Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par YVAN BALCHOY

03-07-24- LOÏC PAGEOT, PROCUREUR ADJOINT : "UN POLICIER QUI USE DE VIOLENCES ILLEGITIMES EST UN DELINQUANT"- CAMILLE POLLONI- MEDIAPART

Loïc Pageot, procureur-adjoint : « Un policier qui use de violences illégitimes est un délinquant »
Figure du parquet de Bobigny, où il était chargé pendant dix ans de toutes les affaires impliquant des policiers en Seine-Saint-Denis, le procureur adjoint Loïc Pageot est parti à la retraite le 1er juillet. Il se prête à l’exercice d’un entretien-bilan.

Camille Polloni

2 juillet 2024 à 13h06

 
 
Au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le deuxième de France, le magistrat Loïc Pageot a passé les dix dernières années de sa carrière à traiter les enquêtes mettant en cause des fonctionnaires de police pour des violences parfois mortelles, des atteintes à la probité (vols, corruption, détournement de fichiers) ou des faux en écriture publique. À 67 ans, dont 44 au parquet, le procureur adjoint prend sa retraite ce lundi 1er juillet. 

Parmi les 300 à 350 affaires nouvelles soumises à son parquet chaque année, dont la quasi-totalité concernent des policiers nationaux et municipaux - en Seine-Saint-Denis, il n’y a presque pas de secteur gendarmerie - les plus graves sont traditionnellement confiées à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et les autres au service de déontologie et de soutien aux effectifs (SDSE) de la préfecture de police. 

Tous les premiers jeudis du mois, une audience spéciale « police » se tient à la 14e chambre du tribunal correctionnel. Comme l’intérêt médiatique, l’affluence est variable. Certains procès font salle comble, d’autres se tiennent dans un quasi-huis clos. En dehors de ses dossiers « police », il était aussi chargé des affaires audiencées à la cour d’assises et la cour criminelle départementale. 

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1
Loïc Pageot. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Et s’il devait tout recommencer ? Loïc Pageot ne « sai[t] pas faire grand-chose d’autre » mais se serait bien vu professeur d’histoire-géographie. Dans une allusion à Samuel Paty, l’enseignant victime d’un assassinat terroriste en octobre 2020, le magistrat « choisirai[t] cette voie » pour porter une parole « libre, ouverte, tolérante », « une priorité » pour que « les jeunes générations connaissent les enjeux et les erreurs commises par le passé, dans lesquelles il faut éviter de retomber ». 

À la rentrée prochaine, une magistrate « de la génération d’après » doit lui succéder. Il lui souhaite de donner « un nouvel élan » à ce poste « délicat » et exposé. « On ne fait pas notre métier pour être aimé. On le fait en conscience, en application de la loi, en vertu du serment qu’on a prêté. Le regard des uns et des autres, parfois critique, nourrit notre réflexion. » 

Vous quittez vos fonctions à un moment très particulier, où le prochain garde des Sceaux pourrait faire partie du Rassemblement national et mener une politique pénale d’extrême droite. C’est le bon moment pour partir ? 

J’avais choisi ce moment avant que le président de la République ne prononce la dissolution de l’Assemblée nationale. En tant que magistrat du parquet, je suis très attaché à notre rôle : veiller au respect des libertés fondamentales. J’espère que ce qui se passera après la sortie des urnes n’y portera pas atteinte. Les magistrats du parquet n’ont toujours pas ce statut d’indépendance, promis depuis des années, qui les mettrait un peu plus à l’abri. Ceux du siège sont un peu moins concernés, même si l’on peut craindre d’entendre encore plus cette ritournelle de «justice laxiste ». C’est un peu simplificateur quand les maisons d’arrêt sont remplies à ras bord, et même plus. [Au 1er juin, 77 880 personnes étaient incarcérées en France pour 61 694 places disponibles – ndlr] 

Si vous aviez poursuivi votre carrière, auriez-vous continué à exercer comme magistrat du parquet avec un gouvernement RN ? Ou vous seriez-vous posé la question de partir ?

