07-06-24- EN NOUVELLE CALEDONIE LA MACHINE JUDIDIAIRE TOURNE A PLEIN REGIME (MEDIAPART)
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Lors d'un rassemblement devant le palais de justice de Nouméa en soutien à 14 militants jugés pour entrave à la circulation et dégradation de biens, le 13 mai 2024. © Photo Théo Rouby / AFP
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En Nouvelle-Calédonie, la machine judiciaire tourne à plein régime
Le tribunal de Nouméa se retrouve à l’épicentre de la répression judiciaire des révoltes. C’est aussi dans cette enceinte que débutent des enquêtes au long cours, notamment sur les sept morts recensées depuis le 13 mai.
Jérôme Hourdeaux, Pascale Pascariello et Camille Polloni
3 juin 2024 à 15h32
Depuis le début de la crise en Nouvelle-Calédonie, et des « troubles à l’ordre public » qu’elle a engendrés, 725 personnes ont été interpellées, d’après le bilan du haut-commissariat de la République au 1er juin. Au tribunal de Nouméa, où toutes les affaires non urgentes sont remises à plus tard, une audience de comparution immédiate se tient chaque jour, contre deux par semaine en temps normal.
Les condamnations y sont expéditives et sévères, comme demandé par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui a appelé les magistrat·es à « garantir les sanctions les plus lourdes contre les émeutiers et les pillards ».
Le mercredi 29 mai, deux jeunes indépendantistes kanak de 21 et 24 ans ont ainsi été condamnés à six mois de prison, avec mandat de dépôt, pour avoir jeté respectivement une bouteille et un caillou en direction des blindés de la gendarmerie. Deux jours plus tôt, c’est un homme kanak de 38 ans qui est parti en prison pour deux ans.
Le 15 mai, Henrick W. transportait une dizaine d’émeutiers armés dans la benne de son pick-up, drapeau de la Kanaky au vent, quand deux voitures de police l’ont bloqué à l’entrée d’une station-service. Il est accusé d’avoir redémarré et foncé sur un policier, contraint de tirer sur le véhicule pour l’arrêter, sans succès.
« J’ai pensé que c’était la milice, j’ai eu peur qu’on nous tue », a expliqué le prévenu, qui s’était rendu au commissariat quelques jours après les faits. « Les milices qui tuent des émeutiers, c’est une invention, une création de toutes pièces », lui a rétorqué le procureur, alors que des Kanak ont bien été tués par des civils.
Lundi 27 mai, le représentant du ministère public a requis une peine de privation des droits civiques contre tous les prévenus qui se sont retrouvés face à lui. Comme Mendy B., 29 ans, jusqu’ici inconnu de la justice, condamné à un an de prison ferme avec mandat de dépôt pour avoir atteint la jambière d’un policier avec sa fronde.
La semaine précédente, quatre prévenus étaient jugés pour vol après s’être servis dans des magasins pillés : des cartons de bières dans un supermarché, des appareils électroménagers chez Darty. Ils ont été conduits au tribunal en hélicoptère pour recevoir leur peine : huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour deux d’entre eux, une peine aménageable pour les deux autres. Dès le 16 mai, quatre jeunes hommes étaient condamnés à des peines de prison ferme pour avoir forcé les portes d’un Carrefour Market et volé des bouteilles d’alcool.
