29-04-24- COMMENT LES MARXISTES DU PTB SONT DEVENUS INCONTOURNABLES DANS LA POLITIQUE BELGE (LUDOVIC LAMENT- MEDIAPART)
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Comment les marxistes du PTB sont devenus incontournables dans la politique belge
Alors que les extrêmes droites grimpent partout en Europe, le Parti du travail belge, emmené par Raoul Hedebouw, est une exception. À l’approche des élections du 9 juin, Mediapart a suivi ce parti marxiste quelques jours en campagne.
Ludovic Lamant
28 avril 2024 à 12h00
Bruxelles, Mons (Belgique).– Les terrasses de la Grand-Place de Mons débordent de monde en ce vendredi soir d’avril, où touristes et étudiant·es profitent des premiers instants du printemps. Mais c’est à un rendez-vous bien plus studieux que le Parti du travail de Belgique, le PTB, a invité ses sympathisant·es, à l’intérieur d’un pub à quelques encablures de là, en plein cœur historique de la cité wallonne.
Les sections locales de Mons – des « groupes de base » dans la terminologie PTB – ont organisé une étape de la « tournée » : une forme de précampagne où des responsables du parti marxiste présentent à un noyau dur de convaincu·es les priorités du programme et rodent l’argumentaire pour les semaines à venir. « On met en avant nos propositions phares, pour enthousiasmer, mobiliser », explique Sophie Merckx, une ancienne médecin généraliste de 49 ans, vingt-huit ans d’adhésion au parti, devenue députée fédérale en 2019.
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Raoul Hedebouw à Bruxelles, le 14 janvier 2024. © Photo James Arthue Gekiere / Belga via AFP
Dans la salle, une petite centaine de personnes ont répondu présentes, dont beaucoup de membres de la Comac, l’organisation des étudiant·es du PTB. Des vidéos sont projetées et des quiz organisés. Le PTB réclame la division par deux du salaire des ministres et parlementaires, la suppression d’une taxe sur le ramassage des poubelles en Wallonie (« marre de payer 150 euros pour sortir nos poubelles ») ou encore des transports publics gratuits (contre le « climato-élitisme » des partis écolos).
Mais la proposition vedette du PTB reste sa taxe sur les millionnaires, que le parti a remaniée en début d’année – suscitant des commentaires sur un adoucissement de sa ligne. Il proposait jusqu’à présent de taxer les Belges dont la fortune dépasse le million d’euros. Désormais, une taxe de 2 % s’appliquerait aux patrimoines de plus de cinq millions d’euros (et de 3 % au-delà de dix millions). « Nous avons voulu mieux cibler les plus riches qui échappent vraiment à toute taxe, assure Sophie Merckx. On arriverait à dégager huit milliards par an. »
Vers un « front de gauche » en Wallonie ?
« En 2000, il y avait un milliardaire en Belgique. Aujourd’hui, ils sont 41 ! », lance encore la députée, suscitant l’indignation de la salle. Mons est un fief historique du PS, associé à la gestion d’Elio Di Rupo, l’ancien premier ministre de la Belgique qui fut aussi bourgmestre de la ville pendant dix-huit ans. Comme ce fut le cas aux élections de 2019, le PTB espère bien continuer de mordre sur l’électorat du PS de Paul Magnette, lors du mégascrutin du 9 juin prochain (législatives, régionales et européennes).
Dans un paysage déprimé pour les gauches en Europe, la santé du PTB est une exception. Les sondages encore fragiles pronostiquent une poussée du PTB au nord comme au sud du royaume, mais surtout un « sorpasso » dans la région clé de Bruxelles – c’est-à-dire une extrême gauche devant les sociaux-démocrates et les écologistes. À tel point que Thierry Bodson, patron de la FGTB, l’un des principaux syndicats du pays, a mis les pieds dans le plat, en février, plaidant pour un futur « front de gauche » PS-PTB-Écolo à l’échelle de la Wallonie. Depuis 2019, c’est une coalition de trois partis de droite et de gauche (PS, Écolo et MR) qui dirige la région Sud du pays.
Paul Magnette va faire son Jaurès en France, mais c’est un François Hollande en Belgique.
Raoul Hedebouw, président du PTB
Le PTB marxiste va-t-il finir par entrer dans une coalition après les élections de juin ? Dans l’entretien qu’il nous a accordé à Bruxelles, Raoul Hedebouw, figure ultra-médiatisée et président populaire du PTB, résume le dilemme à sa manière : « C’est une question qui traverse des partis dans toute l’Europe. Mais elle se pose de manière plus compliquée en Belgique, parce que nous sommes un pays de coalition. Il n’y a pas deux tours majoritaires comme en France. La volonté de rupture des potentiels partenaires est donc aussi importante que le rapport de force » qui sortira des urnes en juin.
