29-12-24- LA CULTURE DANS LA VISEE DES COLLECTIVITES (ANTOINE PECQUEUR MEDIAPART)
Après les Pays de la Loire, d’autres régions et départements envisagent de réduire drastiquement leurs moyens alloués à la culture. Une remise en cause majeure des politiques culturelles.
Antoine Pecqueur
28 décembre 2024 à 10h23
Jamais les structures culturelles n’avaient autant fait d’appel aux dons. Festivals, compagnies, orchestres… tous espèrent profiter de la période de fin d’année pour récolter des fonds. Car le secteur doit faire face à un « cataclysme », selon les mots de Marion Gauvent, coprésidente de Lapas, Association des professionnel·les de l’administration du spectacle.
La nouvelle a été largement médiatisée : la région Pays de la Loire a adopté le 20 décembre un budget en baisse de 82 millions d’euros, impactant lourdement la culture, avec une diminution de 62 % des crédits de fonctionnement. Mais d’autres collectivités territoriales annoncent elles aussi une réduction de leurs subventions, dans des proportions extrêmement inquiétantes pour les artistes.
« La région Pays de la Loire est le cas le plus caricatural. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt », nous dit Yannis Jean, délégué général du Syndicat des cirques et compagnies de création. « La boîte de Pandore est ouverte », confirme le directeur d’une scène de musiques actuelles. L’enjeu s’avère d’autant plus crucial que les collectivités sont le premier financeur de la culture en France, représentant plus du double de l’apport du ministère.
La région Île-de-France a voté jeudi 19 décembre un budget culture de 83,1 millions d’euros, en baisse de 20 %. Une annonce d’autant plus attendue qu’il s’agit de la première région de l’économie culturelle française. « Le piège, c’est que comme les Pays de la Loire ont fait pire, on peut presque se dire qu’on l’a échappé belle. Or qui aurait pu imaginer il y a encore un an une telle baisse ? », réagit Fabienne Meurice,
Manifestation contre la décision de la présidente de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, de procéder à des coupes drastiques dans le budget de la culture à Nantes, le 5 décembre 2024. © Photo Sébastien Salom-Gomis / SIPA
Si les crédits dédiés au fonctionnement reculent de 12 %, ceux consacrés à l’investissement baissent de 27 %. Un coup d’arrêt net aux projets. « Ces économies sont nécessaires afin de compenser les pertes de recettes de l’État pour les trois années à venir, justifie le service communication de la région. L’exécutif régional a choisi de préserver un budget culture à un niveau très élevé, au même niveau que 2015. » Retour donc dix ans en arrière.
Des structures dans l’incertitude
Selon nos informations, la région Auvergne-Rhône-Alpes prévoit, elle, une baisse des crédits alloués au spectacle vivant de 12,7 %. « Ce qui est dans le viseur, ce sont les formes d’art qui peuvent être contestataires, comme le théâtre ou l’art contemporain. La région envisage par contre de mettre davantage de moyens sur le patrimoine, notamment sur les grands projets comme le musée des Tissus de Lyon ou la maison de Saint-Exupéry », souligne un acteur culturel régional, préférant garder l’anonymat par peur des répercussions. Pour mémoire, Joris Mathieu, le directeur du TNG de Lyon, avait vu ses financements coupés par la région après ses prises de position critiques.
La région Sud envisage de son côté une baisse comprise entre 5 et 10 %. Des pourcentages à chaque fois bien supérieurs si l’on prend en compte l’inflation, en euros constants.
D’autres régions font par contre le choix de sanctuariser leur budget culture, comme la Normandie. « C’est une question de volontarisme politique, note Véronique Felenbok, coprésidente de Lapas. Cela montre bien que l’enjeu de réduire les budgets culture est plus politique qu’économique. Il y a une forme de populisme bon teint à attaquer aujourd’hui ce domaine. »
Cette baisse des collectivités vise notamment les acteurs qui ne sont pas soutenus par le ministère de la culture mais font un travail remarquable sur le territoire. C’est le local qui est attaqué.
Marion Gauvent, coprésidente de l’Association des professionnel·les de l’administration du spectacle
L’échelon régional n’est pas le seul à concentrer l’inquiétude du secteur. « La moitié des départements prévoit une baisse d’au moins 40 % de leurs aides », estime Vincent Guillon, codirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles.
La Charente-Maritime envisage ainsi une diminution de 50 % de ses aides. L’impact sera immédiat pour le festival La Rochelle Cinéma : « Nous allons réduire la durée du festival, le nombre d’invités, nous ferons moins travailler nos 80 prestataires », liste Arnaud Dumatin, codélégué général de cette manifestation.
Le département des Yvelines vient d’annoncer qu’il supprime de son côté la totalité de sa subvention, d’un montant de 350 000 euros, au théâtre de Sartrouville. Dans l’Hérault, le théâtre Molière de Sète craint de devoir fermer un ou deux mois à l’automne. « En ne disposant plus de marges artistiques, les établissements risquent de devenir des coquilles vides. Et il sera encore plus facile de dire que ces services publics ne servent à rien. C’est du reaganisme culturel », observe Jérémy Hahn, coordinateur de Fracama (fédération musiques actuelles du Centre-Val de Loire).
