LA LIBERTE DANS L'OEUVRE DE DOSTOÏEVSKI (57)
De même, tout au long du drame, nous voyons le Prince partagé entre deux femmes : Nastasia, la pécheresse passionnée que lui dispute Rogojine et dont le malheur lui fait pitié et la fière Aglaé, victime de sa vanité ombrageuse. Le dévouement du Prince envers ces deux femmes semble avoir été dépensé en pure perte, puisque Nastasia périt assassinée par Rogojine, tandis qu'Aglaé tombe sous la coupe d'un "traître Polonais" et se convertit de surcroît à ce catholicisme si exécré autant par le Prince que par l'écrivain.
Au terme de sa rédaction, Dostoïevski reconnaît son échec. Il n'a pas su exprimer le dixième de son idée. (1)
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(1) Correspondance de Dostoïevski, (éd. française) tome IV, lettre 321 à A. Ivanovna (25/01/1869)
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Sans doute le personnagede l'Idiot évoque-t-il bien l'esprit de l'Evangile, mais il semble être l'adepte d'un Christ désincarné, sans contact réel avec le monde.
Ne l'atteignant pas, il ne le sauve pas non plus. Le Prince est à l'image et à la mesure de ce Messie éthéré qu'il s'est forgé pour Idéal. La société est en admiration devant lui, mais il est trop différent d'elle, trop "idiot" en un mot pour l'entraîner à sa suite.(2)
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(2) La fin tragique du roman (Mychkine retombe définitivement, semble-t-il dans la folie) symbolise bien son "idiotie congénitale" à ce monde d'en bas qu'il n'a pas pu transformer et que, cette fois, il quitte à jamais.
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Par ailleurs, même si quelques légères atteinte du mal se retrouvent en lui, Mychkine donne l'impression d'avoir été préservé du péché originel. Sa bonté et sa perfection lui sont, dirait-on, venues tout naturellement, sans effort ni lutte.
S'il n'est réellement ni dédoublé, ni aliéné en son être personnel, il n'est cependant pas doué d'une liberté comparable à la notre et ne peut donc nous servir de modèle.
Malgré ce caractère inachevé et imparfait, le Prince se situe sur un plan spirituel tout autre que celui des autres personnages dont il a été question jusqu'ici. On opposera peut-être à cela la folie qui le frappe à la fin du roman et qui semble fort proche de celle d'Yvan Karamazov. Mais "l'aliénation" de Mychkine, considérée en sa profondeur ultime, symbolise non pas sa forme intérieure et la haine de soi, mais l'appartenance déjà ici-bas aux valeurs éternelles du monde spirituel. Le dernier geste du Prince relaté dans "l'Idiot" en fait foi : c'est un geste d'apaisement vis à vis du meurtrier de Nastasia. (3)
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(3 L'Idiot, page 741
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Entre l'ainé des Karamazov et Mychkine subsiste un mur infranchissable, celui qui sépare le monde des ténèbres de celui de la lumière.
2) A L I O C H A K A R A M A Z O V
Entre le Prince Mychkine et Aliocha Karamazov, la parenté spirituelle est indéniable. (4)
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(4) En écrivant "Les frères Karamazov", Dostoïevski était guidé par les mêmes préoccupations qui l'avaient guidé lors de la composition de "l'Idiot". Une fois encore, Dostoïevski cherche à évoquer un homme particulièrement beau et bon. Les "Carnets des frères Karamazov" ne désignent-ils pas le héros du roman à venir du terme "idiot" : "L'idiot explique aux enfants l'obit : le mauvais a une fin tragique, explique le diable (prologue de Job), explique la "tentation au désert." (page 824)
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Plus d'un trait attribué au cadet de la famille Karamazov pourrait s'appliquer tel quel ou presque au Prince. On retrouve chez Alexis la même pureté exemplaire (sous une forme parfois exagérée cependant), la même clairvoyance extraordinaiore qui, jointe à une sincère hum l'argent et de la réussite matérielle importe peu. Un trait rend plus sensible l'affinité et la fraternité spirituelle du prince et du novice. Atribué hypothétiquement à Aliocha, il résume en fait l'expérience vécue par Mychkine dans le premier chapitre de "l'Idiot" :
-"Voilà peut-être le seul homme au monde, qui, demeuré sans ressource dans une grande ville inconnue, ne mourrait ni de faim ni de froid, car, immédiatement, on le nourrirait, on lui viendrait en aide" (5)
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(5) Les frères Karamazov, page 19
Au terme de sa rédaction, Dostoïevski reconnaît son échec. Il n'a pas su exprimer le dixième de son idée. (1)
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(1) Correspondance de Dostoïevski, (éd. française) tome IV, lettre 321 à A. Ivanovna (25/01/1869)
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Sans doute le personnagede l'Idiot évoque-t-il bien l'esprit de l'Evangile, mais il semble être l'adepte d'un Christ désincarné, sans contact réel avec le monde.
