29-06-24-NOUVELLE CALEDONIE : UN ELU LES REPUBLICAINS CALEDONIENS PARMI LES MILICES (MEDIAPART)
https://www.mediapart.fr/journal/france/290524/nouvelle-caledonie-
Mercredi 15 mai, dans le quartier de Tuband à Nouméa, un élu loyaliste, Philippe Blaise, a été aperçu au milieu d’une milice armée de battes de baseball, de barres de fer et d’un couteau. Le vice-président de la Province Sud, membre des Républicains calédoniens, les appelle « mes mecs ».
Bérénice Gabriel et Sidoine Tesson Godefroy
29 mai 2024 à 19h59
« C’est« C’est un élu, c’est un élu ce bâtard ! », s’exclame au début d’un live Facebook tourné le mercredi 15 mai, un habitant du quartier de Tuband, au sud-est de Nouméa. Depuis quelques jours, un bruit persistant agite les groupes de discussion privés indépendantistes, sur Messenger : des élus loyalistes seraient présents aux côtés de ceux qu’ils qualifient de « milice blanche ».
Mediapart s’est procuré deux vidéos, d’une quinzaine de minutes chacune, filmées ce jour-là par deux habitants dans le quartier de Tuband et publiées sur Facebook. L’un des hommes filmés est bien un élu. Il s’agit de Philippe Blaise, membre du parti Les Républicains calédoniens (lire notre boîte noire) et vice-président de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, dirigée par l’ex-secrétaire d’État Sonia Backès (Les Républicains calédoniens également).
Sur la vidéo, on aperçoit Philippe Blaise, casque à la main et gilet pare-balles sur la poitrine. L’élu loyaliste est posté debout à proximité du rond-point de l’Eau-Vive, à l’entrée du quartier, accompagné d’un groupe composé de quelques femmes et d’une majorité d’hommes. Ils sont pour la plupart masqués, cagoulés, casqués. Certains tiennent à la main des battes de baseball, un club de golf, ou une barre de fer. L’un d’entre eux est muni d’un grand couteau, sorte de machette.
© Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec documents
Mediapart a pu entrer en contact avec une habitante kanak du quartier de Tuband qui souhaite garder l’anonymat, par peur d’éventuelles représailles. Elle était présente lors des faits et a même interpellé Philippe Blaise. Hyacinthe* raconte : « On voyait des gens en bas, des messieurs blancs, s’étaler sur le parking. » Ce parking est situé juste à l’entrée de son lotissement. Un lieu de passage selon Hyacinthe, que les habitant·es empruntent « pour aller à la mer ou faire les courses ».
Hyacinthe, accompagnée de voisins, explique être allée interpeller le groupe. En arrivant face à un homme casqué, elle affirme avoir immédiatement reconnu Philippe Blaise. « Je crois qu’il ne s’y attendait pas, M. Blaise, à ce qu’on le reconnaisse avec son casque et son gilet pare-balles. » Selon le témoignage de la riveraine, l’élu aurait alors ôté son couvre-chef et entamé une discussion avec les habitant·es de Tuband.
« C’est ça l’exemple d’un élu ? »
« Il m’a dit qu’ils ne nous empêchaient pas de passer mais qu’ils étaient là pour protéger leurs maisons », poursuit Hyacinte, qui habite dans le quartier depuis plus de dix ans et assure que Philippe Blaise, lui, n’y vit pas. Elle confie avoir « eu peur » face à ces hommes armés. « Il y en avait un qui avait un sabre derrière son sac à dos, raconte-t-elle, conformément à ce qu’on entend sur l’une des vidéos. C’est de la provocation. C’est ça l’exemple d’un élu de la Province Sud ? » Hyacinte l’assure : « Nous, on n’avait pas d’armes, juste des cailloux. »
Mediapart a contacté l’élu loyaliste (voir l’intégralité de sa réponse en annexe), concernant sa venue au rond-point de l’Eau-Vive, le mercredi 15 mai. Philippe Blaise nous indique que sa présence était « fortuite » et qu’à son arrivée, il a dû faire face à un « un groupe de résidents du quartier, dont des jeunes le visage caché et avec des pierres dans la main ». Il précise : « J’ai décidé de me protéger avec un gilet pare-balles, car je faisais déjà l’objet d’un ciblage avec des menaces de mort sur les réseaux sociaux indépendantistes. »
Sur la présence d’armes dans le groupe qui l’accompagne – que Philippe Blaise qualifie de « bâtons » –, il indique qu’il s’agit de « protection après plusieurs jours de violences urbaines où les émeutiers ont jeté des pierres sur les habitants et les véhicules ». L’élu insiste sur le fait d’avoir « donné consigne aux gens porteurs d’armes blanches dans la foule qui était présente sur place de les retirer car elles engendraient des tensions néfastes ».