Si je m’étais retrouvé confronté à un gouvernement, quel qu’il soit, qui veuille porter atteinte aux libertés fondamentales ou à la dignité humaine, je me serais senti très mal à l’aise. Peut-être aurais-je été obligé d’en tirer les conséquences. Depuis 2015, on a déjà pris quelques virages. J’ai été heurté quand les dispositions antiterroristes, prises dans un contexte où il fallait effectivement sécuriser, ont été retranscrites dans le droit commun. Ce n’était pas un bon signal. Ce qui risque de se passer le 7 juillet pourrait confirmer cette tendance, voire l’accentuer.

Ces dix dernières années, vous étiez chargé des affaires impliquant des policiers dans l’un des départements les plus peuplés et les plus pauvres de France. Qu’avez-vous appris à ce poste-là ? 

C’est un département que je connaissais peu. Comme beaucoup de Français, j’étais animé par un certain nombre de clichés qui avaient vocation à tomber au bout de quelques mois. En Seine-Saint-Denis, le nombre d’affaires mettant en cause des fonctionnaires de police est frappant. Bien sûr, c’est un département de 1,6 million d’habitants particulièrement criminogène, mais quand même. J’ai découvert une réalité que je n’avais jamais connue dans les autres départements, où ces affaires étaient résiduelles. 

Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2
Loïc Pageot. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Beaucoup de jeunes policiers ne sont pas originaires de région parisienne et viennent à leur corps défendant en Seine-Saint-Denis. Ils se retrouvent un peu seuls, confrontés à des situations proches de l’émeute ou du guet-apens, avec une formation parfois légère. Ils ont peur d’utiliser leurs armes, ne savent pas trop comment et quand le faire. L’encadrement hiérarchique s’est effiloché. Cela conduit parfois à des réactions brutales, inappropriées, illégitimes. Quand une interpellation est difficile, avec quelqu’un de récalcitrant, il y a une tendance à ne pas savoir se maîtriser. Une fois que la personne est arrêtée et menottée, on voit des coups qui n’ont pas lieu d’être.

Dans ce contentieux spécifique comme dans d’autres, je pense notamment aux violences sexistes, peut-être n’était-on pas assez sensibles à ce qui pouvait se produire et à y mettre des limites. Traditionnellement, chez les magistrats, il y avait une tendance à considérer que ce qui figure dans un procès-verbal de police est la vérité. Dans l’immense majorité des cas, c’est vrai, mais certains procès-verbaux ne sont pas conformes à la réalité. 

J’ai aussi découvert ce qu’on peut faire avec un téléphone portable. C’est très mal vu par la police, mais c’est un droit : sur la voie publique vous pouvez filmer, photographier ce que vous voulez. Ces images, comme celles issues de la vidéosurveillance, m’ont été d’une grande utilité pour faire pencher la balance. 

En dix ans, les vidéos ont d’ailleurs pris une place cruciale dans les procédures judiciaires que vous avez traitées. Au point qu’on peut se demander : seriez-vous encore prêt à poursuivre des policiers pour des violences, si elles ne sont pas objectivées par des images ? 

La vidéo est l’un des éléments objectifs, mais ce n’est pas le seul. Cela peut aussi reposer sur des constatations médicales, sur des témoins. Le problème, c’est bien souvent que personne ne veut témoigner. On est dans un département, et peut-être dans une société, où on ne veut pas d’emmerdes. 

Parmi toutes les plaintes que vous recevez, quelle proportion se termine par des poursuites ?

Une grande majorité des affaires se conclut par des classements sans suite. Certains plaignants se demandent pourquoi on les a fouillés, collés contre un mur, menottés. Ils ne comprennent pas les circonstances de leur interpellation. Mais la procédure montre que la personne était ivre, injurieuse envers les policiers. La police peut utiliser la violence quand elle ne dépasse pas ce qui est nécessaire à l’interpellation et cela ne permet pas d’engager des poursuites.  

Si c’est « parole contre parole », sans autres éléments, c’est un classement faute de preuves. Cela ne veut pas dire que les faits ne se sont pas produits, mais qu’on n’a pas été en mesure de démontrer les violences illégitimes décrites par le plaignant.

Néanmoins, je m’interroge toujours sur le nombre de personnes qui ont pu être victimes de véritables agissements et n’ont pas osé déposer plainte. Ou ceux, notamment des jeunes déjà condamnés, qui se disent : je vais me retrouver confronté aux mêmes policiers, ils vont me rendre la vie infernale. 

Quand on parle de violences policières, ce sont des violences illégitimes, qui ne sont pas proportionnées ou interviennent sans raison, sur une personne qui ne représente pas de danger.

