Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par YVAN BALCHOY

La lutte symbolique des salariées de Vertbaudet : « On nous traite comme ça parce qu’on est des mères isolées »

Depuis plus de deux mois, les préparatrices de commandes de Vertbaudet font grève pour obtenir une augmentation de salaire. Avec 1 300 euros brut par mois, ces mères célibataires n’ont pour la plupart que leur maigre salaire pour nourrir leurs enfants. Leur combat est devenu le symbole des luttes pour « l’émancipation des travailleuses par elles-mêmes », selon Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT. 

Yunnes Abzouz

29 mai 2023 à 18h02

 
 
 

Marquette-lez-Lille (Nord).– Lorsque la grève a commencé le 20 mars dernier, un braséro trônait au milieu du piquet. Il réchauffait les corps grelotants autant qu’il avivait les espoirs des 82 salariées de Vertbaudet mobilisées pour leur salaire. Deux mois plus tard, les premiers soleils sont apparus, mais toujours aucune revalorisation en vue. Les grévistes couchent même une serviette sur l’herbe pour y faire bronzette. « On pensait que la direction ferait un pas vers nous, qu’au bout d’une semaine, ce serait réglé », résume Jennifer. 

Écouter l’article

© Mediapart

Après 68 jours de grève, l’inflexibilité de l’enseigne de puériculture, les interventions violentes de la police et l’agression d’un syndicaliste devant son domicile n’ont pas eu raison de la ténacité des 72 salariées de l’entrepôt encore mobilisées, majoritairement des femmes. Ces travailleuses de la minutie passent, pour 1 300 euros net par mois, la journée debout à tester, à préparer et à emballer les poussettes et gigoteuses commandées en ligne. 

Depuis plus de dix ans qu’elles travaillent pour Vertbaudet, c’est la première fois qu’elles font grève. En cause : l’accord salarial pour 2023, signé par les syndicats majoritaires, FO et la CFTC, mais pas par la CGT, et qui prévoit 0 % d’augmentation. À peine leur direction a-t-elle concédé aux salariées une prime de 650 euros, 115 euros de plus de prime repas et une journée déménagement. « Comme si, avec nos petits salaires, on pouvait se permettre de déménager tous les ans, enrage Maya*. Et puis, les primes, ça ne compte pas pour la retraite. » 

Illustration 2

Marquette-lez-Lille, le 25 mai 2023. Les salariées grévistes de l'entreprise Vertbaudet tiennent le piquet de grève à quelques centaines de mètres de leur entreprise. © Photo Édouard Bride pour Mediapart

Surtout, le contraste entre les salaires qui piétinent et la « situation saine de la trésorerie » vantée en mars par le PDG de l’entreprise, Mathieu Hamelle, alimente la colère des préparatrices de commandes. « 0 %, c’est symboliquement une marque de mépris, s’agace l’une d’elles. Les anciennes directions nous augmentaient toujours au moins de 0,5 %, même quand l’entreprise se portait mal. »

 L’inflation, carburant des grèves pour les salaires

« J’avais réussi à m’élever un peu au-dessus du Smic, mais avec l’indexation du Smic sur l’inflation, je suis retombée au niveau du salaire minimum », désespère Sylvia, arrivée dans l’entreprise en 1986. Elle qui emballe des commandes depuis ses 17 ans est lassée de répéter inlassablement les mêmes gestes. 

Elle insiste, cette grève n’est pas un caprice : « On ne s’en sort pas avec nos salaires. J’ai la chance d’avoir un compagnon qui travaille, mais avec l’explosion des prix du gaz et les charges fixes, c’est un salaire entier qui s’envole au début du mois. Quand je fais les courses, j'achète les produits en fonction des promotions et plus en fonction de mes envies. » 

L’inflation record des derniers mois vient encore répandre du sel sur les plaies et donne une caisse de résonance nationale aux revendications des salariées de Vertbaudet. 

Plusieurs élu·es de gauche leur ont apporté leur soutien. Le député insoumis David Guiraud a interpellé à l’Assemblée nationale plusieurs ministres et a ainsi appelé au boycott de l’enseigne : « N’acceptez pas d’acheter à une marque qui brutalise les femmes. Boycottez Vertbaudet ! » Des leaders politiques et syndicaux ont rejoint les manifestations de soutien, à Tourcoing, lundi 22 mai, et le lendemain à Paris, devant le siège du fonds d’investissement Equistone, propriétaire de Vertbaudet. 

Illustration 3

Marquette-lez-Lille, le 25 mai 2023. Les salariées grévistes de l'entreprise Vertbaudet tiennent le piquet de grève à quelques centaines de mètres de leur entreprise. © Photo Édouard Bride pour Mediapart

Une semaine auparavant, c’est Sophie Binet, fraîchement élue secrétaire générale de la CGT, qui se rendait sur place et donnait un large écho à la lutte des Vertbaudet. Le tissu ouvrier local, lui, n’a pas attendu l’engouement national pour témoigner de son soutien aux grévistes. Quand ils ne s’arrêtent pas pour déposer quelques victuailles, les automobilistes font au moins résonner un klaxon de solidarité. 

Vingt-huit ans d’ancienneté et toujours au Smic

« Tout ce soutien nous conforte dans notre combat. On se rend compte qu’on n’est pas les seules à se tuer la santé au travail pour un salaire médiocre. Et puis ça remplit la caisse de grève. Sans ça, je serais retournée à l’entrepôt depuis longtemps », s’enthousiasme Maya, 23 ans de maison. 

