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Publié par YVAN BALCHOY

REFLEXIONS SUR LA PROFITABLE CHARITE A LA ZUCKERBERG OU A LA BILL GATES (SOLIDAIRE)
REFLEXIONS SUR LA PROFITABLE CHARITE A LA ZUCKERBERG OU A LA BILL GATES (SOLIDAIRE)

Le fondateur de Facebook, Marc Zuckerberg, avec sa femme et leur fille. Il a annoncé qu’il allait octroyer 99 % de ses actions Facebook à des projets philantropiques.

Les largesses de Zuckerberg et consorts ont de quoi dérouter. La philanthropie est à la mode. Les riches de la planète se sentent de plus en plus appelés à investir de grandes parts de leur fortune dans de bonnes causes comme la lutte contre la pauvreté, la faim ou la maladie. Mais ces chevaliers blancs des bonnes œuvres nous mènent-ils vraiment vers un monde meilleur ? Ou cachent-ils d’autres objectifs derrière leurs nobles intentions ? Début décembre, Marc Zuckerberg, le très branché CEO en t-shirt qui a offert Facebook au monde, annonçait qu’il allait octroyer 99 % de ses actions Facebook à des projets philanthropiques. Il est ainsi disposé à consacrer progressivement au cours de sa vie 42 milliards d’euros à rendre ce monde meilleur.

Bill Gates, depuis 2008 à plein temps au gouvernail de la Bill and Melinda Gates Foundation, a lui aussi montré une fois de plus son côté généreux : il a investi 3 millions d’euros dans la recherche pour un nouveau vaccin contre la polio à l’Université d’Anvers.

Quant au milliardaire belge Marc Coucke, il a investi 75 millions d’euros dans la recherche contre le cancer.

Ces généreux donateurs récoltent nombre de louanges pour leurs libéralités. Dans De Morgen du 3 décembre, Alexander De Croo (Open Vld), ministre de la Coopération au développement, déclarait : « Nous avons besoin des Zuckerberg de ce monde et, par extension, du secteur privé pour réaliser le nouvel agenda du développement d’ici 2030. » Pas de monde meilleur sans super-riches entrepreneurs, donc ? En irait-il réellement ainsi ?

Et la philanthropie des Zuckerberg de ce monde est-elle si désintéressée ?

Capitalisme créatif

Les largesses de Zuckerberg et consorts ont de quoi dérouter. En effet, il s’agit d’hommes d’affaires qui ont une foi inébranlable dans le marché et une aversion prononcée envers tout ce qui peut un tant soit peu sentir la redistribution ou le socialisme.

Mais ils sont probablement eux-mêmes les mieux placés pour apporter quelques éclaircissements.

En 2008, Bill Gates a prononcé un discours marquant au Forum économique mondial, la grand-messe annuelle du gratin financier à Davos, en Suisse. Il a appelé les fortunes rassemblées à embarquer avec lui dans le train du « capitalisme créatif ».

Selon Gates, il existe deux grandes forces dans la nature humaine : l’intérêt personnel et le souci des autres.

Gates veut réunir ces deux forces en une nouvelle forme de capitalisme. Pour lui en effet, « le génie du capitalisme réside dans la possibilité de faire servir l’intérêt personnel à un intérêt plus large. Le potentiel d’un grand return financier pour l’innovation pousse un large groupe de gens talentueux à la réalisation de nombreuses et diverses inventions. » Le capitalisme créatif de Gates s’assigne une double mission :

« Faire du profit, et améliorer la vie de ceux qui ne profitent pas pleinement des forces du marché

Pour rendre le système durable, nous devons utiliser le profit comme stimulant là où nous le pouvons. »

Le moteur du désir croissant de bienfaisance des milliardaires n’est donc rien d’autre que de l’ordinaire profit.

Le capitalisme reste le capitalisme, quel que soit l’adjectif qu’on y accole.

Dans le « capitalisme créatif », l’homme reste juste un être qui ne peut être mis en mouvement que lorsqu’il y a une possibilité de gagner beaucoup d'argent.

Quant au capitaliste créatif, il est lui aussi simplement en permanence à la recherche de nouveaux marchés. « Le capitalisme créatif est une approche par laquelle les gouvernements, les entreprises et le non-marchand collaborent pour agrandir le champ d’action du marché, afin que

davantage de gens puissent faire du profit.

Il couple l’expertise commerciale aux besoins du monde sous-développé pour trouver des marchés qui y sont déjà mais qui ne sont pas encore exploités », précisait encore Gates. Bill Gates est depuis 2008 à plein temps au gouvernail de la Bill and Melinda Gates Foundation. La philanthropie de Gates et consorts ne vise absolument pas un changement en profondeur des rapports de force dominants. L’intention est d’ailleurs de renforcer ceux-ci..

