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Publié par YVAN BALCHOY

Ci-joint, présenté tel qu'il sortait de l'imprimante de mon SPRCTRUM ordinateur 48 K (aujourd'hui on pourrait avec une mémoire de ce genre n'écrire que quelques rares caractères) acheté à Maidstone en Grande Bretagne lors des fêtes de Noël 1982, voici les premières pages de mon roman MEURTRISSURE, sous leur formatage primitif,  publié en une dizaine d'années sur ce blog à travers des "chapitres" numérotés.

 

M E U R T R I S S U R E S (ROMAN) 1
Il en avait marre ! La pluie tombait drue et lui giflait le visage. A travers les arbres du boulevard, de misérables lumières tremblotaient aussi trempées, semblait-il, que lui. Un temps de chien ! Il marchait rageur, inattentif aux rares passants et aux choses : un seul but mobilisait son cerveau paralysé‚ sous le front glacé‚ : la chaleur toute ouatée de sa piaule "Encore cent mètres" Son pied heurta maladroitement la bordure du trottoir au moment de franchir la barrière poisseuse et rêche qui donnait accès au jardin. "Ca y est, je l'ai encore oubliée murmura-t-il, en palpant fébrilement le fond de ses poches … à la recherche d'une clé problématique. "Bah, il n'y a qu'à… sonner !" Le doigt demeurait insensible en pressant la sonnette, mais seul le clapotis des gouttières restait perceptible. La fente de la boite aux lettres, dans laquelle il enfonçait le bout de son nez, lui livra une petite lueur qui se fit bientôt silhouette, puis pas traînants La porte s'ouvrit : "Comment, tu as encore oublié ta clé ! Quand donc feras-tu attention ?" Un baiser tiède lui mouilla les joues, tandis qu'il s'entendit répondre impatient : "Au diable cette clef ! Je suis trempé‚ jusqu'aux os à je vais me changer." - "Ne traînes pas fiston, le repas est pour tout de suite et n'oublie pas de te laver les mains" Le reste des bons conseils maternels se perdit dans la cage d'escaliers qu'il grimpait … à toute vitesse jusqu'à la porte familière qu'il poussa brutalement se laissant tomber sur son lit bas; il se massa lentement le visage mouillé‚ et respira enfin un air de paix. Le garçon humait l'air familier façonné àson image, une odeur de formol, de produits pharmaceutiques qui s'identifiait … ses yeux … la sécurité retrouvée. Mais déjà on l'appelait d'en bas : "Ghislain, tu viens ? La table est mise!" Sautant de marche en marche, il fut vite … la salle … manger. La lumière y ‚tait si brillante qu'il cligna des yeux en y entrant; Une page de journal tendue à bras ‚tendus lui révéla que son père ‚tait déjà à table. "Bonjour PA !" Le rite du baiser se déroula aussi froidement que d'habitude, tandis que ses frères et sœurs jacassaient joyeusement et se disputaient la parole. Assis, Ghislain vit passer un … un les plats du repas du soir, un potage verdâtre, des nouilles, bref rien de fameux. Il mangeait du bout des doigts insensible aux questions qui fusaient de partout "Comment cela s'est-il passé à l'unif?" Il s'entendit répondre mécaniquement : "Bien, rien de spécial, biologie, math, une cuisine exécrable au resto" quant tout à coup sa mère, une personne bien enveloppée de quarante ans, le fit sursauter. Avec son air de couveuse, toujours en représentation, elle lui reprochait une fois de plus de mettre ses coudes … table. "Fous-moi la paix, maman, avec tes vieux principes, j'en ai assez !" Délaissant une assiette … demi-vide, le garçon s'en alla hausser le ton du poste de radio qui débobinait d'un ton monocorde les nouvelles ; il y ‚tait question de querelles scolaires, linguistiques sans oublier bien sûr l'extrême orient o- tout allait plus mal que jamais à La fin du repas lui tomba sous la forme d'un flot de reproches sur les jeunes d'aujourd'hui aussi ingrats qu'impolis, mais … nouveau il n'écoutait plus. Ghislain Mignolet