08-02-25- EN LISANT EN ISRAËL HAARETZ (ALAIN CAMPIOTTI - LE GRAND SOIR)

Chez le Turc. C’est un banal restaurant pas loin de l’aéroport Ben Gourion. Pourquoi aller manger là ? Parce que le fils, qui avait fait son service militaire dans le coin, trouvait que le chawarma y est goûteux. Il y a emmené l’autre jour son père, Gideon Levy. Ça s’est mal passé. Un attroupement s’est vite fait autour de leur table et les insultes ont fusé. Au fils : « Baise la mère de celui qui mange avec les nazis ! ». Au père : « Tu es un nazi parce que tu te soucies des enfants de Gaza ! » Ils ont dû partir sous la bronca.
Gideon Levy est journaliste au quotidien Haaretz, l’un des plus connus, pour ses enquêtes de terrain parmi les Palestiniens et ses commentaires impitoyables contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou et les partis qui dominent la scène politique israélienne. Il est sans doute aussi le journaliste le plus haï, le plus insulté du pays. Ce fils d’immigrants d’Europe centrale n’avait pourtant rien d’une tête brûlée. Religieux et nationaliste bon teint dans sa jeunesse, dit-il lui-même, il s’est gauchi en porte-parole du travailliste Shimon Peres, avant d’entrer à Haaretz dont il est devenu une voix retentissante à mesure que le quotidien centenaire passait d’un libéralisme modéré à la critique des suprémacistes et des annexionnistes qui peu à peu s’emparaient du pouvoir en Israël.
Mais ce Haaretz très engagé n’est pas un organe de propagande : il travaille en profondeur. Il s’ouvre aussi à des voix qui le contestent, par exemple Israel Harel, colon radical et va-t-en-guerre sans retenue, ou l’historien Benny Morris qui n’arrête pas de prôner une attaque de grande envergure contre l’Iran.
Après l’assaut massif du Hamas le 7 octobre 2023, le journal n’a pas fléchi dans la dénonciation de cette horreur et la documentation des massacres, tortures, viols qui pouvaient être prouvés. Mais quand la riposte s’est déchaînée sur Gaza puis ailleurs, il a mis autant de zèle, malgré les empêchements de toute nature, à décrire les abus de cette guerre sans limites, et sans merci pour les civils. Journalisme exemplaire et solitaire, dans l’adversité et la douleur.
Du coup, je me suis abonné, il y a 400 jours, pour mieux savoir. C’est utile, ou indispensable. Mardi dernier, j’ai entendu, au vol, sur une radio française, par une brève de dix secondes, que 51 Gazaouis avaient été tués dans la journée. J’ai cherché ce qu’on en disait ici. Rien. La guerre dure, on s’habitue, et il y a des morts qui valent plus que d’autres - nous ne parlions alors que de « Charlie », dix ans après.
Avec Haaretz, on est dans le dur, les yeux ouverts. Vous en voulez ? Prenons par exemple le 1er janvier, alors que nous festoyions. Le journal arrive ce jour-là au bout d’un dossier complet sur la « guerre à la presse » que conduit selon lui le gouvernement Netanyahou - et il ne parle pas seulement des 110 journalistes tués à Gaza. Un boycott a été mis en place contre le quotidien rebelle : plus de communications, plus de pub, plus de recettes venant de l’Etat ; vieux projet mis en oeuvre le jour où Amos Schocken, le propriétaire d’Haaretz, a parlé dans une conférence à Londres des « combattants de la liberté palestiniens qu’Israël qualifie de terroristes ».
Ailleurs, le journal décrit en grand, cartes à l’appui (avant/ après) des villes détruites à Gaza et des tentes qui ont remplacé les maisons, sous une pluie battante ce jour de Nouvel An pour nous. Un autre texte imagine l’ensemble de la population de Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa concentrée dans les intempéries sur la plage : c’est la vie des Gazaouis qu’il décrit. Le vétéran Zvi Bar’el s’interroge sur le large consentement silencieux, dans la population israélienne, à ce qu’il se passe à Gaza : destructions et morts en masse ; ça lui rappelle, en grand, la Nuit de cristal de novembre 1938, en Allemagne. Une chroniqueuse arabe du journal se lamente de la réduction en statistiques des victimes des bombardements, alors que des enfants sont ensevelis sous les ruines, dont la vie sera à tout jamais oubliée.
