26-04-24- LA LIBERTE DANS L'OEUVRE DE DOSTOÏEVSKI (1)
Comme je l'ai fait pour mon projet de roman :"MEURTRISSURE", en vous présentant les premières pages d'une étude sur le thème de la liberté, si important dans l'oeuvre de Dostoïevski, je vous demande de bien voulr me faire connaître par l'intermédiaire des commantaires prévus sur ce blog ou par e-mail vos réactions et critiques toujours bienvenues, MERCI !
PRELIMINAIRE
Dostoïevski fait partie des écrivains qui ne cessent de susciter un intérêt grandissant aujourd'hui. L'abondante bibliographie qui lui est consacrée en fait foi. Pourtant les écrits du grand romancier, dont certains « carnets » ou « matériaux » littéraires sont seulement en cours de publication, sont loin d'avoir encore livrés tous leurs secrets.
C'est la raison pour laquelle nous n'hésitons pas à aborder, après bien d'autres auteurs le thème de la liberté dans l'œuvre de Dostoïevski, en étant surtout attentifs à la dimension chrétienne de ce sujet. Notre étude envisagera surtout les œuvres de l'écrivain russe postérieures à 1870, en particulier les « Frères Karamazov » (1879-1880), son œuvre la plus représentative ; ce roman, le dernier de l'écrivain, date en effet de deux ans à peine avant sa mort. Lui-même en a souligné l'importance dans sa correspondance.(1) Il est donc permis d'y voir une sorte de testament spirituel. L'interprétation de ces célèbres pages, en particulier les chapitres : « La légende du grand Inquisiteur » et le « portrait du staretz Zossime », sera déterminante dans notre recherche.
Ces passages clés sont cependant l'aboutissement d'une réflexion qui s'est poursuivie tout au long de la vie de l'écrivain. L'éducation reçue par le jeune Dostoïevski et les influences qui se sont exercées sur lui durant la première moitié de sa vie nous en montreront les racines profondes. Si sa pensée, nous le verrons évolue sans cesse au cours de sa vie, elle s'inscrit cependant en une problématique pour ainsi dire constante. L'horizon spirituel des « Frères Karamazov » se devine déjà dans les essais timides du jeune écrivain au prise avec un succès envahissant, on le perçoit mieux dans la pensée plus solidement charpentée de l'ancien bagnard pourchassé par ses créanciers avant de la voir s'élaborer plus explicitement à partir de « Crime et Châtiment » La liberté chrétienne nous paraît être la clé de la synthèse finale qui se dégage peu à peu des recherches religieuses du romancier. Au cœur de quatre sections de cette étude, nous voudrions préciser les étapes de cette évolution, montrer la richesse qu'elle atteint à son apogée, ouvrir enfin un bref aperçu des perspectives qu'elle offre au chrétien d'aujourd'hui. Dans la première section, le description du vécu prendra le pas sur la réflexion.
Après avoir rappelé à grands traits l'évolution spirituelle de l'écrivain, nous évoquerons quelques personnages caractéristiques de son œuvre. Un examen attentif de l'anthropologie dostoïevskienne nous révélera dans la deuxième section l'importance du thème de la liberté dans l'œuvre du grand écrivain russe. Nous aurons ainsi l'occasion de relire plus en profondeur la première section sans cependant en dissiper toutes les obscurités. Pour y voir plus clair, la troisième section, la plus importante, élargira le débat en abordant les fondements religieux de la pensée de l'écrivain. Il y sera question de l'histoire du Salut accordé gratuitement par Dieu à l'humanité, puis aux modalités et aux exigences morales que requiert la rencontre du Christ, idéal incarné de l'humanité. Il nous restera en une ultime section à examiner d'un oeil critique la valeur de ce message religieux avant de conclure en rappelant au lecteur nos découvertes successives et surtout l'actualité grandissante des idées de Dostoïevski.
AVANT PROPOS : NOTES SUR LES SOURCES
Dostoïevski est d'abord un romancier. Or le roman est un genre littéraire difficile à exploiter lorsqu'il s'agit de mettre à jour les conceptions personnelles de l'écrivain. L'auteur des « Frères Karamazov » ne fait pas exception. Nous pouvons nous attendre à voir ses propres convictions défendues par certains de ses personnages les plus antipathiques, voire même par Satan. Rien de surprenant à cela chez un homme pour qui le principe même du mal réside dans la volonté humaine et peut donc cohabiter avec une intelligence saine et lucide (2) En revanche les opinions défendues par d'autres personnages « positifs » de Dostoïevski ne sont pas toujours les siennes car la vérité pour lui résulte souvent d'une recherche longue et pénible triomphant de contrevérités séduisantes.