Dans leur cas, le tribunal n’a pas ordonné d’incarcération immédiate, compte tenu de la situation intenable à la prison de Nouméa. Le Camp-Est « affiche des taux de surpopulation en moyenne de 150 % », rappelle à Mediapart un magistrat du tribunal de Nouméa. « Mais depuis le début des affrontements, on atteint près de 220 %. Cela s’explique par les mutineries du 13 et 14 mai qui ont fait perdre plus d’une centaine de places [sur les 400 effectives – ndlr] mais également par la sévérité des peines prononcées, qui ne contribue pas à désengorger la prison, déplore-t-il. Les détenus sont quatre, cinq, voire six par cellule prévue normalement pour deux. Et les droits de promenade ont été réduits. Ce sont des conditions absolument inhumaines. »
La situation « explosive » de la prison de Nouméa
Les révoltes en Nouvelle-Calédonie ont déjà donné lieu à une cinquantaine d’incarcérations supplémentaires. Le magistrat cité ci-dessus s’étonne que cette situation potentiellement « explosive » ne fasse pas l’objet d’une visite de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui avait déjà formulé des recommandations en urgence en 2011 et 2019. « Le droit au respect de la dignité doit être garanti », rappelle-t-il, s’attendant à une hausse des recours contre les conditions de détention indignes, « qui seraient tout à fait légitimes compte tenu de la situation ».
Mercredi, le président du tribunal de Nouméa, Philippe Guislain, a d’ailleurs invité ceux qu’il venait de condamner à envisager un recours contre les conditions de détention au Camp-Est. Face à cette situation catastrophique, également pointée par le personnel pénitentiaire, trente détenus ont été transférés ces derniers jours vers la nouvelle prison de Koné, la capitale du Nord, ouverte en février 2023. D’autres pourraient être envoyés en métropole.
Toutes les personnes présentées à la justice pour leur participation supposée aux révoltes qui embrasent l’archipel depuis quinze jours n’ont pas encore été jugées. Certaines doivent l’être plus tard, soit à leur demande – c’est un droit, en comparution immédiate –, soit parce que le parquet a choisi une autre voie de poursuite. Si ce délai laisse augurer des procès plus sereins, il n’a pas que des avantages.
Marcel Toyon, membre de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et président de l’association caritative Action solidaire, en a fait l’amère expérience. Depuis le 23 mai, cette figure locale de 45 ans dort en prison. Il lui est reproché d’avoir contribué à l’installation d’une barricade près de l’usine de nickel SLN, le 8 mai, en transportant des palettes dans sa voiture. Aux côtés de six autres hommes, le militant indépendantiste doit être jugé le 6 août pour complicité d’entrave à la circulation, un délit relativement mineur. Le chemin qui l’a conduit en détention a de quoi laisser perplexe.
C’était une situation d’urgence, tout le monde était chez soi en train de se calfeutrer.
Pierre Ortet, avocat de Marcel Toyon
Placé sous contrôle judiciaire contre l’avis du parquet le 10 mai, Marcel Toyon avait l’interdiction de participer à une manifestation et de détenir une arme. Il devait aussi pointer quotidiennement au commissariat de Nouméa. Le 13 mai, il a obtenu un allègement de cette obligation, restreinte à un pointage par semaine. Mais, attendu le lendemain, il ne s’est pas présenté.
« C’était une situation d’urgence, tout le monde était chez soi en train de se calfeutrer, soutient son avocat, Pierre Ortet. Personne ne pouvait utilement se rendre au commissariat. Même dans les gros dossiers, les obligations de pointage n’étaient pas respectées. Mon client n’a pas bougé de chez lui, il a barricadé son association pour éviter les vols. »
Marcel Toyon vit dans le quartier de Montravel, relativement difficile d’accès, à proximité d’une entreprise incendiée et pillée. Au bout de quelques jours, les gendarmes sont venus le chercher à son domicile. Un juge des libertés a ordonné son placement en détention, confirmé le 29 mai par la cour d’appel de Nouméa. Dans sa décision, celle-ci fustige la « mauvaise foi avérée » du militant, qui avait fait valoir une confusion entre les obligations de son contrôle judiciaire et celles de son assignation à résidence administrative. Son avocat, qui entend déposer une nouvelle demande de mise en liberté, indique qu’il a été « placé à l’isolement » dès son arrivée en prison.
Les avocats proches des indépendantistes pointés du doigt
Louise Chauchat fait partie des quelques avocat·es à défendre des Kanak. Pour l’instant, elle n’a pas encore traité de dossier judiciaire et s’est concentrée sur les cas de neuf personnes assignées à résidence. Une position délicate à tenir au sein d’un barreau qu’elle décrit comme « majoritairement loyaliste ».