voyait de dérouler en sa tête une enfance bourgeoise et calfeutrée, lui l'ainé d'une famille dite nombreuse - deux filles et trois garçons - une timidité‚ excessive, que la tourmente de 40-45 avait marqué‚ profondément, un adolescent renfermé‚ et complexé‚ médiocre au temps de la puberté plus brillant en fin d'humanités, puis, brusquement - il en était surpris lui-même, un universitaire inscrit en première candi … Liège. La biologie, il y a des années qu'il en rêvait, mieux en vivait, partagé‚ entre ses préparations microscopiques et toutes sortes de bestioles qui encombraient, empuantaient, aurait dit sa sœur Chantal, sa chambre au grand déplaisir de toute la famille. Déjà il y était de nouveau ; entrouvrant son porte-documents, Ghislain laissa s'écrouler sur sa table en désordre quelques piles de cours et de paperasses chiffonnées ; se baladant sur sa chaise, il ouvrit distraitement ses notes du jour, des formules d'analyses, de l'anatomie beaucoup d'ennuis pour quelques secondes d'intérêt; ses yeux glissaient rapidement sur sa petite écriture de "pattes de mouche" qu'il avait bien de la peine … relire. Mais bien vite, abandonnant cette lecture fastidieuse, le jeune universitaire se laissa tomber sur son lit grinçant. A quoi servait-il ? Tout le système de son enfance, une religion creuse, aussi abstraite qu'insipide, une ‚éducation réactionnaire où la certitude d'avoir raison s'enracinait dans des principes moraux d'autant plus impératifs que rien ne les justifiait vraiment, sinon le poids d'une tradition déjà morte. D'un doigt impatient le jeune homme enfonça un touche de son poste de radio … porte du lit qui lui débita une musique fade. C'en ‚tait trop ! Il sauta sur ses jambes, accrochant au passage sa canadienne dégoulinante : déjà il dévalait les escaliers. "J'sors", hurla la garçon … travers la porte-fenêtre qui le séparait du salon o- sa mère penchée lourdement sur son secrétaire Louis XVI notait soigneusement ses dépenses du jour. "Où vas-tu", lui répondit Madame Mignolet, plus nerveuse qu'inquiète par cette sortie nocturne cadrant si peu avec ses principes. "Je n'en sais rien, j'ai besoin d'air à" "Quelle mouche te pique, il pleut … torrent, viens plutôt passer la soirée avec nous. Essaye d'être un peu plus sociable." Ghislain n'écouta pas le reste du discours maternel qui se perdit dans le vent furieux que la porte d'entrée ouverte laissait envahir le corridor. A peine dehors, il s'immobilisa aveuglé‚ par la pluie battante, étourdi par le vent glacé‚. Il avait déjà envie de revenir sur ses pas, mais sa fierté‚ prit le dessus et il s'enfonça dans la nuit. Une demi-heure durant, Ghislain fendit le flot glacé et piquant d'une pluie qui n'arrêtait pas de ruisseler le long des murs, des arbres, des poteaux et de tout son corps. Ses pas s'additionnaient les uns aux autres d'une façon mécanique, tandis que sa conscience restait figée sur une seule idée, le refus de tout y compris de lui-même avec sa bêtise et son angoisse devant la vie. "Mais qu'est-ce que je fais ici ! Inconsciemment ses pas l'avaient ramené‚ face … sa maison, pardon celle de ses parents ; sa clef, retrouvée cette fois, erra quelques secondes au fond de la serrure, puis tourna tandis que nerveux Ghislain attirait la porte … lui et se faufilait dans le couloir. "B'soir, je vais coucher !" "Qu'est-ce que tu as encore bouffé‚ ce soir, s'écria moqueusement sa sœur Chantal, dix huit ans, rivée … son magnétophone Ghislain sentit le dégout remonter en lui, se transformer en injure, mais à … quoi bon ? Lourdement il gravit l'escalier de bois, traversa les bras ballants le traquenard du palier plongé‚ dans l'obscurité‚ et soupira d'aise en se retrouvant lui-même dans ses meubles, sa couleur, son odeur, sa sécurité dans un monde hostile qu'il sécrétait lui-même