Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par BALCHOY

 

L’occasion était trop belle, il fallait en profiter tout de suite.

Il s’approcha doucement de son amie et, avisant un râteau qui traînait par terre, lui proposa son aide :

            -« Fleur Ecarlate, je n’ai rien à faire pour le moment et je déteste l’oisiveté. Me permets-tu de t’aider et du même coup de me mettre au service de la communauté ? »

 

-« Si tu veux, frère Jacinthe (ainsi elle connaissait son nouveau nom) mais ne crois-tu pas que tu as plus important à faire que de ratisser quelques mauvaises herbes ? »

 

-« Laisse-moi faire, sœur, j’ai besoin de me dépenser physiquement, cela me fera du bien ! »

 

           -« D’accord, tu peux nous aider, si tu le veux, jusque la méditation de midi, mais je te rappelle la grande règle du silence qui nous permet de joindre l’activité de l’esprit à celle du corps et de parvenir ainsi à l’équilibre suprême. »

 

Ghislain se mit alors activement au travail aux côtés de Marthe, alias Fleur Ecarlate. Par bonheur, tous deux se trouvaient quelque peu isolés des autres sœurs.

Pendant près d’un quart d’heure, il réussit à garder le silence, puis tenta timidement d’engager la conversation en lui demandant des conseils purement techniques sur le jardinage.

Marthe, jusque là sérieuse ne put s’empêcher de sourire.

           -« Mais enfin, frère, toi qui es biologiste, tu dois t’y connaître plus que moi en jardinage. Que veux-tu vraiment ? »

 

Ainsi le matraquage spirituel qu’avait subi Marthe n’avait pas tué tous ses souvenirs du passé ; revigoré par cette découverte, Ghislain reprit espoir de libérer bientôt son amie de l’emprise malsaine qu’elle subissait dans la communauté.

Mais il ne fallait pas brûler les étapes : il se contenta de sourire à son tour en lui répondant :

 

           -« Tu sais, ma connaissance en la matière est si théorique et abstraite que je suis sûr que tu te débrouilles bien mieux que moi. Mais, dis-moi, sœur, comment as-tu connu la « FLEUR DE LOTUS » et depuis combien de temps es-tu ici ? »

 

           -« Mais tu es bien curieux, ami (tiens, se dit-il elle dit « ami » et non « frère ») j’ai commis autrefois des erreurs graves et c’est pour les réparer qu’il m’a été offert de faire partie de cette communauté où je retrouve peu à peu la paix. Je vais être franc avec toi, je suis incapable de te dire exactement depuis combien de temps je vis ici et même comment j’y suis venue. Mais quelle importance tout cela, puisque je m’y trouve comme un poisson dans l’eau. »

 

Décidément, se dit Ghislain, cette conversation fortuite levait un voile troublant et inquiétant sur les manières qu’utilisaient les responsables de cette secte pour convaincre ceux et celles qu’ils réussissaient à attirer dans leurs filets.

 

Comment allait-il faire pour s’évader de ce paradis infernal en convainquant Marthe du bien fondé de ses in tentions ?

 

Il lui fallait restituer, bribes par bribes, des évènements ou des faits significatifs de son passé pour la dégager de cette gangue pseudo-spirituelle où on l’avait emprisonnée.

Il décida de commencer par l’évocation de cette sculpture qui le passionnait tellement quelques semaines auparavant.

 

           -« Te souviens-tu, Marthe, pardon, Fleur Ecarlate, ce ces magnifiques statuettes que tu m’a fais admirer à Liège, c’était vraiment chouette, n’est-ce pas !

 

Il y eut comme un éclair de vitalité sauvage dans le visage éteint de son amie ; un effort manifeste pour se concentrer, une ombre de sourire flotta sur ses lèvres nacrées dont il gardait encore la saveur – il fut frappé par la coïncidence : écarlate. Marthe resta une ou deux secondes, pas plus, pensive, ses traits se durcirent comme si cet effort pour ressusciter le passé était porteur de souffrances, aussi subitement ses yeux se refermèrent, son visage se figea dans le renoncement programmé.

 

           -« Pardonne-moi, frère, comme je te l’ai déjà dit, mon passé est mort et ne me dit plus rien. J’ai cru un instant le retrouver fugitivement à partir de ta question, mais – et c’est sûrement mieux ainsi puisque nous devons ici renaître à une nouvelle vie qui est négation de notre passé futile, je n’y ai plus trouvé qu’un semblant d’émotion que je suis incapable de relier à quoi que ce soit de réel. Plus tard, quand je serai plus solidement affermie dans notre grande famille, je pourrai peut-être regarder en face qui j’ai été sans risque d’y retomber pour mon malheur. »

 

Et, se penchant vers le sol, elle reprit sa bêche et avec une sorte de frénésie, sans plus se soucier de lui et  recommença son jardinage comme si le petit fil qui les avait un instant reliés venait de casser en les replongeant tous deux dans l’isolement et la solitude.

 

C’est à ce moment-là que Ghislain aperçut, juste derrière lui, le frère hôtelier qui l’observait ainsi que sa compagne d’un air sévère :

 

            -« Fleur Ecarlate, pourquoi avez-vous accepté l’aide de frère Jacinthe, vous savez bien que c’est interdit autant pour son bien que pour le votre. Vous me décevez terriblement, ma sœur, et je me vois obligé d’en référer à notre Grand Maître. »
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article