D’autant plus que Me Chauchat est aussi militante et qu’elle n’hésite jamais à prendre position dans les médias en faveur de l’indépendance de l’archipel.
« J’ai toujours été un peu marginalisée, raconte-t-elle à Mediapart. Je suis déjà très étiquetée par mon père [Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie – ndlr]. Et quand nous avons coécrit notre livre [Le Sens du oui, un essai sur la sortie de l’accord de Nouméa – ndlr], ça a encore compliqué les relations avec le barreau, où il est très difficile de porter la voix des indépendantistes à la même hauteur que les autres. Mais là, c’est encore plus violent. »
Depuis qu’elle s’est publiquement exprimée sur les révoltes, Louise Chauchat et son associé ont reçu une avalanche de messages plus ou moins agressifs. « Aujourd’hui ça va un peu mieux : je ne reçois plus tous les jours des insultes », dit-elle. Mais l’avocate a également été attaquée par son propre bâtonnier, Me Philippe Reuter, qui a envoyé un mail le 10 mai à l’ensemble du barreau de Nouméa pour s’indigner d’une interview donnée par sa consœur « à un média métropolitain ».
Il y a notamment écrit : « Il m’apparaît que les propos militants tenus, visant à justifier les exactions des membres d’une organisation politique dont la population calédonienne est la victime, au travers d’actes de destructions massives, de violences et d’agressions en tous genres, sont, d’une part, totalement indécents eu égard à ce contexte, mais, d’autre part, contreviennent gravement aux principes de modération et de délicatesse auxquels nous sommes tenus par notre serment. »
Si le nom de Me Chauchat n’était pas cité, l’ensemble des destinataires a bien entendu identifié qui était visé par ce message. D’autant que l’intéressée a de nouveau été visée, là encore sans être directement citée, dans un communiqué du barreau daté du 24 mai. Consacré à la situation en Nouvelle-Calédonie, le communiqué en question épinglait au passage « les actions et propos militants émanant d’un avocat » qui « n’engagent que leur auteur ».
« Il n’y a pas de tension particulière », assure cependant à Mediapart Me Philippe Reuter, qui défend le travail de ses collègues. « Tous les avocats que je désigne pour défendre les émeutiers font leur job et le font bien », assure-t-il.
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Le palais de justice de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) le 31 mai 2024. © Photo Théo Rouby / AFP
Le bâtonnier explique que les prises de position de Me Chauchat ont suscité une vive émotion au sein du barreau de Nouméa. « Dans ses interventions médiatiques, elle a énoncé un certain nombre de contre-vérités, poursuit Me Reuter, notamment lorsqu’elle a décrit la CCAT comme un mouvement pacifique et non violent. C’était tout simplement à rebours de ce que vivaient les gens sur place. »
« Me Chauchat a ses opinions et sa liberté d’expression que je respecte totalement, reprend-il, mais l’usage veut que lorsqu’un avocat doit s’exprimer dans les médias sur un sujet chaud, il en discute avec son bâtonnier. Et il pourrait lui dire, avec son expérience, que ce n’est pas le moment de jeter de l’huile sur le feu en tenant des propos militants. »
Outre ses confrères et consœurs, Louise Chauchat doit aussi composer avec des clients souvent très méfiants. « C’est une population très défavorisée qui, par réflexe, se méfie de la justice et qui n’a pas l’habitude d’entamer des procédures, explique-t-elle. Par mon père et par mes prises de position, certains contacts sont facilités. Mais quand je reçois les gens, je dois encore les rassurer pour qu’ils collaborent avec la justice. Il y a tout un travail à faire pour établir une confiance et qui n’est pas toujours gagné. »
Parmi les personnes interpellées figure une majorité de Kanak ayant un accès parfois limité aux moyens de communication. Pour les aider à connaître leurs droits, mais aussi pour les inciter à les faire valoir, la Legal Team antiracisme avait diffusé sur les réseaux sociaux un document rappelant les principales consignes à respecter en cas d’arrestation.