Les enquêtes que vous supervisez sont menées par le SDSE et l’IGPN, très critiquée pour son absence d’indépendance. Pensez-vous que ces services mériteraient d’être réformés, voire sortis de la tutelle du ministère de l’intérieur pour devenir complètement indépendants ?  

Le travail de ces services m’a en général donné assez grande satisfaction. Les enquêtes de l’IGPN [inspection générale de la police nationale -ndlr] étaient assez fouillées et complètes. C’est un service rompu aux techniques d’enquête et à une certaine forme d’indépendance. Je n’ai pas eu à m’en plaindre. 

Quand j’ai commencé, en 2014, le SDSE [service de déontologie de la police – ndlr] était un service qui démarrait. C’était une toute petite équipe, leurs enquêtes étaient parfois perfectibles. Mais j’ai vu une montée en puissance de la qualité. Je leur ai parfois confié des enquêtes plus complexes, plus exposées, dont ils se sont très bien sortis. 

Illustration 3Agrandir l’image : Illustration 3
© Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Bien sûr, dans un contexte où l’on voudrait coûte que coûte appliquer une politique sécuritaire, faire primer une parole plutôt qu’une autre, mettre des présomptions de légitime défense, ces policiers pourraient se retrouver en porte-à-faux, avec des pressions, parce qu’ils dépendent du ministre de l’intérieur. Le fait que des magistrats soient à la tête de l’IGPN et de l’IGGN [inspection générale de la gendarmerie nationale – ndlr] ne change rien. 

La vraie garantie, ce serait un organisme indépendant qui ferait intervenir des personnalités extérieures. Plusieurs systèmes existent dans des pays voisins. C’est peut-être quelque chose auquel il faudrait songer, sans se priver des techniques policières d’interrogatoire, très bien utilisées par l’IGPN : laisser quelqu’un parler et s’enferrer, lui soumettre une vidéo qui montre le contraire…  

Vous employez parfois dans vos réquisitions l’expression de «violences policières », alors que les autorités politiques refusent de l’utiliser. Pourquoi ? 

Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Moi, ça ne me gêne pas d’employer cette formule-là. Quand on parle de violences policières, ce sont des violences illégitimes, qui ne sont pas proportionnées ou interviennent sans raison, sur une personne qui ne représente pas de danger.  

Il y a une telle pression sécuritaire que cela semble malvenu ou inapproprié de parler de violences policières. Pourtant, elles existent. Ne pas en parler, c’est à la fois donner un chèque en blanc à ceux qui sortent du cadre et manquer de respect à ceux qui font bien leur travail, au profit de notre sécurité collective. L’immense majorité des policiers ne dérape pas. Quel signal leur donne-t-on, à ceux-là, si l’on vient employer des pincettes ou exercer des poursuites a minima ? Un policier qui use de violences illégitimes est un délinquant. La justice est là pour le rappeler. 

Quelles sont les affaires qui vous ont le plus marqué ?  

J’ai toujours considéré qu’aux yeux de nos concitoyens, il n’y a pas de petites et grandes affaires. Chaque personne qui s’estime victime mérite de l’attention et je suis contrarié que la justice n’ait toujours pas les moyens de traiter les affaires qui lui sont soumises. 

Évidemment, il y a des affaires emblématiques. L’affaire Théo est la dernière pour laquelle j’ai été amené à requérir devant la cour d’assises. J’ai cette satisfaction qu’on ait pu aboutir à un apaisement, à une sorte de réconciliation sociale. 

À l’audience et en aparté, Théodore Luhaka a expliqué qu’il ne pourrait pas réparer ce qu’il avait subi tant que le policier n’aurait pas été condamné. Et il a rajouté : « Peu m’importe ce à quoi il sera condamné. » Je me suis dit qu’il faudrait aboutir à ce qu’il n’y ait pas d’appel dans ce dossier. Pour que Théodore Luhaka commence à prendre soin de lui, à sortir de cet ostracisme dans lequel il s’est enfermé. 

Beaucoup m’ont dit que mes réquisitions étaient sévères en paroles, mais pas au niveau de la peine. Ce n'est pas faux. Mais c’était le prix à payer pour respecter, avant tout, celui qui avait été victime. Il était content de la décision de la cour d’assises et les policiers n’ont pas fait appel. 

