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Publié par YVAN BALCHOY

CHRISTIAN BOBIN)

CHRISTIAN BOBIN)

 
 

Laetitia Le Berre sdroeopStn3fu11143313agg29851cn10uh:iuhlh,998h0 0l m0u90jh9i 

 
 
" Encore tout enfant, j’ai quitté mon corps et je suis entré dans mes yeux. J’ai toujours lu ce que je voyais, et pas seulement dans les livres. Si, avec le temps, on perd un dixième de vue. Moi il me semble en gagner un dixième. Je ne me suis jamais trop mêlé des affaires du monde. Je trouvais horrible le sort fait aux autres et à moi dans cette vie là. J’étais déjà en retrait. J’avais un monde du dedans. J’étais captif du bleu incroyable des hortensias dans la cour de mon enfance, de ce bleu comme à demi lavé par la pluie. Chaque fleur d’hortensia était plus grosse que ma main d’enfant. J’avais en même temps un étonnement et une lassitude d’être au monde.
De temps en temps l’étonnement prédominait, de temps en temps la lassitude. Si j’étais tant attiré par la lumière, c’est parce qu’il avait un fond de ténèbres. J’étais très solitaire, plus familier des enfants que je rencontrais dans les livres que de ceux que je voyais dans la rue. La brutalité des garçons me rebutait. Les autres enfants s’accommodaient de la surface des choses avec une gaieté brutale. Moi les groupes m’attristaient : je les ai toujours redoutés. J’étais toujours sur mes gardes. Je suis donc resté incarcéré pendant des années dans les quelques mètres carrés de ma chambre. Les quelques arpents de terre où j’ai grandi étaient à la fois un refuge et une prison, où tout continuait à m’arriver malgré l’étroitesse de ma cellule. À une échelle aussi petite, le sol était suffisamment solide et tendu comme un tympan pour que tout y vibre. Il suffisait qu’une fleur de chèvrefeuille ou qu’un pétale de rose y tombe pour le faire vibrer extraordinairement : cela a fait un poème le jour où j’ai commencé à écrire. Pour ma part, plus mon regard s’affine et plus mon absence est certaine. Quand j’écris, c’est comme si je n’existais plus. Le plus souvent, le temps et moi on mène une vie différente : le temps s’écoule sous mes yeux comme une rivière et pendant ce temps-là je vieillis. Dans un sens, je n’aurais pas vécu : J’aurai passé ma vie à regarder la vie.
Soit on est vierge dans cette vie, soit on est brûlé par elle. Soit on est au bord, soit on est au cœur. Le seul risque, c’est d’être un peu mélangé : c’est la société. Soit on est jeté dans le brasier, soit on est un enfant qui ne prend rien de cette vie parce qu’il ne peut converser qu’avec les nuages. Moi, je fais partie de cette race-là. Enfant, je me suis assis sur un escalier pendant dix ans, adolescent, je me suis allongé sur mon lit pendant vingt autres années. "
Christian Bobin, la lumière du monde / Gallimard p.20 à 21.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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