14-02-24- NOTRE DAME DE BETHARRAM, UN ETABLISSEMENT HORS DE TOUT CONTROLE (DAVID PERROTIN ET ANTTON ROUGET- MEDIAPART)
Selon nos informations, en dépit d’une condamnation pour des violences physiques en 1996, de la mise en cause du directeur pour des viols sur mineur en 1998, d’autres alertes au fil des années 2000 et d’une centaine de plaintes déposées depuis 2023, cet établissement privé sous contrat n’a jamais été contrôlé par le ministère de l’éducation nationale depuis trente ans.
s’est-il passé à Notre-Dame-de-Bétharram ? De nombreuses accusations de violences physiques et pédocriminelles pèsent depuis des années sur cet établissement privé catholique sous contrat et, aujourd’hui, nombreux sont ceux à exiger des réponses. Mais une institution ne s’est jamais posé la question : le ministère de l’éducation nationale.
Si François Bayrou ne cesse de mentir pour contester avoir été alerté à plusieurs reprises, le ministère de l’éducation nationale ne pouvait rien ignorer des nombreuses procédures visant ce pensionnat catholique depuis au moins 1996. C’est en effet la règle. Lorsque des plaintes visent un ensemble pédagogique, qu’une enquête judiciaire est ouverte ou que des faits suscitent une attention médiatique particulière, les faits remontent au ministère. Celui-ci peut alors lancer une inspection administrative pour contrôler l’établissement en complément d’éventuelles procédures judiciaires. Plus généralement, c’est le rectorat, au niveau académique, qui se charge de réaliser une inspection « équipe et vie scolaire » pour contrôler des pensionnats, par exemple. Il fait alors remonter les éléments selon ses conclusions.
Pendant trois décennies, les ministres de l’éducation successifs ont ainsi été alertés de graves dysfonctionnements au sein de cet établissement situé à 30 kilomètres de Pau. Ce fut le cas en 1996, année qui a vu la condamnation du surveillant général de l’établissement alors que François Bayrou était Rue de Grenelle (responsabilité qu’il cumulait avec la présidence du conseil général des Pyrénées-Atlantiques). Mais aussi en 1998, puis lors de dépôts de plainte au cours des années 2000, et enfin en 2023 depuis les 112 plaintes déposées pour des violences physiques et pédocriminelles. Selon nos informations pourtant, ni le rectorat ni le ministère de l’éducation nationale n’ont jamais lancé d’inspection à Notre-Dame-de-Bétharram, rebaptisé Le Beau Rameau depuis 2009.

En 1996, plusieurs plaintes pour des cas de maltraitance sont déposées à la gendarmerie. Toutes sont classées sauf une, celle de Jérôme, le père d’un élève de 14 ans ayant perdu l’audition après avoir été frappé par un surveillant. À l’époque, l’affaire fait grand bruit et donne lieu à des articles de presse et des reportages, y compris au niveau national. Des comités de soutien à Bétharram sont créés, en Béarn mais aussi à Paris, avec les anciens élèves Jean-Charles de Castelbajac ou le député Michel Péricard, par exemple.
François Bayrou, dont le fils est scolarisé à Bétharram, est sollicité par la presse. Dans Sud Ouest, il dit en mai avoir procédé à de mystérieuses « vérifications » qui, selon lui, ont « toutes » été « positives » et « favorables » pour l’établissement. Dans La République des Pyrénées, le ministre refusait pourtant un mois plus tôt de se prononcer sur le dossier, précisant qu’il attendait la fin de l’enquête. Celle-ci intervient dès juin 1996 : le surveillant général mis en cause pour de graves sévices, défendu par la direction de l’établissement, est condamné.
Le ministère de l’éducation nationale et le rectorat n’ont pas de trace d’enquêtes qui auraient été menées.
Des articles de Sud Ouest et La République des Pyrénées évoquent une enquête administrative lancée par le rectorat, qui a aussi été alerté par une professeure de mathématiques travaillant sur place. « Bétharram est un collège conventionné », justifie Pierre Polivka, l’inspecteur d’académie des Pyrénées-Atlantiques de l’époque, tout en ajoutant : « À ce titre, nous veillons sur la qualité de l’enseignement pédagogique. Notre rôle s’arrête la. »
Quelles sont ses conclusions ? Que dit cette enquête ? Sollicité le 6 février dernier, le ministère de l’éducation a pris plusieurs jours pour passer au crible toutes ses archives et est incapable de mettre la main dessus. « À ce stade, le ministère de l’éducation nationale et le rectorat n’ont pas de trace d’enquêtes qui auraient été menées dans les années 1990 », nous confirme le ministère d’Élisabeth Borne, ce jeudi. « Il n’y a pas eu d’inspection de la part du rectorat », appuie aussi auprès de Mediapart le secrétaire général de l’enseignement catholique Philippe Delorme, sans expliquer cette absence.