Des enquêtes de longue haleine
Les événements récents ont aussi déclenché l’ouverture de plusieurs enquêtes criminelles appelées à durer des mois, voire des années. C’est le cas, bien sûr, de celles qui portent sur les sept homicides recensés depuis le début des violences, cinq civils et deux gendarmes – l’un tué par balle dans son véhicule, l’autre par le tir accidentel d’un collègue.
Mercredi 29 mai, un homme a été grièvement blessé par un gendarme du GIGN alors que l’unité essuyait des tirs. Deux enquêtes ont été ouvertes, l’une pour tentative d’homicide sur les gendarmes, l’autre en recherche des causes des blessures sur l’homme touché. Le procureur a indiqué privilégier la piste « de la légitime défense ».
Lundi 3 juin, à Païta, des gendarmes en repos ont eux aussi « riposté » à des tirs au niveau d’un barrage, a annoncé le parquet. Deux hommes ont été blessés par balles, l’un à la tête et l’autre au bras. Le procureur a ouvert une enquête pour « tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique », ajoutant que « les enquêteurs procèdent également à l’audition des gendarmes ayant fait usage de leur arme ».
Deux autres enquêtes concernent des membres des forces de l’ordre : l’une pour des violences commises par trois agents de police municipale et filmées, l’autre visant une policière adjointe soupçonnée d’avoir divulgué des informations confidentielles pour renseigner les émeutiers.
Dès le 17 mai, le parquet de Nouméa a annoncé l’ouverture d’une vaste enquête visant « les commanditaires » des émeutes et « notamment les responsables de la CCAT » – qualifiée d’organisation « mafieuse » par le ministre de l’intérieur et des outre-mer Gérard Darmanin –, en raison « de leurs déclarations publiques et de leurs mots d’ordre ». Elle vise de nombreux délits, parmi lesquels association de malfaiteurs, vols, dégradations par incendie en bande organisée, groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, ou encore complicité de meurtre.
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Mercredi 29 mai, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié, qui présentait les conclusions du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, avait totalement assumé ce ciblage de la CCAT, qu’il a qualifiée de « bras armé » du mouvement indépendantiste. Sur les vingt-neuf assignations à résidence ordonnées, vingt-cinq visaient d’ailleurs des membres de la CCAT. Et les trente-trois perquisitions administratives ont été menées « quasi exclusivement » chez des membres de l’organisation politique, a détaillé le député Renaissance.
Corapporteur de la mission, le député La France insoumise (LFI) Davy Rimane a souligné que la majorité des victimes civiles étaient kanak. Or, les mesures individuelles de l’état d’urgence ont visé exclusivement des militants indépendantistes. « On aurait pu par exemple désarmer les milices d’autodéfense, a souligné l’élu de Guyane. On a vu des images des milices qui marchaient avec les forces de l’ordre dans les rues. J’ai un problème avec ça. »
Jérôme Hourdeaux, Pascale Pascariello et Camille Polloni
NOTE D'YVAN BALCHOY
Je pense ce matin à tous les Congolais que les Belgicains, ces colonisateurs qui croyaient que la couleur de leur peau s'appelaient SUPERIORITE en faisaient des civilisés ont assassinés comme le grand Lumumba qui les surplombait par son courage et sa culture et les milliers de pendus sous la bénédiction parfois de missiionnaires qui auraient du se révolter au nom de la parole du Crucifié. Dans toutes les colonies du monde et la nouvelle Caledonie ne fait exception que pour les aveugles la justice a puni l'amour de la Patrie et ce qui se passe à Noumea est exactement l'inverse de ce pour quoi tant de jeunes sont morts sur les plages de Normandie. L'indépendance des Canaques est aussi sacrée que celle de la Gaulle. (YB)