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Publié par BALCHOY

Denise, je n’oublierai jamais notre première rencontre. Je rentrais en voiture à la maison, juste en cette rue où Belgique et France se situent de chaque côté de la rue, tu surgis brusquement devant moi faisant du stop d’une façon aussi dangereuse qu’impérieuse. Bien obligé, je stoppai net, prêt à t’enguirlander mais tu ne m’en laissas pas le temps : « Pouvez-vous me conduire à l’église d’Herseaux Ballon ? » Mon agressivité naissante se trouva toute désarmée devant cette assurance que le service somme toute assez léger qu’elle me demandait lui était dû.

 

 Cette première rencontre fut suivie de beaucoup d’autres car Denise qui se déplaçait difficilement aimait bouger et bien vite après l’office elle prit l’habitude de passer à la maison où en dégustant un bon café elle nous conta peu à peu sa vie qui était tout sauf banale.

Denise fit de très longues années institutrice dans le libre en France, Je suis convaincu qu’elle de donna toute entière à cette profession qui pour elle fut une vocation et des centaines sinon des milliers d’enfants du nord  lui doivent consciemment ou non un peu de l’enthousiasme que la vie lui inspirait.

 Chaque année, en dépit de ses moyens plus que modestes Denise s’en allait avec une ou deux amies aux bouts du monde en Asie, en Afrique en Amérique du sud, sans doute son continent de prédilection.

Elle m’a souvent raconté sa nuit vécue dans une grande fraicheur dans les maisons en pierre sans toit du Machu Pichu, et sa rencontre d’amitié avec Monseigneur Ruiz évêque du Chiapas au Mexique qui prit énergiquement face au gouvernement central la défense des indiens bannis dans leur propre pays. Monseigneur Ruiz  se vit l’ambassadeur de ses indiens persécutés dans le monde entier ; hélas  en ce temps de la théologie de la libération, sa sympathie militante qui bien entendu ne plaisait pas aux propriétaires terriens ni à beaucoup de ses collègues évêques plus que compromis avec les puissants du pays et dès qu’il arriva à l’âge prévu pour sa retraite Mgr Ruiz du bien entendu la prendre et fut remplacé par un coadjuteur plus proches des idées du sinistre Opus Dei que de l’Evangile.

Denise en ce coin franco-belge de l’Europe prêchait partout la bonne nouvelle de Mgr Ruiz et des indiens du Chiapas et chaque fois qu’il venait visiter le nord de la France ou la Belgique elle cherchait un chauffeur pour la conduire auprès de son ami sud-américain.  Je me rappelle avec quelle autorité comme si ce voyage lui était du à m’embaucher pour nous rendre à Namur, Mons ou Charleroi où Mgr Ruiz devait faire une conférence sur le Chiapas. Hélas, le voyage fut annulé sans doute à cause de ses adversaires de Rome ou de Mexico qui voyaient avec grande suspicion cet évêque révolutionnaire.

 Mgr Ruiz vit toujours dans l’ombre que lui a imposé le Vatican sous l’impulsion de ce cardinal grand inquisiteur qui gouverne aujourd’hui l’Eglise après un consistoire où je ne vois guère l’action surprenant du Saint Esprit.

Je sais que Denise m’aurait grondé pour cette remarque perfide car  en bonne croyante elle réussissait à réunit sa fois catholique intégrale pour ne pas dire intégriste et sa confiance absolue en l’action de son évêque du bout du Monde.

 Denise ne s’est jamais mariée, je pense qu’elle était trop embarquée par son travail-apostolat en son école pour rechercher un compagnon de vie. Pourtant un jour, elle me l’a confié, un dentiste argentin la rencontrant durant un voyage andin la demanda en mariage. Ce fut la seule fois, selon elle qu’elle faillit accepter mais en définitive elle ne put se résoudre à abandonner ses élèves de France. Elle n’oublia jamais cet homme et plus d’une fois, elle me montra, sans me permettre de la lire, la lettre d’amour que lui avait envoyée son ami lointain.

L’histoire de Denise ne se termine pas bien. Il y a une dizaine d’années elle ressentit les premières atteintes de la maladie de Parkinson qui l’immobilisa peu à peu d’abord dans ses mouvements, dans sa maison, dans une maison de retraite puis de plus en plus en elle-même d’où il était devenu très difficile de la sortir quand on venait lui apporter notre amitié et quelques friandises dont elle était un peu gourmande.

Je pense que ces longues années de silence – elle avait énormément de difficultés d’articuler encore un ou deux mots essentiels lors de mes visites – elle les a vécu en priant pour sa famille, ses élèves, ses amis proches ou lointain, son ancien curé qu'elle affectionnait particulièrement.

Ces dernières semaines, plus d’une fois en passant à proximité de sa maison de retraite, je me disais «Il faudrait que j’aille lui dire bonjour car elle ne sera plus toujours là » Je trouvais souvent les meilleures raisons du monde pour postposer ma visite.

Ce matin, un coup de fil m’a annoncé sa mort et ses funérailles auxquelles j’ai pu assister non sans quelque remord.

Je garde de Denise ce splendide récit de son voyage au Machu Pichu où je la découvre comme une jeune femme sportive et volontaire celle que j’ai rencontré à l’automne de sa vie. N’empêche que cette autostoppeuse fougueuse avec laquelle je n’étais pas souvent d’accord avait séduit une part de mon cœur par l’authenticité de sa vie de son amour unique pour le Christ et la dignité de sa retraite progressive de toute vie active. J’imagine qu’aujourd’hui elle a atteint le but ultime de ce grand voyage intercontinental que fut sa vie au service surtout des enfants.

Je crois que chacun d’entre nous s’il scrute bien sa vie et ses relations a dans sa vie une Denise ou un Denis qui peu à peu s’éloigne et s’enfonce dans la paralysie ou l’inconscient qui caractérise souvent nos dernières années. N’attendons pas, comme je l’ai fait un peu hélas, qu’il soit trop tard pour lui témoigner que notre amitié n’est pas du passé mais de l’éternel présent.

 

 

 

Yvan Balchoy

yvanbalchoy13@gmail.com

http://poete-action.ultim-blog.com

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