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Publié par JACQUES ALLARD


Réflexions et vécu d’un médecin communiste

Je remercie Georges Gastaux de m’avoir adressé avant publication cette contribution intéressante et éclairée. Je profite de l’occasion pour y apporter quelques opinions personnelles en tant que médecin ayant eu affaire et ayant toujours affaire avec des situations de fin de vie, situations difficiles, toujours uniques, auxquelles on se fait, sans jamais s’habituer :

– Je n’ai pas d’opposition de principe à accéder à une demande de fin de vie de la part d’un patient, cela peut relever d’un constat rationnel et d’une décision mûrement réfléchie et acceptée au sein de la famille, et refuser d’accéder à cette demande en tant que médecin est un geste qui nécessiterait d’être solidement étayé. Mais de nombreuses considérations doivent être prises en compte avant d’aller trop vite.

  • Tout d’abord, le suicide assisté est aujourd’hui et ici trop souvent une réponse capitaliste à un problème capitaliste. Certaines demandes de suicide émanent de situations désespérées, où le tissu social détruit par le mode de production individualisant ne permet pas une famille présente et des soins suffisants. La réponse n’est alors pas celle du plus de moyens mais celle du tant pis, comme l’a déjà dit Georges dans cet article. Le risque est bien entendu celui du très tristement célèbre système canadien qui pousse un peu vite les patients vers la (dernière) porte de sortie… La solution doit être, non pas seulement de donner de vrais services de soins palliatifs, mais de recréer, par la société socialiste, le tissu social collectif qui seul permet de prolonger la vie à domicile et sans souffrance lorsque c’est possible, ou d’envisager un suicide assisté si nécessaire dans les meilleures circonstances.
  • Il est à noter que si de nombreuses personnes souhaitent mourir à domicile, la réalité les rattrape parfois durement car la prise en charge demande des moyens que le milieu ne permet pas vraiment et les médicaments deviennent difficiles à manier correctement. La chambre d’hôpital n’est certes pas glamour, mais les patients font vite contre mauvaise fortune bon cœur devant le soulagement de thérapeutiques antalgiques et sédatives bien équilibrées et d’un personnel professionnel disponible à toute heure et quoi qu’il arrive au moyen d’une sonnette… si les moyens nécessaires, tant humains que matériels, sont accordés au système de santé.
  • Les études faites là où le suicide assisté a été toléré voire légalisé montrent des liens complexes entre soin palliatif et demande de suicide assisté. Parfois, les soins psychothérapeutiques font se raviser des patients qui avaient d’abord demandé un suicide assisté, et parfois c’est au contraire ceux-ci qui poussent le patient à accepter la mort et demander un suicide assisté alors qu’il n’en était pas demandeur. L’acharnement thérapeutique porte en miroir le risque de “l’acharnement autonomique”; sachons prendre le temps de questionner le patient, de le laisser cheminer, laissons-le se poser les questions et y répondre, car la demande première n’est parfois qu’une réaction à l’anxiété, que cette réaction soit “faites votre maximum” ou “abrégez”, et sachons plutôt faire affleurer les volontés profondes du patient.
  • Enfin, et non des moindres, la mort est souvent moins une question pour les morts que pour les vivants. En sont témoins les cérémonies de funérailles dont les morts se fichent bien puisqu’ils sont… morts, mais qui visent précisément à soigner les vivants éplorés. D’expérience (empirique, limitée), la mort ne se conçoit comme dépassement qualitatif qu’à travers un processus quantitatif long de pré-agonie et d’agonie, d’allers-retours, de petites améliorations, de moments où l’on croit que « cette fois c’est la fin », et finalement non, situation qui peut être difficile pour la famille, mais qui laisse le temps à chacun de trouver son rythme autour du malade, de maturer le deuil futur, de trouver sa place dans la mort, de faire un dernier au revoir, et finalement un deuxième dernier, et enfin un troisième dernier mieux que les précédents. Ceux qui vivent loin peuvent passer une fois, ceux qui ont à aimer ont un moment pour le faire, ceux qui doivent pardonner en ont un aussi, et ceux qui ne veulent pas entendre parler de « ce salaud qui a ruiné ma vie » ont le temps de peser cette décision, de revenir dessus peut-être… ou pas. Dans ce contexte, la solution « de facilité » a tendance à précipiter la chose à un rythme artificiel; le deuil doit se faire à posteriori, sans le mourant, voire carrément à retardement, plusieurs mois plus tard, avec le risque des regrets, qu’on ne peut jamais écarter quoi qu’on fasse. La chute est alors parfois plus brutale et la remontée plus lente… Enfin pas toujours. Si le suicide assisté doit alors s’envisager, il doit l’être après mûre réflexion, avec accompagnement, tant de professionnels que de proches, pour le patient mais aussi pour sa famille, qui participe nécessairement aussi à la décision, et la subit aussi nécessairement.

Après ces petites réflexions, il me semble que le suicide assisté peut-être un outil utile, mais seul il est bien loin de se suffire à lui-même, et il est difficile d’imaginer la place qu’il peut prendre dans une société capitaliste poussée dans ses contradictions et en plein projet de privatisation de l’hôpital public. Il semble évident que seule une société socialiste peut intégrer cette possibilité à la place qu’elle mérite.

Antoine, médecin, référent pour la sous-commission Santé du PRCF

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