autour de lui, tout en le haïssant. Ah, il y a encore cette interro demain : asseyons-nous ! Il faut la préparer; ses doigts feuilletaient rapidement le cours de math soulignait ça et là un passage clé; son cerveau enregistrait des quantités de formules qui s'enfonçaient tout aussi vite dans son inconscient. Tiens la radio ! Qu'est-ce que Moscou raconte, ce soir ? Le Kremlin sonnait minuit et la pieuse litanie rouge commençait déroulant en procession une série de couplets orthodoxes témoignant stupidement que Paris, New-york, Madrid étaient des villes spirituellement déjà conquises mais esclaves d'une dictature impérialiste rejetée par les masses. Le stylo enfoncé dans les narines, Ghislain ricanait écœuré par la propagande fanatique à laquelle il ne pouvait opposer que la platitude de son éducation bourgeoise. 22h 45 déjà, un petit effort le hissa sur le rebord de la petite fenêtre. Passif, il regarda les quelques carrés de lumière qui se détachaient aux alentours. Une silhouette glissa tout à coup dans le cadre étroit, c'était la chambre de Judith, une jolie blonde toute rebondissante de dix-huit ans ; Ghislain prudemment éteignit sa lampe. Retenant sa respiration, tout son corps se tendit sous l'effet d'un désir imprécis qui réussi à unifier sa conscience si nébuleuse, ce soir-là Son imagination s'évertuait à compléter la pauvreté de sa vision en déshabillant mentalement l'ombre fugitive qui bientôt disparut. Un point lumineux, qu'il ne cessa de fixer jusqu'à ce que ses yeux fatigués commencent …à picoter lui révéla que la fille devait s'être couchée; il était temps d'en faire de même; Un petit tas de vêtement tomba en vrac à ses pieds, ses longues mains se courbèrent pour ramasser le tout en boule sur le bureau. Les draps dans lesquels il s'enfonçait étaient glacés. A nouveau son imagination prolongea maladroitement en son cœur et en son corps son rêve de tout à l'heure. Toute la chambre se mit à tourbillonner autour de lui et il s'abandonna. Un cri d'oiseau franchit le premier la nuit de son inconscient. Ainsi ce fut son ouïe qui la première s'éveilla: Ghislain entrouvrit les yeux. Un chant d'oiseau qui semble sortir de nulle part, c'est drôle ! Ca brillait à travers les fenêtres, ça chantait aussi timidement encore. Le garçon enfouit sa tête sous les couvertures comme pour effacer le réel, mais déjà tout son corps peu à peu se réveillait, ses jambes d'abord au frais, car elles dépassaient des couvertures, une main endormie qu'il se mit à masser vigoureusement. Il se retourna rageusement contre le mur pour échapper à la lumière envahissante, mais à quoi bon? Le grincement antipathique de son réveil lui semblait de plus en plus assourdissant, un petit déclic lui révéla que la sonnerie allait se déclencher. Avec lassitude, il attendit le signal comme une sorte d'exécution inéluctable ; il ‚prouvait une sorte de jouissance trouble à écouter les tic- tac additionnés de sa montre et de son réveil, le laissa aller jusqu'au bout, puis brusquement ‚ écartant ses couvertures, il se jeta debout. Un quart d'heure plus tard, … table, le jeune ‚étudiant beurrait soigneusement du pain grillé souvent tout noirci par son imprévoyance ; dans la cuisine toute proche, sa mère fredonnait des "ah ah" qui aujourd'hui ne l'énervaient plus. Il faisait si beau dehors, si beau qu'il faillit sauter de joie en se précipitant dans la rue à en cinq minutes, un vrai record, il rejoignit la gare, un long bâtiment sans réelle personnalité malgré‚ les écussons des principales villes du pays qui tentaient en vain de lui donner un caractère officiel. L'énorme horloge circulaire, situé en plein centre de la façade, lui parut sourire tant le soleil revêtait les objets d'un grand manteau de joie. Même le contrôleur, un grincheux perpétuel, semblait avoir