Certaines pages romanesques gagnent donc à être éclairées par des textes parallèles du « Journal d'un écrivain » (3), de la correspondance ou de notes personnelles qui permettent de reconstituer la genèse d'une œuvre et de mieux discerner les idées de l'auteur. A cet égard l'excellence édition des « matériaux littéraires publiés par la collection « Héritage littéraire » en U.R.S.S. est indispensable. Dans ses « carnets » les éléments biographiques ne manquent pas. Il devient évident que nombre de personnages et d'évènements narrés par Dostoïevski trouvent leur source d'inspiration dans la vie et les rencontres de l'écrivain. Celui-ci reprend d'ailleurs parfois dans ses romans des idées déjà exprimées dans ses écrits intimes. C'est évident des descriptions de crises épileptiques de « l'Idiot » ou des « Démons ». La cruelle Pauline du « Joueur » évoque sans nul doute Pauline Souslova, une liaison orageuse de Dostoïevski qui l'accompagna à l'étranger.(4) Une partie de la profession de foi adressée à Mme Von Wisine (5) figure presque mot pour mot dans les « Démons », où elle est attribuée par Chatov à Stravoguine. (6) Ceci explique le ton de sincérité de tant de pages des romans de l'écrivain russe ? Comment composait-il ? Un examen attentif de ses carnets nous en donne une idée assez précise. On est frappé par le soin qu'il met à consulter les compétences, avocats, médecins, juges, psychologues pour être exact. Ainsi, on sait que dans « Les frères Karamazov », un petit garçon avant le passage d'un train « pour tenir un pari avec des camarades de classe se couche sur une voie de chemin de fer pour prouver qu'on peut s'aplatir sur les rails sans être éffleuré par le convoi. » Or, tout au début des carnets des « Frères Karamazov », il est écrit : « Se renseigner si on ne peut rester coucher entre des rails tandis qu'un train passe au-dessus de vous à toute vitesse (7) Mais le génie de Dostoïevski est aussi puissamment inventif, en particulier lors de la « création » de ses personnages. Comment procédait-il ? Il partait, nous le savons par sa correspondance, d'une ou plusieurs « idées » (8)
Chaque personnage important incarne une idée : le roman est fait de la rencontre ou du conflit de ces idées. Cette opposition idéologique se situe parfois même entre deux romans qui s 'élaborent simultanément dans la tête de l'écrivain. C'est le cas du « Double », des « Pauvres Gens » et de « l'Adolescent ». Ces différentes idées n'ont pas la même importance. La plupart des œuvres romancées de Dostoïevski sont construites autour d'un personnage principal. Le philosophe russe Berdiaïev a distingué à ce propos un double processus. Parfois une sorte de convergence relie tous les personnages secondaires vers l'idée ou la personne essentielle ; parfois en revanche, ce héros dominant rayonne vers les autres. Le prince Mychkine de « l'Idiot » est un cas type de la première espèce, Aliocha Karamazov, de la seconde.(9)
Le premier travail littéraire de Fédor Dostoïevski était purement mental. Un mois avant l'envoi à l'éditeur de son roman « Le Joueur », il n'en avait pas écrit une ligne. Pourtant tout le roman était en quelque sorte inscrit en son esprit. Dans ses carnets, Dostoïevski écrivait des notes fort brèves, souvent limitées à un mot suggestif, une sorte d'illumination soudaine à partir desquels il tirait mentalement tout un développement. Ce premier travail terminé, il passait à une deuxième « vague » qui consistait surtout à étoffer les principales scènes, c'est à dire celles où les idées se heurtent le plus violemment et pour lesquelles le roman tout entier est composé. Pour chacune de ces scènes, Dostoïevski procédait à plusieurs essais afin de sonder les différentes directions qu'elle était susceptible de prendre. Grâce aux carnets, nous savons qu'en général aucune de ces esquisses ne figure intégralement dans la version définitive. Le romancier ne paraît même pas toujours savoir en remplissant ses carnets à quel personnage il va confier telle ou telle autre parole.
C'est que l'idée, sa préoccupation majeure l'emporte à un tel point sur le personnage qu'elle ne se fixe parfois sur lui qu'après avoir été élaborée. L'idée fait le personnage à l'inverse de ce qui se passe d'habitude. (10) Cette hésitation se comprend d'autant mieux que Dostoïevski, homme profondément divisé est un peu partout en ses romans. Il lui arrive souvent de transposer le dédoublement dont il souffrait dabs deux personnages hostiles. Parfois au contraire c'est au sein d'un seul individu que s'accomplit de tragique conflit. (11)