Le natif de Liège, 46 ans, poursuit : « Je constate une fermeture assez grande des partis traditionnels. Vos lecteurs doivent se dire : c’est comme si Hedebouw devait négocier avec Hollande. Paul Magnette va faire son Jaurès en France, mais c’est un François Hollande en Belgique. Le PS belge raconte beaucoup de choses de gauche en France, mais ici, il vote la privatisation des services publics, il bloque les salaires du monde du travail, il refuse de ramener l’âge de la retraite de 67 à 65 ans. »
Le PTB réclame un accord sur un « agenda de rupture » avant toute participation, dont la fameuse taxe sur les millionnaires, le retour à 65 ans de l’âge de la retraite et le refus des cadres budgétaires imposés par la Commission européenne – ce « semestre européen » synonyme, pour le PTB, d’austérité. Problème : ces mesures dépendent d’un échelon fédéral – la Belgique tout entière – où le PTB a encore moins de chance de gouverner qu’à l’échelle de la région, vu la configuration du paysage politique en Flandre, qui penche beaucoup plus à droite et ne veut pas entendre parler d’un accord avec le PTB.
Leur stratégie n’a pas bougé : pas question de se brûler les ailes au fédéral.
Arthur Borriello, politologue
Seul acquis à ce stade : le parti d’Hedebouw semble bien disposé envers l’idée de bâtir des coalitions dans certaines villes, dans la foulée des municipales organisées en octobre prochain. « Les municipalités permettent de définir un rapport de force où l’on devient incontournables : à partir du moment où l’on ne peut pas se passer de nous, il y a plus de possibilités », insiste Hedebouw.
Dans un entretien à Mediapart, le secrétaire d’État Thomas Dermine dénonce le rapport « ambigu » du PTB au pouvoir, qu’il juge plus proche d’une ONG ou d’un lobby que d’un véritable parti désireux de s’emparer des institutions : « Le PTB ne va jamais aller dans un gouvernement », évacue le socialiste, un très proche de Paul Magnette. Dermine avait spéculé sur une alliance avec le PTB lors d’un débat public début avril, avant de se faire rappeler à l’ordre par son parti, preuve de la fébrilité des uns et des autres sur le sujet.
« L’image du PTB a changé, avance Arthur Borriello, politologue à l’université de Namur. Il n’est plus un outsider. Il n’y aura plus de surprise, mais peut-être une consolidation, aux élections de juin. Jusqu’alors, leur discours était de dire qu’il était impossible de gouverner, étant donné la trahison du PS. Mais cela ne pourra pas fonctionner éternellement. Même si, dans le fond, leur stratégie n’a pas bougé : pas question de se brûler les ailes au fédéral, et faire du PS le responsable de cette situation. »
L’eurodéputée écologiste Saskia Bricmont n’y croit pas non plus : « Ils arrivent à la table des négociations avec des propositions radicales qu’ils désignent comme leur ligne rouge, ce qui bloque d’emblée la négociation. Le PTB se sent bien dans l’opposition, dans le déclaratif, dans une posture populiste. »
Raoul Hedebouw au Parlement fédéral à Bruxelles, le jeudi 19 octobre 2023. © Photo James Arthue Gekiere / Belga via AFP
Si le PTB reste plus que prudent à l’idée d’une participation au pouvoir, c’est aussi qu’il a suivi le devenir d’autres partis réceptacles de la colère sociale, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne. « J’entends dire qu’on n’est que des observateurs de la vie politique, qu’on refuse de gouverner. Mais ce n’est pas ça ! La défaite majeure de partis de la gauche radicale, au moment de participer à des exécutifs, est qu’ils n’ont pas su négocier un rapport de force qui leur permette d’appliquer une vraie politique de gauche. »
Il poursuit : « Le PS espère que le PTB va accepter, lors des négociations, un carcan budgétaire qui empêche d’investir, et démontrer que la gauche radicale ne sert à rien. C’est un calcul cynique. Que se passe-t-il quand la gauche radicale se fourvoie dans une politique qui n’est pas de gauche ? C’est l’extrême droite qui vient ensuite. »
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NOTE D'YVAN BALCHOY
Je chemine avec le PTB depuis les années nonante durant lesquels j'ai participé comme bénévole entre autres à une revue de presse avec quelques camarades. En ce temps-là, sous la houlette et la connaissance historique de Ludo Martens, fondateur du parti qui, ne en Flandre s'appela d'abord AMADA (tout le pouvoir aux ouvriers) était vraiment et authentiquement marxiste. Si Raoul Hedebouw, président actuel a gardé une sympathie certaine pour certaines idées de Ludo, beaucoup de camarades ont préféré mêler pas mal de social-démocratie à la pureté primitive.
J'en suis décu mais malgré ces réserves je ne me vois pas voter pour un autre parti que le PTB tant les nationalistes très noirs du nord, les prétendus engagés et les socialistes embourgeoisés sont imbuvables.
Je voterai donc pour un parti bien né, bien parti mais aujourd'hui un peu embrouillé par la faute de quelques uns qui croient à tort que le social suffit à réhabiliter l'honneur d'un parti né initialement communiste.
Yvan Balchoy