Ce numéro d’Haaretz parle bien sûr de la destruction de l’hôpital Kamal Adwan, à Beit Lahia, tout au nord de Gaza. Il est aussi question, peu après, de cet établissement rudimentaire, l’avant-dernier de cette partie de la bande, dans un débat de la chaîne LCI, la moins méprisable des chaînes d’information continue en France. David Pujadas et ses invités essaient de distinguer dans cette affaire le vrai du faux. Car ce qui vient de Gaza est sous le contrôle du Hamas, puisque le territoire est fermé aux journalistes. Et les patients qu’on voit sortir les bras en l’air, ne seraient-ils pas des terroristes ? Et le médecin-chef fait prisonnier, le Dr Hossam Abu Safiya, qui avait une fonction dans le Hamas, n’en est-il pas un autre ? De l’autre côté, il y a la description de l’assaut contre l’hôpital par Haaretz. Mais ce journal, c’est l’opposition, c’est la gauche. Méfiance...
Haaretz est beaucoup cité dans le monde (la preuve...), mais en Israël, c’est une faible voix : 5% d’audience. Une bonne partie du reste des moyens d’information est alignée sur le discours de vengeance et de guerre totale depuis le 7 octobre d’il y a 2 ans : les patients de Kamal Adwan sont des terroristes, le docteur est un combattant. Dans ce paysage, Haaretz est une faible lumière d’éthique antibelliqueuse. L’éthique...
L’autre samedi, Alain Finkielkraut, dans Répliques, son émission culte sur France Culture, a ouvert sur ce thème (et sur la pensée d’Emmanuel Levinas) une sorte de discussion talmudique passionnée. Que veut dire, pour les juifs, « peuple élu » ? Tous convenaient qu’il ne peut s’agir que de révéler aux autres peuples (le peuple palestinien, par exemple) leur part d’élection. Les extrémistes au pouvoir en Israël entendent tout autre chose. Pour certains d’entre eux (des députés), il n’y a pas un seul innocent parmi les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza. La Bible le leur dit : devant les trompettes de Josué, les murailles de Jéricho se sont effondrées et les habitants ont été passés au fil de l’épée, hommes, femmes, enfants, vieillards, boeufs, brebis, ânes. Un député non fanatique de la Knesset s’est levé pour dénoncer la « bassesse morale » de ce « messianisme mensonger, nationaliste, raciste et fondamentaliste qui empoisonne et anéantit l’esprit d’Israël ».
C’est aussi ce qu’écrit tous les jours Haaretz. Mais face à cette faible voix, il y a la réalité de la puissance inégalée de l’armée d’Israël, alimentée sans fin par ses alliés occidentaux, d’une victoire totale et de l’effacement de Jéricho - de la Palestine. Le journal vient de révéler qu’un accord était sur le point d’être trouvé avec l’Arabie saoudite pour un règlement régional dont les miettes pour les Palestiniens, s’ils en obtiennent jamais, ne seront que l’humiliation de leurs aspirations. Le combat d’Haaretz apparaîtra alors pour ce qu’il est : héroïque, tragique, perdu.
Gideon Levy, quand il est sorti l’autre jour avec son fils, chassé sous les insultes, du restaurant de chawarma près de l’aéroport Ben Gourion, a été accosté dans la rue par un jeune homme. Lui était amical. Il a demandé au journaliste haï sa bénédiction. Timide lueur.
Une bonne partie du reste des moyens d’information est alignée sur le discours de vengeance et de guerre totale
Alain CAMPIOTTI
Note d'<Yvan Balchoy
Aux textes d'extermination fréquents dans la Bible hébraïque, je ne peux qu'opposer cet autre discours autrement humain, autrement universel du JUIF JESUS DE NAZARETH qui nous a livré une religion d'amour et de pardon dont malheureusement l'histoire chrétienne ne fut pas toujours témoin fidèle, loin s'en faut ...
Sur les voix racistes et sionistes de CNEWS et EUROPE 1, une Terre Sainte à deux états commence a être mise à bas par des fanatiques de la haine et de la loi du Talion, souvent immigrés eux-même passés corps et âme au fanatisme.
A longue échéance, leurs vociférations risquent de peser lourds dans l'avenir d'une terre arabo-juive qui mérite infiniment mieux qu'un Nétanyahou valet du bouffon de Washington.