Quelques semaines plus tard, lors de la première audience civile, Théodore Luhaka avait changé. Il est venu me voir pour me dire : « Ça y est, je commence à me soigner. » C’est l’une des missions de la justice et elle y réussit rarement. En général elle fait au moins un mécontent, si ce n’est deux. 

Quelqu’un qui vient cracher dans la soupe, c’est très mal vu. Il en fait parfois les frais et se retrouve placardisé.

À votre poste, avez-vous acquis une conviction sur le poids des préjugés racistes dans les affaires impliquant des policiers ? On le voit de nos propres yeux dans les audiences : les violences sont souvent le fait de policiers (racisés ou non) sur des personnes racisées.

En termes de poursuites et de condamnations, cela se traduit très peu. Mais il y a quand même beaucoup de plaintes et de procédures où ce fond apparaît.

Soit par des paroles prononcées, soit par la simple identité de la victime ?

Voilà. Mais ce n’est pas facile à établir quand vous n’avez pas d’enregistrement. Dans l’affaire de l’Île-Saint-Denis on en avait un. Le policier, même s’il s’en est défendu, savait bien que le terme utilisé [« bicot » – ndlr] avait une connotation en rapport avec l’origine et que ce n’était pas flatteur. 

Parfois, et c’est frustrant, je classe des procédures en étant sûr que ça s’est passé. Mais je ne suis pas en mesure d’en apporter la preuve. C’est une exigence fondamentale et les magistrats doivent tous y veiller. On ne condamne pas au bénéfice du doute, sur la base d’une impression. 

Il y a des policiers racistes, comme un certain nombre de personnes dans notre société. Je ne vois pas pourquoi une profession serait épargnée. Il y a aussi, sûrement, des magistrats racistes et des journalistes racistes.

Illustration 4Agrandir l’image : Illustration 4
Une voiture de police dans les rues de Paris en 2021. © Photo Mylene Deroche / Abaca
Le Défenseur des droits, qui n’est pas une association militante mais une institution d’État, a documenté une forme de racisme systémique. On ne peut pas le nier. Les contrôles d’identité s’exercent plus sur certaines catégories de population racisées, originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, que sur d’autres. Ça veut dire quoi ? Que ces catégories de personnes seraient nécessairement plus violentes, plus voleuses ? On est dans le préjugé raciste, c’est très clair. Ce n’est pas forcément quelque chose de réfléchi dans la tête de ceux qui l’exercent. C’est d’ailleurs la définition du racisme systémique et il faut le combattre. 

Le débat public s’est radicalisé ces dernières années autour des accusations d’être « anti-flics » ou « pro-flics ». Vous avez toujours été pris entre deux feux. Les syndicats de police sur votre territoire vous désignent comme une sorte de procureur rouge qui leur cherche des ennuis, tandis qu’à gauche on vous a parfois reproché d’être la caution d’un système judiciaire garantissant l’impunité aux forces de l’ordre. Que leur répondez-vous ?  

Comme chaque citoyen, j’ai mes convictions politiques. Elles restent à la porte de mon bureau. Ce qui m’importe, c’est d’enquêter sur les faits dénoncés pour voir si je suis en mesure d’apporter des preuves ou pas. Je ne pense pas être « anti-flics », pas plus que je ne pense, comme le disent certains avocats, protéger la police. Il m’importe de veiller au respect de l’institution police. Et de mettre un coup de pied dans la fourmilière quand des policiers sont sortis des clous. 

Vous êtes un magistrat porté sur le dialogue : avec les organisations qui vous proposent de débattre, comme récemment le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, avec les proches de victimes de violences policières, avec la presse. Pourquoi tenir cette ligne quand l’ensemble de l’institution judiciaire a plutôt tendance à se refermer sur elle-même pour se préserver des interférences extérieures et, peut-être, de la critique ? 

Au sujet de cette conférence à Bobigny, début mai, certains m’ont dit « c’est connoté ». J’ai dit « oui, c’est connoté à gauche ». Mais est-ce qu’ailleurs, sur l’échiquier politique, on s’intéresse beaucoup aux violences policières illégitimes ? Je ne pense pas. Il était important, à mon avis, qu’un magistrat soit là pour exposer son rôle. J’ai d’ailleurs regretté de ne pas avoir beaucoup de dialogue avec les organisations de police, plutôt que cette critique systématique. 