Des plaintes et des alertes mais jamais d’enquête
Une chose est sûre, aucune inspection administrative (l’échelon supérieur de l’enquête décidée par le ministère de l’éducation) n’a été diligentée. Un membre chargé de suivre les sujets éducation au cabinet de François Bayrou confirme à Mediapart ne pas « avoir connaissance » à l’époque d’une inspection. « Rien n’était remonté au ministère. » Comment l’expliquer alors que François Bayrou était en prise directe ? « C’est un sujet qui a pu rester dans le domaine réservé au ministre, lié à son implantation électorale », explique-t-il.
En 1998, le directeur de ce pensionnat, le père Carricart, est mis en examen, accusé d’avoir violé deux élèves et placé en détention avant d’être remis en liberté et exfiltré par le Vatican. Le juge Christian Mirande, saisi du dossier, mène une enquête « solide » et reçoit une deuxième plainte pour des viols répétés sur un autre élève. L’action publique s’éteint lorsque le mis en cause se suicide avant d’être convoqué pour être de nouveau placé en détention.
Selon d’anciens inspecteurs ou recteurs contactés par Mediapart, une inspection administrative semblait absolument nécessaire compte tenu de l’absence d’issue judiciaire. Le ministère de l’éducation dirigé par Claude Allègre ne fait rien, tout comme le rectorat. « Bétharram non, je n’ai pas eu de relation avec », confirme Jean-Marc Monteil, recteur de Bordeaux entre 1997 et 2000. Auprès de Mediapart, il explique ne jamais avoir missionné d’inspecteurs après la mise en examen de 1998. Aucune enquête ne sera non plus conduite lors des premiers dépôts de plainte, rapidement classées sans suite, les années suivantes.
Depuis octobre 2023 et la création d’un collectif d’ex-élèves aujourd’hui adultes, les témoignages dénonçant des violences physiques, agressions sexuelles et pédocriminelles commises par des prêtres et des surveillants, ou même entre résidents, s’accumulent sur le bureau du procureur de la République, qui vient d’achever son enquête préliminaire et attend de savoir si une instruction va être ouverte.
Les récits portent sur une période qui s’étale des années 1950, pour les faits plus anciens, aux années 2010. Les violences semblent systémiques dans une époque où l’attention médiatique et politique portée sur ces sujets est bien plus importante. Mais là encore, le ministère de l’éducation nationale n’a diligenté aucune inspection administrative. « Il n’y a pas eu de contrôle ces dernières années », confirme le ministère de l’éducation à Mediapart. « C’est un grave dysfonctionnement », déplore un ancien inspecteur académique à Mediapart.
Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7 500 établissements –, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans.
Cette absence de contrôle est d’autant plus surprenante que l’actuel directeur de l’établissement est lui aussi mis en cause. Rebaptisé en 2009, l’établissement est toujours sous contrat et accueille désormais 200 élèves (contre 600 à l’époque). En février 2024, un surveillant de l’internat, pourtant visé par huit plaintes pour des violences, viols et agressions sexuelles, était resté en poste. Il a fallu que la presse locale révèle l’information pour que la direction décide sa suspension.
« La politique de contrôle des établissements privés sous contrat a été revue en 2024 à la suite de la publication du rapport Vannier/Weissberg », justifie désormais le ministère. Dans la foulée de l’affaire Stanislas, les députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance) avaient publié un rapport en avril 2024 dénonçant notamment l’absence totale de contrôle des établissements privés sous contrat pourtant largement financés par le contribuable. « Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7 500 établissements –, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans », pouvait-on lire.
En mai 2024, un mois après ce rapport, Monique de Marco, sénatrice de la Gironde et membre de la commission éducation, avait directement saisi le rectorat de Bordeaux. Dans un courrier consulté par Mediapart, l’élue écologiste évoquait les 76 plaintes de l’époque « laissant penser que des dysfonctionnements graves » ont eu lieu « depuis plusieurs années » et questionnait la rectrice pour savoir si des contrôles avaient été effectués, si l'académie avait songé à rompre le contrat d’association et demandait des informations sur les subventions reçues par Notre-Dame-de-Bétharram. Dans sa réponse, le rectorat confirmait l’absence d’inspection et déclarait même ne pas pouvoir contrôler le personnel de ces établissements. « Les personnels encadrant au sein de l’Enseignement privé ne relèvent pas de l’autorité académique mais de l’Organisme de Gestion de l’Enseignement Catholique (OGEC), qui prend la forme d’une association. »
« En réponse à ces critiques (dans le rapport Vanier/Weissberg), Nicole Belloubet avait décidé un renforcement des contrôles pour garantir que les établissements privés sous contrat respectent leurs obligations contractuelles ainsi que les principes et les valeurs de la République », précise seulement le ministère de l’éducation à Mediapart. Ce 13 février 2025 pourtant, le ministère n’a toujours pas diligenté d’inspection administrative.
NOTE D'YVAN BALCHOY
Ce qui m'étonne c'est le peu de relais dans la presse nationale ou même d'extreme droite de ces faits assez graves. N'y aurait-il pas une censure protectrice qui à moyen et long teme ne sert pas l'organisation qui dirige ces établissment ?