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Publié par YVAN BALCHOY

GUY LEVILAIN

GUY LEVILAIN

Tiré du livre de Guy Levilain

 

Du racisme scientifique au racisme populaire

 

 Il est indéniable que trois siècles de traite négrière suivis de plus d’un siècle de colonialisme ont marqué l’histoire de la France et laissé de lourdes séquelles psychiques. Je ne parle pas des savants tels que Gobineau, ni des hommes de lettres tels que Renan, ni encore des hommes politiques tels que Jules Ferry. Ces champions de l’expansion coloniale sont archi-connus. Ils ont inventé la théorie de l’inégalité des races pour instituer le racisme d’État et justifier les conquêtes coloniales. Je veux parler d’un phénomène social, culturel, voire folklorique que les historiens ont négligé bien qu’il eût un effet profond sur notre inconscient collectif. Je veux parler du processus qui transforma le racisme dit « scientifique » en racisme populaire.

 Il est évident que le peuple n’a jamais eu le loisir ni le désir de lire le volumineux "Essai sur l’inégalité des races humaines" qu’Arthur de Gobineau publia en 1855. Conçus pour les élites de l’époque, les six tomes de ce traité n’ont pas eu le succès que son auteur escomptait – sauf aux États-Unis, en Angleterre et dans les pays germanophones. Pourtant cet ouvrage témoigne d’un climat intellectuel et politique qui régnait en France. La révolution industrielle, la course aux matières premières et l’ouverture de nouveaux marchés ont fait le reste. Afin de contrer les hommes d’affaires et les politiciens de la vieille école, armateurs et financiers firent appel aux Jeunes Patrons, à ceux que nous appellerions aujourd’hui du terme anglais Corporate Executive Officers, industriels audacieux qui voient plus loin et plus grand que les autres.

 Il fallait donc que l’idéologie de Gobineau sorte de la poussière des bibliothèques, descende dans les rues et atteigne le public. On s’ingénia à la présenter dans un langage clair et par des moyens susceptibles d’étonner, d’exalter et d’être compris par les sens. On eut recours à l’image. On inventa la communication visuelle. Une vaste campagne publicitaire fut lancée par les Ministères des Colonies et du Commerce. Des caricatures d’indigènes dans le genre « Ya’ bon Banania ! » firent connaître au grand public les produits exotiques de la France d’outre-mer. Des spectacles grandioses furent organisés par les Chambres de commerce de Paris et de Lyon, de Nantes et de Marseille, de Bordeaux et de Rochefort, et c’est ainsi que de 1889 à 1937 les Expositions Coloniales sont devenues les vitrines de notre prodigieuse mission en Afrique et en Asie. C’est grâce à ces foires et kermesses, ces parcs d’attraction et ces zoos humains que pendant un demi-siècle des générations de visiteurs de tout âge ont pu constater – de visu, la mission civilisatrice de la France, et que le mandat divin de nos IIIè et IVè Républiques est entré dans la conscience collective de tous les Français.

 Les théories de Gobineau ayant trouvé une place de choix dans les mentalités, on assista à la naissance du racisme populaire. Définissons-le. C’est un racisme dans l’ordre naturel des choses, une conviction fondée sur l’existence d’une hiérarchie humaine que la science et l’observation sur le terrain ont vérifiée. La supériorité des Européens établie, nous sommes en présence d’un racisme compatissant qui incite à la charité chrétienne dont on peut faire profession de foi ou profession tout court.  C’est par ailleurs un racisme bon enfant fait de réflexions, de commentaires et de traits d’humour qui ne choquent personne. Devenu une réalité admise, le lecteur averti le découvre avec consternation sous la plume de nos plus grands auteurs : Victor Hugo, Emile Zola et Stendhal, Alphonse Daudet, Pierre Loti et les frères Goncourt. Plus près de nous, Maurras et Céline. (Roger Martin du Gard, grand humaniste, n’y échappe pas, hélas.)

Ne nous en étonnons pas, et surtout ne les condamnons pas, car à l’exception de Chateaubriand, Rimbaud et Nerval, tous nos aînés ont été marqués par l’eurocentrisme qui flottait dans l’air, un air du temps qui malgré l’évolution des idées s’est prolongé jusqu’à nos jours. 

 

(Extrait de mon roman « Dépatrié et exilé »

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