endossé une mine de fête. Une main se posa sur son épaule; se retournant surpris, il éclata de rire en reconnaissant un copain, Jean-Pierre, un grand dégingandé, type même du germain blond aux yeux bleus, ce qui ne l'empêchait pas d'être un parfait wallingant aussi passionné que fantaisiste. "Tu as lu le canard, ils veulent l'égalité à Bruxelles, ils exagèrent ! Bientôt, tu verras, il faudra parler flamand pour être balayeur de ru à Namur. " Ghislain pouffa : "Tais-toi une fois, j'en ai assez de tes histoires politiques, elles me cassent les pieds, si tu veux, regarde plutôt le soleil, le ciel bleu, c'est autrement important ! Jean-Pierre haussa les épaules. Tu seras toujours le même, tu planes toujours en dehors du réel, pour toi les microbes comptent plus que les hommes." "Quai numéro quatre, Liège Vivegnies affichait la plaque bleuâtre au pied de l'escalier crasseux. Le quai était couvert d'une foule brumeuse : des ouvriers moustachus s'interpellant familièrement en wallon, des étudiants plus ou moins chevelus et qui semblaient terriblement se prendre au sérieux. Il y avait aussi des employés plus sûrs d'eux qui se préparaient déjà à sortir leurs cartes et leurs lourdes plaisanteries. Ghislain supportait difficilement Jean-Pierre. Depuis un instant, son regard s'attardait sur une nouvelle affiche. Tiens, intéressant ! 50 % de réduction pour les étudiants vers Londres, Paris ; Il faudra voir cela pour les vacances. La voix nasillarde du haut-parleur de service annonçant l'entrée en gare du train provoqua de nombreuses vagues dans la foule, mais Ghislain restait immobile comme pétrifié - "Tu viens à l'arrière avec les copains ?". Jean-Pierre le saisissait déjà par la manche, mais Ghislain se rebiffa. - "Vas-y si tu en as envie, je préfère aller devant !" - Qu'est-ce qui te prend ? - "Excuse-moi, j'ai envie d'être seul pour réfléchir ce matin." - Et bien va cuver ta solitude !" Ghislain restait là immobile bousculé‚ de toutes parts "Excuse-moi, j'ai envie d'être seul pour réfléchir ce matin." - Et bien va cuver ta solitude !" Ghislain restait là immobile bousculé‚ de toutes parts; ses yeux suivaient goulûment une voyageuse qui attendait sagement son tour de monter dans le compartiment...Un beau brin de fille, pas mal ! Pas simplement une fille aguichante, une allumeuse comme il y en avait tant, non une belle jeune fille, vêtue un peu courtement peut-être mais si élégante, si fière. Le garçon était médusé ; il fallait se décider ; se glissant gauchement entre une mémère mécontente et un petit gosse apeuré, il réussit à se faufiler derrière l'objet de son admiration. Sur la plate-forme, la fille hésita un instant, puis s'engagea résolument dans la direction du secteur "non fumeurs". Deux places restaient libres. Elle s'assit immédiatement à côté d'un beau gars d'une vingtaine d'années qu'elle salua cordialement. Lui s'assit gauchement entre deux femmes d'un certain âge qui le regardaient curieusement. Le cœur de Ghislain battait à tout rompre ; rouge de transpiration il se rendit tout à coup compte de son ridicule avec sa vielle mallette sous le bras ; il se leva alors lourdement pour la placer dans les filets. Au moment où il reprenait sa place, un choc le précipita avant vers la fille, le train partait ... "Excusez-moi"- mais ce n'est rien, monsieur, souria la fille avec un léger accent étranger qu'il n'arriva pas à définir. Elle repris de suite sa conversation animée sur la révolution permanente et nécessaire, lui sembla-t-il, sans plus prêter attention; Mais Ghislain ne cessait d'imaginer sous le blouson vert de la jeune fille le jeune poitrine qui ondulait en saccade sous le coup de son émotion ; sa jupe rouge, retenue par une ceinture lui semblait provocante avec cette énorme boule suggestive, les jambes étaient