Illustration 5Agrandir l’image : Illustration 5
Loïc Pageot. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Quand je croise Amal Bentounsi, la sœur d’Amine Bentounsi [tué d’une balle dans le dos en 2012 par un policier qui a été condamné – ndlr], elle vient toujours me saluer. Elle s’est impliquée dans un mouvement appelé « Urgence notre police assassine », on n’est pas du même avis, mais on a toujours réussi à discuter. C’est ce qui me paraît important, le dialogue, l’écoute de l’autre, pour se forger une opinion et parfois se sortir d’un préjugé dans lequel on est enfermé. C’est ce qui manque dans notre société, actuellement. 

Avez-vous observé des fragilités récurrentes dans l’éthique des forces de l’ordre ? Une forme de perte de repères ? 

La formation à la déontologie, telle que je la conçois pour les policiers comme pour tout corps de métier, consiste à faire appel à des intervenants extérieurs, notamment des sociologues. Les écoles de police le font de moins en moins et le créneau réservé à la déontologie est très réduit. Quand je vois des policiers arriver à l’audience, ces considérations paraissent bien loin. Soit ils dormaient à ce moment-là, soit ça leur est vraiment passé au-dessus.  

Un rapport parlementaire récent sur le narcotrafic alerte sur la vulnérabilité des forces de l’ordre à la corruption. Quels types d’affaires avez-vous connues dans ce domaine-là ? 

Rien au niveau du narcotrafic. Même s’il existe en Seine-Saint-Denis, c’est évident, je n’ai pas eu d’affaires à traiter en la matière. 

En revanche, j’ai eu plusieurs affaires où des policiers se sont servis des fichiers à d’autres fins que strictement professionnelles. La curiosité malsaine est déjà une infraction. Mais il y a aussi des demandes faites par des gens peu recommandables, qui donnent lieu à des rémunérations parfois substantielles. Je pense notamment aux réseaux de trafic de voitures pour lesquelles on demande à des policiers d’effacer une voiture du fichier des véhicules volés, ce qui permet ensuite de la revendre et de l’exporter. C’est un trafic qui se porte bien, avec des policiers qui n’ont pas beaucoup de scrupules déontologiques. Plusieurs dossiers d’ampleur sont à l’instruction actuellement. On est dans la corruption, très clairement. On a aussi des exemples autour des débits de boisson, ou quand il s’agit d’expulser des gens de leur logement avec l’aide d’un policier qu’on connaît.  

Existe-t-il une   omerta dans la police », pour reprendre le titre d’un livre publié par des policiers l’an dernier ? Arrive-t-il que les dénonciations de déviances policières viennent de l’intérieur des services de police ?  

Un certain nombre d’affaires, parfois importantes, sont sorties parce que des collègues ou la hiérarchie me les ont signalées. Cela n’existait pas il y a une dizaine d’années. L’article 40 du code de procédure pénale, qui impose à tout fonctionnaire de porter de possibles infractions à la connaissance du procureur de la République, n’était pas un réflexe. On jetait un voile pudique sur ces situations, notamment au nom de la culture du résultat. Aujourd’hui, des commissaires prennent leurs responsabilités et dénoncent. C’est une évolution dans les états d’esprit. Je ne pense pas que ce soit facile à vivre pour eux. Quelqu’un qui vient cracher dans la soupe, c’est très mal vu. Il en fait parfois les frais et se retrouve placardisé.   

Beaucoup de critiques visant l’institution policière portent sur le principe d’égalité des citoyens devant la loi et la notion d’impunité. Pourquoi les policiers ne sont jamais envoyés en comparution immédiate ? Très exceptionnellement placés en détention provisoire ? Comment expliquer que les peines requises et prononcées contre les policiers, notamment pour des violences, soient beaucoup plus légères que celles que l’on peut observer dans des procès « classiques », concernant des délinquants de droit commun ? 

Des policiers jugés en comparution immédiate, ça arrive. Mais c’est difficile parce que soit les faits sont d’une grande gravité, qui va nécessiter l’ouverture d’une information judiciaire, soit on saisit un service d’enquête à qui l’on demande un travail de fond. Il faut ressortir tous les éléments de procédure, accéder à des vidéos… Cela ne se prête pas à la procédure de comparution immédiate. 

