27-06-23- INFLATION, TRAVAIL, PROFIT
Le 20/06/2023, par , 5170 signes
Des prix qui explosent, des indexations salariales qui ne parviennent pas à compenser ces hausses et un déficit budgétaire qui s’accroît tout en renforçant l’endettement public ; le paysage socioéconomique est préoccupant et les politiques adoptées par la Banque centrale européenne (BCE) pour « freiner l’inflation », ou par le gouvernement belge pour « ramener le budget dans des eaux plus calmes », ne sont pas rassurantes. C’est dans ce contexte que ce numéro propose de revenir sur les causes de l’inflation ainsi que sur les politiques mises en œuvre pour faire face à la crise actuelle et ses impacts sur le capital et le travail.
Dans le premier article, Romain Gelin apporte un éclairage sur les causes de l’inflation et comment la juguler. Il montre ainsi les limites et les risques de la politique monétaire orthodoxe, de la rigueur budgétaire, et la manière dont cette crise est ressentie par divers groupes sociaux et économiques.
En effet, face au déficit fiscal et à un endettement croissant, le gouvernement belge procède à des coupes budgétaires qui touchent notamment les services publics et la sécurité sociale. Cette politique renforce la dégradation des salaires (bruts), des pensions, des allocations de chômage et des services publics.
L’augmentation des taux d’intérêt décidée par la BCE, censée combattre l’inflation selon la doctrine monétariste, fait grimper l’endettement public, mais aussi les dettes privées, creusant le déficit public et renforçant les risques d’une récession économique, voire même, pour les moins optimistes, d’une crise financière [1]. On peut donc se demander pourquoi la BCE (tout comme la Banque centrale américaine et les autres banques centrales) maintient cette politique monétariste. Pour Christine Lagarde, présidente de la BCE, il s’agit d’une manière de freiner la demande, mais aussi, d’augmenter le taux de chômage, ce qui permet d’affaiblir le pouvoir de négociation des travailleur·ses et de limiter ainsi la hausse des salaires. Lagarde est explicite, « il faut que les augmentations de salaire dans la zone euro soient inférieures à l’inflation. » [2] Or, comme le rappelle Romain Gelin, pour la Belgique, depuis 1993, l’indexation des salaires, pensions et allocations sociales se base sur l’indice de santé, ce qui ne reflète pas l’inflation générale des prix. Lorsque, les prix des carburants (qui ne sont pas comptés dans l’indice de santé) s’envolent, le salaire réel diminue, et ceci d’autant plus pour les personnes des zones rurales mal desservies par les transports publics.
Dans le deuxième article, Romain Gelin interroge les politiques énergétiques belges et européennes des dernières décennies. Il revient sur les raisons des augmentations du prix de l’électricité et questionne les mesures mises en œuvre pour atteindre les « objectifs climatiques » fixés par l’Accord de Paris.
Dans le troisième article, Matthias Somers montre que parmi les facteurs internes (non imputables à la hausse des prix d’importations), l’augmentation des marges bénéficiaires des entreprises pèse quasi deux fois plus lourd dans l’inflation que les augmentations salariales. Contrairement au discours de la BCE et de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) sur la « spirale prix-salaires », nous faisons donc face à une « spirale prix-profits ».
Suite à la crise des subprimes et au sauvetage des banques par l’État belge en 2008, les politiques d’austérité impulsées par les gouvernements successifs ont notamment visé les services publics et la sécurité sociale. Au contraire, comme le montre Somers, les aides publiques aux entreprises privées n’ont fait que croitre. Durant la première moitié de l’année 2022, les sociétés non financières ont reçu 6 milliards de subventions, montant supérieur à celui de leurs impôts. En effet, plutôt que des économies budgétaires, on observe un transfert de richesses collectives vers les capitaux privés. Et ceci alors que la marge brute des firmes (non financières) belges atteint des sommets jamais vus. Inversement, la part de la valeur ajoutée produite dans les entreprises qui sert à payer les salaires atteint un plancher historique. Ce qui désigne, en termes marxistes, une plus grande accumulation du capital.
Enfin, dans le dernier article, nous analysons l’inflation à la lumière de la crise multifactorielle (covid-19, sociétaire, environnementale, démocratique, guerres…) tout en essayant de dégager la manière dont celle-ci représente une occasion de concentration du capital favorisée non seulement par une augmentation du taux de la plus-value extorquée au travail salarié, mais aussi au travail non salarié. À travers les outils analytiques apportés par l’économie féministe, nous cherchons à visibiliser une partie immergée de l’iceberg de l’accumulation du capital : l’extorsion de la plus-value du travail gratuit de reproduction. Une analyse qui nous mène à postuler que contrairement aux thèses sur « la fin du travail », nous assistons à une intensification et un allongement du temps de travail (gratuit et rémunéré). Un processus au profit du capital et au détriment du monde vivant.
Article paru dans Gresea Échos n°114, "Inflation, travail, profit", juin 2023.
Pour citer cet article : Natalia Hirtz, "Travail, prix et profit", Gresea, juin 2023.
Source illu : Everything is allright, Jeanne Manjoulet_Paris, 2017, licence : CC BY 2.0, Flickr.
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