racées; Tiens, elle ne porte pas de bas ; son regard s'attardait aussi aux ongles rouges, longs et pointus de ses pieds fins et déliés incrustés dans des sandalettes argentées... C'était un beau brin de fille: rien d'étonnant à ce que Ghislain sentait son cœur s'emballer, son corps se raidir. Ca lui était déjà arrivé, bien sûr, mais en ces temps de mode "impudique" comme disait sa mère, où les filles aguichantes ne manquaient pas, elle lui parut une figure d'exception. Pourquoi, il aurait bien eu de la peine à le dire. Cette fille le touchait bien plus que physiquement, son cœur plutôt que son corps semblait si droit. La porte du compartiment s'ouvrit avec un "Messieurs dames vos billets ou votre abonnement, s'il vous plaît. Ces mots se voulant sérieux contrastaient avec l'allure de jeune gringalet du c contrôleur qui sans sa casquette bleue, serait passé totalement inaperçu. Le marin secoué durement mit tout un temps pour retrouver un ordre de marche chiffonné qui traînait au fond d'une des poches de sa vareuse, Le moine le tira d'une poche si mystérieuse qu'on aurait cru un prestidigitateur en pleine action ; quant au paysan, il avait glissé les trois tickets familiaux dans sa poche gousset, d'un air distant l'étudiant pacifiste fit le geste de sortir son abonnement, mais le contrôleur ne se contenta pas de ce simulacre; - "Ah ce que vous êtes réglementaire", s'écria-t-il furieux ! -"Tu vois Nadine, ces jeunets se croient tout permis à -"Tu vois Nadine, ces jeunets se croient tout permis à cause de leur uniforme... Le voilà, votre torchon ! " - Mais monsieur, je ne fais que mon métier et d'ailleurs montrez moi votre carte d'identité..." Nadine pouffa en donnant un léger baiser à la joue de son compagnon; - "Calme-toi, Richard, Tu vois bien que Monsieur est fâché. Excusez-le, Monsieur, il paraît sauvage mais au fond c'est un brave gars et avec un délicieux sourire elle tendit son abonnement que le contrôleur regarda à peine en rendant à Richard ses papiers d'identité d'un air satisfait. Il avait eu le dernier mot, l'autorité était sauve. Interpellé à son tour, Ghislain s'exécuta. Son doigt se glissa dans la poche revolver de son pantalon. D'un ait distrait il tendit une carte brunâtre toute chiffonnée que le fonctionnaire saisit avec dégoût. - Et bon Monsieur, vous le traitez bien mal votre abonnement." - "Qu'est-ce-que ça vous fait répondit avec insolent ce le garçon. Je l'ai payé régulièrement, il est lisible, alors foutez-moli la paix, s'il vous plaît En face de lui Richard et Nadine riaient à gorge déployée et semblaient prêts à l'applaudir. Devant cette hostilité le pauvre fonctionnaire recula et passa au compartiment voisin. "Ah c es gens qui veulent faire du zèle, quelle poisse laissa tomber avec mépris Nadine en regardant un instant Ghislain dans les yeux ; le garçon se mit à rougir, se troubla et regarda pour se donner contenance les hauts fourneaux d'Herstal qui défilaient sous ses yeux tout gris, tout lumineux, tout affairés. Ce fut à ce moment que le drame se produisit. Tout commença par une secousse un peu plus forte que celles qui presque depuis Namur faisaient cahoter la voiture ; c'est peut-être pour cette raison qu'au début on n'y fit guère attention? "Ils feraient bien d'améliorer une fois pour toutes la qualité des voies", grommela avec mauvaise humeur le marin réveillé brutalement. "Depuis qu'on a entrepris les travaux d'électrification reprit le moine, oubliant ses dévotions, les trains déjà si lents prennent un retard considérable, n'est-ce pas, Monsieur, dit-il, en s'adressant au père de famille en face d lui. Ce dernier ouvrit la bouche pour répondre mais il n'en n'eut pas le temps, un craquement formidable secoua la voiture qui se mit à tanguer en même temps que sa voisine de droite qui se mit à crier