LA LIBERTE DANS L'OEUVRE DE DOSTOÏEVSKI : ÊTRE LIBRE, CE N'EST PAS CHOISIR A TOUT VENT, C'EST ÊTRE SOI-MÊME. (394)
Dans cette perspective ontologique ou conceptuelle, il est relativement facile de distinguer les trois vertus théologales, mais le risque est grand aussi de les « chosifier » en les objectivant à outrance.
Sous l’angle existentiel, la distinction Foi-Espérance et Espérance-Amour devient difficile à cerner, car ces diverses phases se convergent en une personne unique et se déroulent d’une façon continue.
L’espérance chez Dostoïevski ne peut se comprendre qu’à la lumière de la condition existentielle de l’homme. Devant le scandale du mal et de la souffrance, de l’impuissance du bien, le croyant est tenté de se décourager.
S’il résiste à cette sorte de capitulation, il découvre qu’il est possible de surplomber en quelque sorte le scandale de la temporalité et de l’absurdité apparente du Cosmos face au Christ et de s’ouvrir ainsi à l’Amour à venir qui aura le dernier mot.
Cette espérance va de pair avec l’humilité qui accepte l’incapacité de la raison à tout comprendre et se confie humblement envers et contre tout au Dieu qui a révélé en son Fils Jésus-Christ le triomphe de l’amour au-delà de l’absurde, de la souffrance et de la mort.
L’espérance chez Fédor Mikhaïlovitch se situe dans l’antithèse de l’optimisme facile qui fuit le réel et ses misères pour s’installer dans le rêve et un bonheur tout factice.
Dostoïevski a plongé jusqu’au fond dans le mystère de la souffrance et de l’apparente stupidité de la vie humaine ; il a bu le désespoir jusque la lie, c’est seulement alors que dans un discours vital extraordinaire, il est parvenu à récupérer une espérance d’autant plus tenace qu’elle surgissait d’une vision consciente du mal qui règne ici-bas.
La qualité de son espérance est proportionnelle à l’intensité du désespoir qui, tout un temps, lui a rongé le cœur.
Si l’écrivain a pu aimer si lucidement la vie, c’est, de son propre aveu, parce que cette vie lui a donné petit à petit une vision plus claire de l’idéal admirable incarné par le Christ.
L’espérance ne fut pas en effet uniforme en lui.
Chez le jeune étudiant, elle s’identifie à un refus quasi-viscéral de sombrer dans le désespoir.
Malgré la laideur du réel qui l’entoure et devant l’ampleur des forces qui menacent sa personnalité, il persiste dans sa résolution : il veut vivre libre, car la vie vaut la peine d’être vécue. (1)
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(1) Cf. cette étude page...
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Il ne sait pas pourquoi, mais fait confiance à une force invisible et invincible qui le sollicite. (2)
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(2) « Souvent, je me suis demandé s’il y avait au monde un désespoir capable de vaincre en moi ce furieux appétit de vivre, inconvenant peut-être… Cette soif de vivre, certains moralistes morveux et poitrinaires la traitent de vile, surtout les poètes…Il y a beaucoup de force centripète sur notre planète…On veut vivre et je vis même en dépit de la logique. » (Les Frères Karamazov, page 249
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