Sur la détention provisoire, la règle est la même pour tous, en fonction de la gravité des faits et des garanties de représentation qu’il offre. On en a beaucoup parlé l’été dernier, après l’affaire Nahel et l’affaire Hedi à Marseille [pour lesquelles deux policiers ont été placés en détention provisoire – ndlr]. Les propos du DGPN [estimant qu’« avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison » – ndlr] visaient peut-être à apaiser un mouvement de rébellion, mais à mon avis ces considérations n’avaient pas lieu d’être. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait accepter qu’un policier ne puisse pas être placé en détention provisoire. 

Quant aux peines d’emprisonnement ferme, on y recourt dans deux cas : parce que les faits sont très graves ou parce que la personne a un casier judiciaire long comme un jour sans fin, les avertissements n’ont pas été suivis d’effets. Fort heureusement, un policier a en général un casier vierge.

Le tribunal correctionnel de Bobigny a récemment condamné un policier pour la troisième fois, toujours pour des violences.  

Et il a été condamné à six mois d’emprisonnement ferme et une interdiction définitive d’exercer. Donc vous voyez, la règle s’applique. 

Parlons de la correctionnalisation du « faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique », des faits de nature criminelle. Pourquoi êtes-vous favorable à ce que ces affaires soient jugées par le tribunal correctionnel ?  

Si l’on applique la loi dans toute sa rigueur, un faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique relève de la cour criminelle départementale, avec une peine encourue de quinze ans de réclusion criminelle. L’affaire doit passer par l’instruction. Elle sera jugée cinq à sept ans plus tard. En la correctionnalisant, je peux la faire juger par le tribunal dans l’année qui suit, avec une peine qui, au bout du compte, sera la même. La correctionnalisation qui me déplaît, c’est celle du viol. Je n’ai jamais supporté qu’on passe ce marché avec une victime.

Plusieurs affaires que vous avez eues à traiter concernent un usage disproportionné des armes, parfois mortel. Que pensez-vous de la manière dont ces armes sont distribuées, dont les policiers sont formés à s’en servir et à s’approprier la législation qui les encadre ? 

Commençons par les armes de catégorie intermédiaire : les LBD, les pistolets à impulsion électrique, les matraques télescopiques, les grenades. En France, nous en avons un usage beaucoup plus important que dans les pays voisins. Pourtant, les phénomènes de délinquance sont les mêmes qu’en Belgique, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Le surarmement ne me paraît pas être une garantie de quoi que ce soit. 

Ces armes sont quand même extrêmement dangereuses. Elles provoquent des lésions graves. Elles sont trop utilisées, dans des conditions qui ne sont pas toujours conformes aux instructions données. Toutes ces personnes éborgnées par des LBD ou des éclats de grenades lors de manifestations, était-ce bien nécessaire ? Avait-on besoin d’en arriver là ? On en revient aux problèmes de formation et d’encadrement.

En ce qui concerne les armes à feu, il est évident que leur utilisation s’est développée depuis la loi de 2017, notamment sur les refus d’obtempérer. À mon avis, la loi n’a pas dit grand-chose de neuf. Mais dans la façon dont ça a été présenté et interprété, je pense que ça a été conçu par certains policiers comme un permis, non pas de tuer, mais de tirer. Or, à  partir du moment où vous vous servez d’une arme à feu, il y a un résultat qui peut arriver. Dans un certain nombre d’affaires, on aurait pu se dispenser de tirer, de blesser grièvement ou de tuer. 

Vous répétez souvent, dans vos audiences, que la parole d’un simple citoyen a autant de valeur que celle d’un policier. Au contraire, Gérald Darmanin a déclaré fin mai que « la parole du policier et du gendarme est supérieure à celle de celui qu’il arrête ». Qu’en pensez-vous ? 

J’aurais bien aimé savoir sur quelle considération légale se fonde le ministre de l’intérieur. Je n’en connais pas.

Camille Polloni

NOTE D'YVAN BALCHOY

Une émission récente à propos de la justice américaine a révélé combien de personnes suite à un harcèlement basé sur sur des mensonges policiers a obtenu des aveux parfois révélés impossibles après une peine de plus de dis ans parfois.

Le droit de mentir accordé aux policiers des USA et, semble-t-il, en France aussi ? rend anti-démocratique et donc illégitime ceux qui en usent.

Yvan Balchoy

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article