Bruxelles, je n’étais qu’un enfant.
J’ai appris à te connaître, mais j’y ai mis le temps;
La vie dure de mes parents ainsi que leurs calottes
m’ont rendue souvent quelque peu linotte.
C’est ainsi que de la vie, j’ai appris à faire le tri.
De mes parents, j’avais honte, de Bruxelles, le mépris.
Je les rendais responsables, j’avais toujours de vieux cartables,
mes notes de classe humiliantes, ainsi que ma tenue,
n’étaient que par hasard, souvent passées en revue.
Mes parents peu scolarisés les ignoraient,
Bruxelles et mes profs, indubitablement, m’en punissaient
et pour les enfants de l’école, je m’en souviens,
inlassablement ils me fredonnaient cet odieux refrain
‘C’était une espagnole de la Marolles,
qui jouait des castagnettes avec ses têtes’.
Bruxelles, tu vas me dire : «‘Que veux-tu que l’on fasse,
Où que tu vives, l’on chante toujours des chansons d’amour
et des chansons salaces.
L’amour, c’est pour les dames de Pompadour,
l’humour, c’est pour les dames de petite classe,
et moi, c’est chez les prolétaires que t’as creusé ma place,
mais je t’en honore et te rends grâces.
car de l’école primaire, où je n’étais qu’un cancre;
je suis rentrée à la fabrique pour oublier mes tâches d’encre.
C’est à l’usine que j’ai appris la scolarité.
A Gardi, j’ai rencontré la solidarité
Contre l’exploitation et le racisme, avec eux, j’ai manifesté.
Bruxelles, ma ville, je commençais à t’aimer.
De la rue aux quatre bras et ses artères,
c’est ton marché Bara que je préfère.
Du Parlement arrogant au Marché Commun,
c’est Schaerbeek le plus cosmopolitain
tes rues populaires, avec leurs belles places,
m’ont enseigné, bien clair, qu’il y a deux justices de classe,
l’amnistie pour les riches, le silence pour les masses.
Oui, je suis partisan : ‘pour une commune propre’
contre les capitalistes et les racistes malpropres,
oui, je veux des communes riches,
mais en prenant l’argent chez les riches.
Bruxelles, j’ai commencé à t’aimer
le jour où je me suis politisée
Carmen Perez
Octobre- novembre 1996
yvanbalchoy13@gmail.com