Ne l'atteignant pas, il ne le sauve pas non plus. Le Prince est à l'image et à la mesure de ce Messie éthéré qu'il s'est forgé pour Idéal. La société est en admiration devant lui, mais il est trop différent d'elle, trop "idiot" en un mot pour l'entraîner à sa suite.(2)
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(2) La fin tragique du roman (Mychkine retombe définitivement, semble-t-il dans la folie) symbolise bien son "idiotie congénitale" à ce monde d'en bas qu'il n'a pas pu transformer et que, cette fois, il quitte à jamais.
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Par ailleurs, même si quelques légères atteinte du mal se retrouvent en lui, Mychkine donne l'impression d'avoir été préservé du péché originel. Sa bonté et sa perfection lui sont, dirait-on, venues tout naturellement, sans effort ni lutte.
S'il n'est réellement ni dédoublé, ni aliéné en son être personnel, il n'est cependant pas doué d'une liberté comparable à la notre et ne peut donc nous servir de modèle.
Malgré ce caractère inachevé et imparfait, le Prince se situe sur un plan spirituel tout autre que celui des autres personnages dont il a été question jusqu'ici. On opposera peut-être à cela la folie qui le frappe à la fin du roman et qui semble fort proche de celle d'Yvan Karamazov. Mais "l'aliénation" de Mychkine, considérée en sa profondeur ultime, symbolise non pas sa forme intérieure et la haine de soi, mais l'appartenance déjà ici-bas aux valeurs éternelles du monde spirituel. Le dernier geste du Prince relaté dans "l'Idiot" en fait foi : c'est un geste d'apaisement vis à vis du meurtrier de Nastasia. (3)
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(3 L'Idiot, page 741
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Entre l'ainé des Karamazov et Mychkine subsiste un mur infranchissable, celui qui sépare le monde des ténèbres de celui de la lumière.
2) A L I O C H A K A R A M A Z O V
Entre le Prince Mychkine et Aliocha Karamazov, la parenté spirituelle est indéniable. (4)
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(4) En écrivant "Les frères Karamazov", Dostoïevski était guidé par les mêmes préoccupations qui l'avaient guidé lors de la composition de "l'Idiot". Une fois encore, Dostoïevski cherche à évoquer un homme particulièrement beau et bon. Les "Carnets des frères Karamazov" ne désignent-ils pas le héros du roman à venir du terme "idiot" : "L'idiot explique aux enfants l'obit : le mauvais a une fin tragique, explique le diable (prologue de Job), explique la "tentation au désert." (page 824)
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Plus d'un trait attribué au cadet de la famille Karamazov pourrait s'appliquer tel quel ou presque au Prince. On retrouve chez Alexis la même pureté exemplaire (sous une forme parfois exagérée cependant), la même clairvoyance extraordinaiore qui, jointe à une sincère hum l'argent et de la réussite matérielle importe peu. Un trait rend plus sensible l'affinité et la fraternité spirituelle du prince et du novice. Atribué hypothétiquement à Aliocha, il résume en fait l'expérience vécue par Mychkine dans le premier chapitre de "l'Idiot" :
-"Voilà peut-être le seul homme au monde, qui, demeuré sans ressource dans une grande ville inconnue, ne mourrait ni de faim ni de froid, car, immédiatement, on le nourrirait, on lui viendrait en aide" (5)
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(5) Les frères Karamazov, page 19