Les budgets pouvant être votés jusqu’au printemps, nombre de structures sont encore dans l’incertitude la plus totale. « Nous savons qu’il y aura des baisses considérables dans notre département d’Eure-et-Loir. Comment programmer une édition sans connaître les moyens dont nous disposerons ? », interpelle Nicole Giraudo, directrice du festival Jazz en mars. « C’est la double peine : les structures devront faire face au retard de la décision et à une baisse », craint Antoine Leclerc, délégué général de Carrefour des festivals, qui regroupe 70 festivals de cinéma.
Ces coupes mettent à mal les structures les plus fragiles économiquement. Les arts alternatifs ou populaires se retrouvent en première ligne. « Cette baisse des collectivités vise notamment les acteurs qui ne sont pas soutenus par le ministère de la culture mais font un travail remarquable sur le territoire. C’est le local qui est attaqué », dénonce Marion Gauvent. « Il y aura un redimensionnement du secteur autour des institutions les plus fortes, celles qui peuvent résister », redoute Vincent Guillon, codirecteur de l’Observatoire des politiques culturelles. La région Grand Est a de son côté fait le choix de soutenir davantage les structures en milieu rural au détriment des grands équipements déjà financés par le ministère de la culture, comme le Centre Pompidou-Metz.
Le fossé risque encore plus d’augmenter entre la capitale, qui concentre déjà beaucoup d’équipements et arrive à capter les mécènes, et les territoires.
Un acteur culturel
Des villes, elles aussi, remettent en question leur soutien au monde culturel. Toutes tendances politiques confondues. Le maire divers droite de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, a acté un gel de 40 % des subventions. La même décision a été prise par la métropole de Toulouse. À Grenoble, le Street Art Fest, qui vient de fêter ses 10 ans, doit affronter un repli majeur de la métropole et de la ville, entre les mains de l’écologiste Éric Piolle : « Nous perdons 65 000 euros de subventions sur un budget de 500 000 euros. Notre manifestation est 100 % gratuite pour le public. Nous serons donc obligés de licencier six personnes », nous informe Jérôme Catz, son directeur artistique.
Les coupes des collectivités entraînent des conséquences sociales majeures. « Ces baisses vont aboutir à la disparition d’emplois permanents mais aussi à celle, bien plus invisible, d’un grand nombre d’intermittents », prédit Marion Gauvent. Reste des exceptions notables, comme la ville de Paris qui augmente son budget culture de 6,2 %, atteignant 252,4 millions d’euros. « Le fossé risque encore plus d’augmenter entre la capitale, qui concentre déjà beaucoup d’équipements et arrive à capter les mécènes, et les territoires », redoute un acteur culturel parisien.
Augmenter les prix, réduire les spectacles
Le cumul des baisses des différents niveaux de collectivités aboutit pour certains à une addition dramatique. L’Opéra de Bordeaux s’apprête ainsi à essuyer une diminution de 150 000 euros de la ville et de 350 000 euros de la région.
« Pour développer leurs ressources propres, les structures risquent de devoir augmenter le prix des billets et donc sacrifier l’accessibilité à tous les publics », craint Pascale Bonniel Chalier, conseillère écologiste en région Auvergne-Rhône-Alpes. Vincent Roche Lecca dirige la Scène nationale de Bourg-en-Bresse : « À l’automne, nous allons accueillir huit spectacles au lieu de seize. Et pour tenir financièrement, nous allons devoir louer nos salles pour des réunions, des assemblées générales. C’est la privatisation de nos espaces. »
« On assiste à une remise en cause frontale des politiques culturelles mises en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », observe Vincent Guillon. Avec la création des centres dramatiques nationaux, en 1946, s’est instauré le principe des financements croisés. Les structures culturelles signent des conventions leur garantissant des subventions provenant des différents niveaux de collectivités.
Les lois NOTRe et LCAP ont acté le fait que la culture est une compétence partagée, et non réservée à une seule collectivité (contrairement par exemple aux transports pour les régions ou aux collèges pour les départements, qui sont des compétences obligatoires). « Mais cette règle, a priori salutaire, se retourne aujourd’hui contre nous. La collectivité se retire en se disant que l’autre va compenser. La culture n’est pas prioritaire », déplore Yannis Jean, le délégué général du Syndicat des cirques et compagnies de création.
Pourquoi les citoyens acceptent ces coupes budgétaires ? peut-être parce qu’ils ne se sentent pas directement concernés par ces formes de culture.
Jean-Michel Tobelem, professeur associé à l’université Paris 1,
Une chose est sûre : le discours politique a changé. « Pendant longtemps, la droite ne touchait pas à la culture. Mais désormais, l’idéologie ultralibérale veut que la culture s’autofinance. À cela s’ajoute le fait que c’est devenu payant électoralement de se faire le milieu culturel », souligne Fabienne Meurice.
En dehors des manifestations en Pays de la Loire, la mobilisation des acteurs culturels reste pour l’heure encore faible. Ils sont en général quelques dizaines à manifester devant les sièges de région au moment des votes des budgets. « Notre secteur est balkanisé. Il nous manque un grand syndicat du service public de la culture », déplore Vincent Roche Lecca. Et quid du reste de la population ? « On a trop souvent crié au loup. On ne nous croit plus. Il ne fallait pas parler depuis des années de crises à tout bout de champ », regrette Yannis Jean.
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NOTE D'YVAN BALCHOY
Une France dont les politiques perdent leur boussole financière, c'est regrettazble.
Un France dont la culture s'effrite, risque davantage encore de faire de l'hexagone un regrettable "has been".