.Réduction des risques

Il est frappant de constater que c’est depuis l’éclatement de la crise mondiale de 2008 que le nombre de milliardaires philanthropes a considérablement augmenté. Les montants qu’ils consacrent à leurs missions caritatives ont grimpé à des hauteurs astronomiques.

Cette évolution est probablement liée au fait que, par la crise, l’attitude de l’opinion publique envers la classe des super-riches s’est mise à changer sensiblement.

Les pagailles financières et économiques des dernières années ont clairement et douloureusement exposé la disparité entre le 1% et les 99%.

La volonté d’une redistribution, d’une fiscalité juste et de contributions proportionnelles des riches s’est fait entendre de manière de plus en plus forte. Les fortunés ont vu leur image se dégrader de manière non négligeable.

Tant aux Etats-Unis qu’en Europe, les tout gros richards ont donc rapidement proposé de payer davantage d’impôts – de manière temporaire –, montrant ainsi leur bonne volonté à contribuer de manière substantielle pour conjurer la crise. Ce subit enthousiasme philanthropique est aussi sans aucun doute lié à la nécessité des nababs de redorer quelque peu leur blason. En effet, le caritatif score toujours bien.

C’est ce qu’avait déjà souligné Bill Gates à Davos : « Le profit n’est pas toujours possible lorsque des entreprises essaient d’aider les pauvres. Dans ces cas-là, il doit y avoir un autre stimulant basé sur le marché. Ce stimulant, c’est la reconnaissance. La reconnaissance rehausse la réputation d’une entreprise et plaît aux clients. Surtout, elle attire les bonnes personnes. La reconnaissance génère ainsi une récompense basée sur le marché pour bonne conduite. »

Ou, comme le formulait Francine Mestrum, docteure en sciences sociales :

la bienfaisance sert seulement à légitimer la richesse perverse.

Une feuille de vigne sur la soif de profit La philanthropie de Zuckerberg et consorts ne vise absolument pas un changement en profondeur des rapports de force dominants. L’intention est d’ailleurs de renforcer ceux-ci. La bienfaisance est une feuille de vigne qui recouvre la perpétuelle soif de profit et entretient l’idée que les super-riches sont absolument nécessaires pour sauver le monde.

Que seraient les pauvres sans les riches ? Le milliardaire et philanthrope mexicain Carlos Slim disait d’ailleurs : « Il faut donner les fruits, pas les arbres. » Une étude de la Fondation Triodos interroge donc à juste titre : « Quelle est la crédibilité d’un entrepreneur qui réalise des profits exorbitants en exploitant des travailleurs et des ressources collectives de la Terre pour ensuite retourner une partie des bénéfices ainsi acquis à la protection de la nature ou à la lutte contre la pauvreté ? »

La philanthropie est donc devenue un business en plein essor. Les milliards de gens qui doivent survivre dans des conditions misérables sont l’objet de cette industrie de la bienfaisance et incarnent la promesse de futurs marchés.

A Davos, Bill Gates a dit à leur propos : « Il y a des milliards de gens qui ont besoin des grandes inventions de l’ère numérique et d’encore bien plus de produits de base. Mais ils n’ont pas la possibilité d’exprimer leurs besoins d’une manière qui intéresse les marchés. » Il faut donc suffisamment tirer les damnés de la terre de leur misère pour éveiller l’intérêt du marché. Ils doivent pouvoir devenir des consommateurs.

La philanthropie des super-riches ne se donne dès lors pas pour objectif de résoudre le problème de la pauvreté dans le monde.

A nouveau Bill Gates à Davos : « Si nous pouvons consacrer les premières décennies du 21e siècle à la recherche d’approches qui répondent aux besoins des pauvres d’une manière qui génère du profit et de la reconnaissance pour les entreprises, nous aurons alors trouvé une manière durable de diminuer la pauvreté dans le monde. »

La pauvreté ne doit pas disparaître, mais être diminuée. La souffrance doit seulement être adoucie, suffisamment pour plaire au marché.

De cette manière, la philanthropie s’accorde parfaitement à la vision classique de la coopération au développement qui, en plus d’un demi-siècle, n’a pu empêcher l’augmentation mondiale de la pauvreté.