d'une voix aiguë. Ghislain la regarda avec surprise, il n'avait jusque là pas fait attention à elle et il n'avait rien perdu. Son cerveau fonctionnait à une vitesse effrayante, jusqu'ici pourtant il n'avait pas eu le temps d'avoir peur. Quelques secondes qui durent une ternit le cerveau du garçon fonctionnait à pleins tubes et lui restituait en bref toute la saveur d'une existence contre laquelle hier encore pourtant il n'arrêtait pas de dégueuler sa rancœur. Ah, s'il pouvait survivre, tout serait tellement différent. Un craquement strident : " C'est sûr on déraille". Le vert du talus grandit démesurément tandis que la voiture se mettait à zigzaguer de plus en plus. Le garçon, rivé à la tablette, se rappela soudain avec une sorte de honte la fille devant lui. Relevant la tête, il ne vit que deux yeux, ses bras s'agrippaient au cou de son compagnon qui ne lui prêtait pour sa part aucune attention. Le visage de la jeune fille ruisselait de sueur. Elle ne disait rien, elle attendait;;; ses narines étaient pincées. - "Elle ferait un beau cadavre attendrissant" Tout à coup, il sursauta, les deux yeux d'un bleu quasi transparent, lui semblait-il, le regardaient intensément et il y lut un appel d'autant plus impérieux qu'il était muet. Partout pourtant autour de lui on criait. Le marin s'était couché de tout son long, le moine, plié en deux avait laissé tomber son bréviaire, les parents avec dignité faisaient bouclier autour de leur gosse et s'efforçaient de la calmer en le caressant. Le visage du père, tellement terne tout à l'heure, était comme transfiguré par le danger qui lui donnait comme une nouvelle dignité. Les yeux de Ghislain retrouvaient les yeux de Nadine, il ébaucha un sourire pour l'apaiser et il lui sembla qu'elle lui répondait. Il ne put s'en assurer car la voiture venait de heurter le talus ; le choc fut terrible, un soulier de Richard s'écrasa avec un petit bruit mat dans les jambes de Ghislain qui sur le moment ne sut pas qu'il avait mal, car déjà renvoyé à toute allure vers la droite la voiture se mit à tournoyer sur elle-même en s'inclinant de plus en plus. Plaqué entre sa voisine qui se taisait enfin, évanouie sans doute contre la vitre, Ghislain ne perdait pas de vue sa vis à vis qui avait lâché les bras de son compagnon. Tout se déroulait à une vitesse extraordinaire, mais pour des raisons qu'il ne s'expliquait pas, il vivait tout au ralenti. Richard fut précipité sur le sol, un peu de sang se mêlait à ses longs cheveux ébouriffés, Nadine les bras tendus en avant fut jetée sur Ghislain. IL lui sembla qu'elle allait l'embrasser, sa blouse déchirée lui donna un air faussement provocant. C'était bien le moment d'y penser. Le garçon sentit tout d'abord un choc brutal en tentant de bloquer la jeune fille tout contre lui et ce choc devint presqu'aussitôt une douceur incroyable. Il n'en revenait pas de sentir tout palpitant contre lui le corps si souple qui peu à peu se détendit dans ses bras. Perdant toute retenue, Ghislain se mit à embrasser ce visage enfoui contre sa poitrine, mais alors un dernier choc plus violent encore les précipita tous deux d'un côté du compartiment à l'autre. Tout s'effaça alors en ses yeux. Il voulut crier mais un liquide gluant lui remplit la bouche, sa langue mordue lui faisait tellement mal. Seule son ouïe et son toucher continuait à fonctionner tant bien que mal. Il lui sembla même qu'il entendait chaque bruit avec une intensité jamais ressentie. Son cœur battait à tout rompre se confondant presque avec celui aussi fou de la jeune fille. Il n'en revenait pas, en plein accident, au milieu de gémissements atroces, il ressentait presque une sorte de paix...mais cela ne dura guère car brusquement Ghislain ressentit une douleur violente dans la colonne vertébrale, une sorte de brûlure