K7 TALISMAN
Ce matin hivernal
et quelque peu glacial
j'ai pris ma voiture
en quête d'un brin de nature
quand soudain dans la boîte à gants
ta cassette m'a paru un remède épatant
pour fuir mes soucis
et apaiser mes ennuis
Face au parc de ma cité
des canards diversement coloriés
fendant l'eau d'un air extasié
tandis que sur la pelouse
un paon à l'élégance andalouse
se faisait admirer
par une famille toute encapuchonnée.
Dès que la cassette se mit en route
mon cafard fut en déroute.
Au rythme de la flûte de pan
le paysage s'enlumina soudain
L'horizon se dressa
en blanches sierras nevada
le parc devint forêt amazonienne
parsemée de ruines précolombiennes.
A quelques pas de moi
si gracieux dans leur pancho
les mains dans le dos
quelques hommes aux yeux brûlants
allant et reculant
tout en chantant
dansaient un étrange boléro
d'un altiplano romancero
A deux pas un bouquet joliment colorié
de jeunes femmes au teint hâlé
vêtues d'amples "toma hombre"
tournoyaient entre elles
telle une toupie de soleil.
Emerveillé par cette cassette talisman
qui m'entraînait dans un monde si différent
je fermai les yeux un instant
pour mieux savourer le moment présent.
Quand tout aussi ravi
je les rouvris
je me trouvais au pied d'une citadelle
aussi vieille que belle
qui face ˆ une mer émeraude
me chantait à sa façon son ode
d'un passé prestigieux
dont je voyais les restes si fastueux
la merveilleuse Carthagène
où le blanc côtoie si joliment l'ébène
l'aujourd'hui y est paré des habits d'hier
et le passé y ressuscite si fier
C'est alors que me retournant ébloui
autant qu'abasourdi
enfin je te revis
Je me précipitai vers toi
mais doucement tu me repoussas
d'une douce caresse de tes doigts
puis m'entraînant à travers rues
tu me détaillas tout en revue
Me faisant humer gaiement mille odeurs
si accordées à la palette des couleurs
tu me fis visiter le port
admirer les statues des conquistadores
me recueillir dans les églises coloniales
et leur si délicieuse fraîcheur
au sein de la moiteur équatoriale
tout cela dans la musique
des bruits et des clameurs
tellement accordée à la chaleur des tropiques.
Soudain je me sentais un autre homme
j'oubliais tous mes pensums
heureux de la présence à mes côtés
d'une jolie femme un peu excitée
de faire partager les joies de son enfance
les flammes de son adolescence.
Brusquement en quelques instant
le soleil nous tira sa révérence
Dans l'obscurité naissante
ta main soudain rejoignit la mienne
tandis que ma bouche
rejoignant le tienne faisait mouche
tu m'entraînas dans un petit resto
à deux pas de la mer
dont il gardait l'odeur
et préservait la saveur
Avec ta suave autorité
tu me commandas des mets épicés
des crevettes étrangement saucées
qui me firent oublier le beefteak-frites
qui pourtant chez moi est un rite.
Tes yeux devinrent peu à peu plus brillants
comme ce vin chatoyant
dont la chaleur joyeuse
rendait nos mains toujours plus audacieuses.
De notre retour à l'hôtel
bras-dessus, bras dessous
ne me demandez pas l'itinéraire
J'avais tellement mieux à faire
Tu me souris toute consentante
Je m'approche électrisé
pour t'embrasser
quand brusquement tout s'effondre
et disparaît dans l'ombre
Je me retrouve ridicule
dans mon véhicule.
La cassette vient de s'achever
Tous mon rêve est cassé
Le gris et le froid
ont repris leur droit
Les canards semblent si heureux
que je leur en veux un peu
Il ne me reste de toi que ces souvenirs
d'un monde encore inconnu à découvrir
Mais tu es, je le sais, mon meilleur avenir
Ta cassette s'est tue
mais ma soif de toi perdure !
Yvan Balchoy