Au cours des dernières décennies, l’attention est ainsi passée de « l’éradication de la pauvreté » à « la diminution de la pauvreté »

Francine Mestrum écrit à ce sujet : « Je n’ai jamais compris comment on peut justifier moralement un tel objectif. Dans un monde où plus d’un milliard de gens vivent dans l’extrême pauvreté et souffrent de la faim et où un million de gens possèdent ensemble des dizaines de milliers de milliards de dollars, on prétend avoir besoin de 25 ans pour supprimer la moitié de la pauvreté la plus grande, et laisser l’autre moitié pour ce qu’elle est. »

La philanthropie présente la même infirmité que la politique déficiente en matière de développement, puisqu’elle lutte uniquement contre les symptômes et ne touche absolument pas à la maladie proprement dite. Comme l’explique le Dr David McCoy, chercheur à l’University College de Londres :

« Faire appel aux méga-riches pour qu’ils assument un peu plus de charité n’est pas une solution pour les problèmes de santé dans le monde. Nous avons besoin d’un système qui ne produise pas autant de milliardaires.

Tant que nous ne nous occupons pas de cela, cette sorte de philanthropie constitue soit une diversion soit un danger potentiel pour le besoin de changement de système dans l’économie politique. »

Zuckerberg et consorts nous ramènent au 19e siècle, une époque à laquelle les pauvres et les affamés étaient entièrement livrés aux caprices de fortunés bienfaiteurs.

Mieux que l’Etat Zuckerberg et consorts ne cachent pas qu’ils n’apprécient guère l’Etat.

Ils ont plus d’une fois subtilement fait comprendre que les pouvoirs publics ne réalisaient rien du tout.

A Davos, Bill Gates a clairement exprimé le rôle que le capitalisme créatif attribue à l’Etat : « La meilleure manière pour l’Etat de fournir des leviers, c’est d’élaborer une politique et de mettre des fonds à disposition afin de créer des impulsions de marché pour les activités commerciales qui améliorent la vie des pauvres. »

Partout dans le monde, les riches bienfaiteurs sont obéis au doigt et à l’œil

En tout premier lieu, les Etats fournissent aux grosses fortunes nombre d’échappatoires pour se soustraire au fisc.

C’est de cette manière que les gros entrepreneurs arrivent à se retrouver sur les listes Forbes des personnes les plus riches de la planète. Les pouvoirs publics permettent aussi que les grosses fortunes puissent être intégrées à des fonds et fondations à caractère caritatif.

Ainsi, l’argent échappe donc également à l’impôt et peut être investi dans la profitable industrie de la bienfaisance. Les pouvoirs publics saluent également avec enthousiasme l’avancée des philanthropes, facilitant la poursuite du démantèlement de l’Etat-providence. Les fissures dans la politique de l’Etat sont alors tant bien que mal replâtrées par de généreux dons.

Ainsi en Flandre, un fonds a été créé en 2013 par Ingrid Lieten (sp.a), alors ministre flamande en charge de la Lutte contre la pauvreté, pour remédier à la pauvreté infantile

Celui-ci devait être financé par des dons de particuliers et d’entreprises. Aujourd’hui, Alexander De Croo veut créer au sein de la Société belge d’investissement pour les pays en développement un fonds qui soit ouvert aux entreprises privées belges. Le ministre flamand de la Culture, Sven Gatz (Open Vld), fait lui aussi un appel à la générosité des entrepreneurs pour la culture. Cela donne à Zuckerberg et compagnie précisément ce qu’ils veulent : du pouvoir et de l’influence.

La Bill et Melinda Gates Foundation possède des départements universitaires entiers, elle est l’acteur le plus important dans les relations de coopération dans le monde au plan de la santé, et elle représente un des plus grands donateurs de l’Organisation mondiale de la santé.

Bill Gates a ainsi le pouvoir de diriger à lui tout seul la réflexion sur les soins de santé et d’endosser le rôle des pouvoirs publics. Ce n’est évidemment pas sans risques. Gates a par exemple acheté pour 23 millions de dollars d’actions de Monsanto, le plus grand producteur de semences génétiquement modifiées au monde. Il a aussi lancé un projet de 10 millions de dollars avec le géant de l’agroalimentaire Cargill. Sa conviction personnelle est en effet que ces entreprises sont une bénédiction pour le tiers-monde qui souffre de la faim.

Rien n’est moins vrai, mais comme Gates paie l’essence, c’est donc lui qui décide du chemin que prend la voiture. Et il n’a pour cela aucun compte ou justification à rendre à qui que ce soit.

Zuckerberg et consorts nous ramènent au 19e siècle, une époque à laquelle les pauvres et les affamés étaient entièrement livrés aux caprices de fortunés bienfaiteurs

. L’écrivain irlandais Oscar Wilde avait déjà alors su formuler précisément pourquoi cette situation est sans issue : « On se met très sérieusement et très sentimentalement à la besogne de remédier aux maux dont on est témoin.

Mais vos remèdes ne sauraient guérir la maladie, ils ne peuvent que la prolonger.

Le but véritable consiste à s’efforcer de reconstruire la société sur une base telle que la pauvreté soit impossible. »

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