« Effectivement, il y a beaucoup d’anciennes et d’emballeuses sur le piquet », s’amuse Peggy, elle-même salariée de Vertbaudet depuis 28 ans. D’abord réticente, elle finit par se lever de sa chaise pliante pour déballer sa colère : « On nous traite comme ça parce qu’on est pour la plupart des mères isolées. La direction a compris qu’on avait besoin de ce travail pour la survie de nos familles. » Un discours qui résonne avec les mots de Sophie Binet, qui voit dans le combat de ces femmes un symbole de « l’émancipation des travailleuses par elles-mêmes »

À l’initiative de la secrétaire générale de la CGT, une tribune publiée dans Le Monde le 23 mai par un collectif de personnalités féminines salue la « lutte exemplaire » des employées de Vertbaudet. Elles « sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste », déplorent les signataires. 

Peggy peine à tenir les cadences infernales du travail à la chaîne. Depuis qu’elle a été déclarée inapte à certaines tâches en raison de ses problèmes de dos, elle travaille à l’emballage. « On approche toutes de la cinquantaine, donc le corps est déjà bien usé, on sait qu’on est fatiguées. »

Illustration 4

Marquette-lez-Lille, le 25 mai 2023. Peggy, emballeuse, sur le piquet de grève des salariées de Vertbaudet. © Photo Édouard Bride pour Mediapart

Elle subvient seule aux besoins de sa fille de 13 ans. Depuis que son ado est assez grande pour rentrer en transport collectif de l’école, Peggy est repassée à une semaine travaillée de 35 heures, même si elle doit désormais payer le centre aéré, car on « ne vit plus d’un temps partiel ». En plus de son maigre salaire de 1 300 euros, elle cumule une vingtaine d’euros d’APL, la prime d’activité, et une petite pension alimentaire. « C’est malheureux de savoir qu’on travaille et qu’on doit compter sur les aides de l’État pour vivre, soupire-t-elle. Je pense que sans toutes ces aides, les patrons seraient obligés de nous augmenter. »

Avec leur salaire à peine suffisant pour nourrir leurs enfants, la grève des petites mains de Vertbaudet met en lumière une question centrale : comment les femmes peuvent-elles s’émanciper de leur conjoint sans indépendance financière ? 

Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère.

Fanny Gallot, historienne

L’historienne Fanny Gallot, spécialiste des inégalités de genre dans les conditions de travail, estime que le combat des ouvrières de Vertbaudet s’inscrit dans le prolongement des luttes des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles, ou plus récemment celui des AESH ou des Atsem dans l’Éducation nationale. Leur point commun : des femmes qui se mobilisent pour demander que leur travail soit valorisé et mieux payé. 

« Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère, analyse la chercheuse. Elles sont déqualifiées, leurs compétences professionnelles sont naturalisées, et, en conséquence, elles sont sous-payées. » 

Illustration 5

Jennifer Libera, contrôleuse qualité à Marquette-lez-Lille, le 25 mai 2023. © Photo Édouard Bride pour Mediapart

Jennifer, contrôleuse qualité, est logée à la même enseigne que ses collègues, après onze ans au service de Vertbaudet, dont six années en tant que vendeuse en boutique : 1 300 euros brut par mois. Elle raconte sa pénibilité au travail, cette réalité connue de ces ouvrières, et qui résonne comme une abstraction lorsqu’elle est discutée dans les médias ou sur les bancs de l’Assemblée. 

Dans l’entrepôt, elle déballe de gros colis, entre 30 et 50 kilos, et monte à même le sol des meubles, des jouets ou des lits superposés, pour en contrôler la qualité. Les jambes, le dos, les bras, tous ses muscles sont sollicités. L’hiver venu, s’ajoutent les couches de vêtements. Parfois, le thermostat affiche 9° dans le hangar. « En décembre, j’ai fait deux sinusites, mais j’ai continué à travailler, car avec trois jours de carence, je ne pouvais pas me permettre de perdre 300 euros pour une semaine d’arrêt », raconte-t-elle en tirant sur sa cigarette. 

Avec trois enfants à charge, cette mère célibataire doit tout assumer avec son Smic. L’inflation l’oblige à faire des sacrifices : « Je payais 150 euros de dépenses d’énergie, maintenant, c’est 350. Pour compenser, on a supprimé tous les plaisirs : plus de cinéma, et le traditionnel restaurant du mois a sauté. »

Une roue à changer ou un frigo à réparer : elle en a conscience, l’équilibre financier de son foyer tient à un imprévu près. « Je fais quoi pour subvenir aux besoins de mes enfants ? Je prends un deuxième travail ? Dans ce cas, je ne pourrai plus assurer le suivi scolaire, je n’aurai plus le temps de les voir, de les éduquer. Un deuxième travail pour se payer une maison, d’accord, mais là, c’est juste pour vivre dignement. »

Selon Fanny Gallot, ces configurations familiales illustrent « l’inégale répartition de la charge domestique où c’est aux femmes de gérer le budget et de boucler les fins de mois en plus de tout le reste. C’est encore plus vrai dans le cas des familles monoparentales ».  

« La direction cherche à semer la discorde »

Certaines salariées mobilisées appréhendent le retour à l’entrepôt. En cause, le fossé qui commence à s’installer entre grévistes et non-grévistes. Une lettre ouverte, écrite selon la direction à l’initiative de 400 salarié·es, dont un tiers travaillent au siège parisien de la marque, décrit une « ambiance de travail sereine et conviviale » et déplore, alarmé·es par les appels au boycott, l’attitude des grévistes qui « menace la pérennité de [leur] emploi »

NOTE D'YVAN BALCHOY

 

J'ai passé trente ans de ma vie dans une entreprise de "vente par correspondance" Je me sens donc très solidaire des hommes et des femmes qui dans l'entreprise "VERT BAUDET" veulent vivre dignement. (YB)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article