Un des habitants qui filme, le plus jeune des deux, s’énerve du fait qu’un homme porte à la main une batte de baseball alors que l’élu lui demande de « poser les cailloux » qu’il tient. Philippe Blaise assure : « Il n’est pas venu pour toi, il est venu pour protéger sa famille. » Avant d’ajouter : « C’est notre rôle, c’est notre ville. » Un rôle en réalité dévolu aux forces de l’ordre, comme l’a rappelé Emmanuel Macron lors de sa visite éclair dans l’archipel : « En France, c’est pas chacun qui se défend, il y a un ordre républicain, ce sont les forces de sécurité qui l’assurent. »
Questionné par Mediapart, Philippe Blaise répond qu’il ne considère pas « faire le travail de la police », mais être dans son rôle d’élu : « C’est la place d’un élu de terrain de venir soutenir sur le terrain ses administrés lorsqu’ils sont victimes de violences organisées, planifiées et préméditées, avec une tentative de prise en otage de quartiers et des actions violentes contre les habitants, avec des forces de l’ordre dépassées et dans l’incapacité d’assurer leur protection. » Et d’insister : « C’est la place d’un élu d’être en première ligne quand l’ordre public s’effondre. »
Face aux habitant·es, l’élu loyaliste indique que « les gens ne sont pas venus pour [les] agresser, mais ils sont venus parce que c’est leur quartier et qu’il y a des jeunes [Kanak] qui brûlent et qui empêchent de passer », en référence au barrage tenu par les indépendantistes à l’entrée du quartier de Tuband, à l’emplacement même où se sont produits ces échanges filmés. Ce à quoi une riveraine kanak lui répond qu’il s’agit aussi de leur quartier.
Hyacinthe confirme auprès de Mediapart que des jeunes avaient « fait du feu et mis le drapeau » de la Kanaky à cet endroit. « Ils ont brûlé des palettes de bois et des pneus, comme vous voyez ça partout en ce moment », poursuit-elle, avant de préciser que la veille de la venue de Philippe Blaise, les forces de l’ordre avaient déjà évacué le rond-point. Hyacinthe affirme bien s’en souvenir car elle avait esquivé de peu un tir de flash-ball en allant chercher ses enfants. Selon elle, il n’y avait plus personne lorsque l’élu et les civils armés se sont postés là.
« Ne faites pas le travail de la police ! »
Dans la vidéo, la façon dont Philippe Blaise parle des civils armés autour de lui interroge. Il parle d’eux comme de « [ses] mecs ». Cela signifie-t-il qu’il dirige cette milice armée ? « Je ne participe pour ma part ni n’organise aucune milice armée », répond l’élu, qui explique avoir réactivé « un réseau informel de militants et de citoyens bénévoles » déjà existant après avoir été « alerté informellement par des membres de la police qu’il risquait d’y avoir des émeutes ». Il assume néanmoins avoir un rôle « catalyseur » sur les dispositifs de sécurité grâce à ses « relations personnelles » et son « expérience ».
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Depuis le début des révoltes, l’élu, qui indique à Mediapart avoir été lui-même la cible de menaces, poste régulièrement des messages sur son compte Facebook. Le 13 mai, il appelait par exemple les habitants de Nouméa à « s’organiser entre voisins, à chaque fois que cela est possible, pour être en mesure de sécuriser solidairement leurs rues ». « Les forces de l’ordre étant mobilisées sur les points chauds, elles ne peuvent pas intervenir partout. Chaque rue sécurisée allégera leur travail », concluait-il.
Deux jours plus tard, il demandait aux « citoyens courageux » qui participent à « la sécurisation de leur quartier » d’éviter de poster des photos et vidéos sur leurs propres réseaux sociaux afin d’éviter d’alimenter ce qu’il appelait alors « la campagne de haine des réseaux indépendantistes », mais aussi d’éviter de « dévoiler [leurs] dispositifs ou [leurs] personnels ».
Bérénice Gabriel et Sidoine Tesson Godefroy
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Boîte noire
*Cet article a été amendé jeudi 30 mai au matin en précisant que Philippe Blaise fait parti des Républicains calédoniens, issu d’une scission des Républicains sur place, et désormais allié à Renaissance (lire ici).
* prénoms d’emprunt