lui remonta vivement vers la nuque, atteignit son cerveau. Souffrir à ce point, il n'aurait jamais cru que ce fut possible, cela ne pouvait pas durer il allait crever comme un chien pour avoir suivi cette fille à l'avant du train. Il lui en voulait presque, la souffrance s'était mise entre eux, il était seul à présent et il allait sûrement mourir !! III) "Cela va-t-il mieux à présent, vous avez mal ?". Ce second réveil dans la même journée ne ressemblait guère au précédent ; une douleur sourde imprégnait tout son corps. Ses yeux contemplaient tout étonnés la chambre et le lit où il était étendu. Manifestement une chambre de clinique ; l'uniforme de l'infirmière qui lui faisait face en souriant ne permettait aucun doute. "Qu'est-ce qui m'est arrivé ? J'ai tellement mal." et Ghislain d'indiquer maladroitement son crâne, sa nuque toute raide et endolorie, sa jambe droite qui semblait toute tordue. -"Il y a eu un accident de chemin de fer, vous ne vous en souvenez-pas ?" - "Ah oui", ce fut comme une illumination et tout lui revenait en saccade… Jean-Pierre le casse-pieds, Nadine - il en oublia son propre mal - pour ne plus se rappeler que le choc et la rencontre brutale et pourtant si douce avec le corps de la jeune fille. Au fond où était-elle ? Il regarda autour de lui d'un air inquiet à la recherche de sa voisine de train mais non ! Il était seul avec cette infirmière dans cette chambre minuscule toute verte. Tiens, en face de lui le papier sous l'action de l'humidité s'était détaché et on voyait en dessous le gris sale du plâtre écaillé sous un miroir qui lui renvoyait le visage usé de son infirmière, un évier impeccable brillait en revanche dans la coin à droite juste à côté de la vitre mate à travers laquelle on devinait de la végétation ; dans une petite armoire entrouverte, il reconnut son pantalon bien chiffonné et son veston si fripé que lui-même négligé en son habillement en fut surpris. Mais comment était-il vêtu ? Il dut faire effort, tant cela lui faisait mal, pour tourner la tête pour distinguer cette veste de pyjama jaune qui n'était pas à lui, sa main se glissa sous les couvertures et n'y découvrit qu'un caleçon. Ca alors ! Mais donc où était Nadine ? Mademoiselle ne savez-vous pas où est passé ma compagne de voyage, Nadine. Il se rendit compte en parlant qu'il ne connaissait pour ainsi dire rien de la jeune fille pas même son nom de famille. - "Nadine, qui, monsieur ?" - "Bien une très jolie jeune fille qui était dans le train en face de moi." Ghislain voulut répondre mais brusquement le visage de l'infirmière sombra dans une sorte de brouillard. En sombrant dans l'inconscient il eut juste le temps d'entendre la voix inquiète de l'infirmière : "Dormez, monsieur, dormez, ce ne sera rien...." Depuis plus de trois heures déjà, Ghislain dormait d'un sommeil lourd et agité ; à l'écouter se débattre sous les couvertures on devinait toute une fermentation intérieure en cette tête maussade couverte de sparadraps et illuminé de mercurochrome. De sa bouche pâteuse et zezeyante s'échappaient des mots sans suite." "Attention, ça va brûler.... Quelle poitrine...Fous-moi la paix... T'as vu la grosse dame, comique, Hein! ... A quoi ça lui sert de lire son bréviaire..." Mais ce qu'il répétait le plus souvent c'était le prénom de Nadine et chaque fois qu'il le prononçait le visage de Ghislain devenait presqu'angélique pour retourner presqu'aussitôt à son incohérence verbale. "Mon petit Ghislain, mon petit Ghislain, tu es vivant ... Vivant, que je suis heureuse ! Tout de noir vêtue, Madame Mignolet, suivie gauchement par son mari et Chantal pour une fois sérieuse envahissait la chambre. Un baiser tout humide vint humecter ses joues. - "Comment te sens-tu ?" Le garçon ne répondit rien à ce flot de questions ou plutôt d'interjections ; sa mère n'attendait pas d'ailleurs une réponse précise, elle voulait simplement manifester ainsi sa joie. Monsieur Mignolet dut faire le tour du lit pour embrasser à son tour son fils en lui murmurant de sa voix sourde presqu'incompréhensible pour un non initié : "T'as eu de la chance, fiston, content de te revoir. Chantal, un peu gênée, se contenta d'un rapide "Comment ça va Ghislain ?" A présent tous trois parlaient en même temps, se parlaient d'ailleurs plutôt qu'ils lui parlaient. La tête de Ghislain redevint douloureuse, il eut envie de les renvoyer mais une sorte de pudeur le retint. Il se contenta de fermer les yeux et peu à peu la conversation bruyante s'estompa en sa tête comme un transistor dont on diminue le volume; finalement il n'y eut plus qu'un murmure de plus en plus lointain puis le silence. "Tiens, mais il a perdu connaissance, c'est terrible ! Madame Mignolet cherchait nerveusement la sonnette mais Chantal l'interrompit avec force : "Mais non, Maman, tu te fais de la bile pour rien, il s'est endormi tout simplement. Avec son pessimisme habituel, le père de Ghislain sortit et se précipita sur une infirmière qui calmement portait une PANE ? quelque part. "Mademoiselle, venez vite, mon fils ne va pas bien". Sans s'énerver la bonne dame vint jeter un coup d'oeuil..."Mais non, il vaut mieux le laisser dormir, revenez plus tard, cela ira sûrement mieux. La tête de Ghislain tournoyait un peu dans la deux-chevaux qui le ramenait à la maison. "C'est drôle", cette vallée qu'il connaissait si bien, il avait l'impression de la découvrir, tant il était heureux de la retrouver aussi intacte que lui. Le voisin ne disait rien. C'était un homme assez grand à la chevelure abondante coiffée en brosse, les épaules un peu voûtées. A l'avant, à la place "du mort" Monsieur Mignolet signalait ça et là une fabrique, un point de vue qui lui rappelait son enfance. Ghislain, malgré sa soif de profiter désormais à fond de la vie ne réussissait pas à échapper à l'engourdissement qui lui rappelait sans esse les jours passés ; la voiture s'engageait déjà dans les faubourgs de la ville, il pleuvait doucement, les gens se hâtaient pour rentrer chez eux et au fur et à mesure qu'il se rapprochait de sa demeure Ghislain se sentait de mieux en mieux dans sa peau. La voiture stoppa doucement. -"Merci beaucoup, Monsieur Désiré, bredouilla le père de Ghislain. Celui-ci se contenta de lui tendre une main molle. Il avait hâte de retrouver sa piaule. Il lui fallut bien entendu, assis dans le meilleur fauteuil du salon, affronter le milieu familial tout en fête, répondre, rappeler pour la énième fois les circonstances de l'accident, se féliciter d'être encore en vie. L'accident avait tué dix personnes - remercier les parents, voisins et amis de leur présence : il en eut bien vite marre et pour échapper à cette tiédeur écœurante, il ferma les yeux volontairement. On le conduisit, on le hissa presque à sa chambre, mais il ne voulut pas se laisser déshabiller, mettant fermement tout le monde à la porte. Enfin seul ! Seul pour se repaître de ses souvenirs, pour reconstituer bribe par bribe la texture des événements récents ; huit jours déjà, le calendrier mural illustrant une patrouille scoute en train de laver des voitures en faisait foi. Tout lui revenait peu à peu en tête et se concentrant sur un seul fait ou plutôt une seule personne, Solange. Ce souvenir se mua vite en résolution : retrouver à tout prix la jeune fille dont il reconstituait intérieurement le souvenir vécu. La flamme qui dansait en son regard, la balancement de sa longue chevelure, son corps gracieux qui avait tant désiré tenir en ses bras. Brusquement, il se ressaisit...

A suivre sur ce Blog.

"poesie-action balchoy"

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