23-03-23- "ON SAIT QUE VOUS N'AVEZ RIEN FAIT" (KARL LASKE - MEDIAPART)
Des policiers d'une compagnie d'intervention rue du Faubourg Saint-Antoine, dans la nuit du 19 mars. © Karl Laske/ Mediapart
« On sait que vous n’avez rien fait, m’ont dit les CRS » : le récit d’Alicia, une nuit en garde à vue pour être allée faire du sport
Une jeune artiste a été interpellée lundi soir et placée en garde à vue à Paris pour « participation à un groupement en vue de commettre des actes de violence et de dégradation » alors qu’elle sortait de son cours de sport. Récit.
Karl Laske
23 mars 2023 à 08h48
« On« On était face à des policiers qui avaient envie de nous laisser partir, mais qui ne pouvaient pas le dire », juge Alicia*. Interpellée lundi soir boulevard Beaumarchais, à Paris, alors qu’elle rentrait chez elle, cette jeune artiste a passé la nuit en garde à vue, sans que les CRS et les policiers ne lui donnent la moindre explication sur les faits qui pouvaient lui être reprochés.
Alicia a quitté le commissariat du XIIIe arrondissement « à 12 h 40 » le lendemain, à peu près au moment où le préfet de police, Laurent Nuñez, invité sur le plateau de BFMTV, prononçait cette phrase définitive : « Il n’y a pas d’interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça. »
Dans le cas d’Alicia, et celui d’une dizaine d’autres personnes interpellées en même temps qu’elle, on peut non seulement le dire, mais le clamer haut et fort.
Vers 22 h 30, sortant de son cours de sport, elle marche tranquillement sur le boulevard Beaumarchais, en direction de Bastille, tout en discutant avec un membre de sa famille au téléphone. Elle voit des camions avec des gyrophares stationnés de part et d’autre du boulevard, et « une barrière de CRS » sur le trottoir. Elle s’approche. « Je ne voyais pas de manifestants, raconte-t-elle. Les CRS nous demandent de ne pas passer, de patienter, très bien, on attend. Puis, ils nous disent de changer de trottoir. Nous étions une dizaine et nous traversons, et nous rejoignons une quinzaine d’autres personnes. Je me suis dit “je vais prendre un autre chemin”, mais ils me disent “non madame”, et je m’aperçois qu’à un moment donné, on est encerclés, et ils nous demandent à tous de patienter. »
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Si la police a mis en place ce barrage des trottoirs, c’est qu’au soir du rejet des motions de censure, une manifestation « sauvage », partie de Saint-Lazare, a tourné dans Paris, vers Opéra, la rue de Rivoli, et jusqu’à la place de la République, mais elle s’est évaporée dans les rues alentour. À l’heure et à l’endroit où Alicia patiente, il n’y a plus un chat.
D’ailleurs, un CRS annonce la fin de la retenue policière. « Vous allez pouvoir partir par groupe de trois », promet-il. Faux espoir. « Ils nous font aller vers des camions, où les gens déclinent leur identité, poursuit Alicia. Je me dis “ils prennent des infos”. Je donne ma carte d’identité, et je vois que le document qu’ils remplissent est une “fiche d’interpellation”. On ne m’explique pas ce qui se passe. Je demande combien de temps ça va durer, et on me dit “une heure ou deux”, “on ne sait pas trop si on vous amène au poste ou si on vous libère”. » Le groupe de trente personnes se réduit finalement à dix, sans qu’Alicia ne comprenne la raison de cet écrémage. « Je ne comprenais même pas qu’on était en état d’arrestation, dit-elle. Je me disais “c’est de la régulation”. On était tous en train de gueuler, mais on ne savait pas ce qui se passait. »
Des CRS s’excusent gentiment, disent qu’ils sont « désolés », et même « oui, on sait que vous n’avez rien fait ». Pas compliqué pour Alicia qui a ses affaires de sport dans son sac, et même le mail de réservation de son cours. L’attente se prolonge. Vers 3 heures du matin, les CRS passent le relais à des policiers qui annoncent aux personnes retenues qu’on les « embarque au poste ». « Ils nous disent qu’on a des fiches d’interpellation et qu’ils ont des ordres, et que leur mission, c’est de nous amener au poste », poursuit Alicia.
Au commissariat du XIIIe, la police va enfin entrer dans le vif du sujet, se disent les personnes interpellées. « On a attendu encore un moment, puis un officier de police judiciaire nous a fait venir, et nous a lu nos droits, individuellement. Il nous demande si on veut un avocat... Le policier me lit le chef d’inculpation [le motif des poursuites – ndlr] : “participation à un groupement en vue de commettre des actes de violence et de dégradation”, et en “flagrant délit” ! Ça m’a fait rire. Il nous inculpe et il nous place en garde à vue. On a tous demandé un avocat commis d’office. Et on est partis en cellule. » À quatre heures du matin.
Les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Des agents apportent des couvertures. Alicia est « joviale et positive ». « Mieux vaut en rire qu’en pleurer », se dit-elle. Avec elle en cellule, il y a deux jeunes filles qui « n’étaient pas non plus dans la manifestation » et se promenaient dans le quartier quand les policiers sont allés les chercher dans une rue adjacente. Toutes les trois discutent et chantonnent pour passer le temps. Jusqu’à ce que l’avocat commis d’office arrive.
Il est 8 heures du matin. « Je fais ma déposition dans laquelle j’explique que je rentrais chez moi, explique Alicia. Je montre la réservation en ligne de mon cours à République. Mon avocat était un peu mort de rire. Mais on prend mes empreintes digitales. On me prend en photo, comme dans les films. Et on me remet en cellule ! » Les preuves d’Alicia ne suffisent pas au policier.
Alicia craint que le cauchemar éveillé ne continue, et que la garde à vue ne soit prolongée de 24 heures, mais en fin de matinée, on lui annonce que le magistrat a dit qu’elle pouvait sortir. À 12 h 40, elle est dehors. « Je suis sortie sans aucune poursuite, sans aucune convocation. Mais à aucun moment on s’excuse, on me dit “il y a une erreur”. »
Quelques fonctionnaires se sont montrés compatissants, à voix basse. « Ils m’ont fait comprendre qu’ils pensaient que ce n’était pas normal », poursuit-elle. On lui raconte qu’un jeune homme est resté en cellule de 1 heure à 7 heures du matin avec la clavicule luxée, sans voir de médecin. Il a fallu appeler les urgences. Parmi les hommes interpellés en même temps qu’elle, il y avait trois copains sortis boire un coup, et même le serveur d’un café du quartier.
Alicia va déposer plainte. Pour cette rétention puis détention abusive qui a duré 14 heures, et le fichage. Car le passage d’Alicia au commissariat comme suspecte d’infraction est automatiquement inscrit dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ). « Je n’ai pas de casier judiciaire, mais désormais je suis fichée, donc j’ai saisi un avocat », annonce-t-elle.
Questionné par Mediapart sur l’interpellation injustifiée d’Alicia, et des passants du boulevard Beaumarchais, le service communication du préfet de Police Laurent Nuñez n’a pas réagi.
Karl Laske
NOTE D'YVAN BALCHOY
Ne confondez pas les policiers blessés (il suffit d'une égratignure digne d'un sparadrap) et les manifestants blessés qui, pour être reconnus, eux doivent relever de soins hospitaliers.
Nul doute qu'à côté des Black accusés à juste titre de violence, ces autres Black casqués et armées sont autant source de violence et ne font pas du bien aux manifestations pacifiques. (YB)