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Publié par YVAN BALCHOY

10-04-24- EMPÊCHER LES JOURNALISTES D'ENTRER A GAZA SERT A FAUSSER L'OPINION MONDIALE (MEDIAPART)

https://www.mediapart.fr/journal/international/090424/empecher-les-journalistes-d-entrer-gaza-sert-fausser-l-opinion-mondia


« Empêcher les journalistes d’entrer à Gaza sert à fausser l’opinion mondiale »
Pour Haggaï Matar, figure de +972 Magazine et de Local Call, deux médias israélo-palestiniens à l’origine d’une enquête choc sur l’usage de l’intelligence artificielle par l’armée israélienne à Gaza, l’État hébreu a « peur du journalisme ». 

Rachida El Azzouzi

9 avril 2024 à 18h21

 
 
TelTel-Aviv (Israël).– « Contrairement aux accusations, l’armée israélienne n’utilise pas de système d’intelligence artificielle pour identifier des opérateurs terroristes ou essayer de prédire quelle personne est un terroriste. » Telle est la réponse des autorités israéliennes à l’édifiante enquête menée par le journaliste israélien Yuval Abraham, récemment primé à la Berlinale avec le journaliste palestinien Basel Adra pour le film No Other Land, qui documente les expulsions forcées et la démolition de maisons palestiniennes par Israël en Cisjordanie occupée.

Dans cette enquête publiée par le média indépendant israélo-palestinien et anglophone +972 Magazine et son pendant en hébreu Local Call, qui a fait réagir la Maison-Blanche et le secrétaire général des Nations unies, Yuval Abraham révèle le terrible usage de l’intelligence artificielle (IA) par l’armée israélienne à Gaza, au travers d’un programme qu’elle a développé et baptisé Lavender (« lavande »).

S’appuyant sur les témoignages de six officiers du renseignement israélien qui affirment avoir utilisé ce programme, le journaliste dévoile comment l’armée a désigné des dizaines de milliers d’habitant·es de Gaza comme des suspects à assassiner, avec un système de ciblage par IA « avec peu de vérification humaine et fondé sur une politique permissive quant aux pertes humaines ». 



Lavender s’autoriserait quantité de morts civils : de 15 à 100 pour une seule frappe aérienne, selon le rang au sein du Hamas de la personne ciblée, sans parfois qu’elle n’ait de lien direct avec la branche militaire de l’organisation islamiste.

C’est dans les premières semaines des bombardements israéliens à Gaza que le programme aurait joué « un rôle central ». 37 000 cibles humaines auraient été ainsi « choisies » et visées le plus souvent à leur domicile, lorsque les familles étaient présentes. 

Lavender existait avant cette guerre, mais n’avait pas connu un tel usage industriel. Israël ne s’est jamais caché de recourir à l’IA, comme en 2021, lors de son opération dite « Gardien des murailles » à Gaza, qualifiée de « première guerre de l’intelligence artificielle ». Cette fois, elle utiliserait en outre un autre système à Gaza, selon Yuval Abraham : Where’s Daddy ? (« où est papa ? »), chargé de suivre les personnes ciblées et de les bombarder chez elles.

Ce n’est pas la première fois que +972 Magazine et Local Call révèlent l’usage de l’IA par l’armée israélienne. En fin d’année dernière, la machine en cause s’appelait Habsora (« évangile ») et visait à frapper de façon très rapide des quantités très grandes de cibles.

Ces enquêtes sur l’usage effréné de l’intelligence artificielle, en train de se muer en « une fabrique d’assassinats de masse », comme le dénonçait en novembre 2023 un officier israélien au magazine +972, ont mis en lumière ce média à part, porté par des journalistes israélien·nes et palestinien·nes, ainsi que Local Call, le seul média en hébreu à raconter la réalité de Gaza. Rencontre à Tel-Aviv avec l’une des figures de ces deux journaux, le journaliste Haggaï Matar, directeur exécutif de +972 et codirecteur de Local Call. 

Mediapart : L’enquête de Yuval Abraham a une résonance mondiale. Vous attendiez-vous à un tel impact ?

Haggaï Matar : Le fait qu’elle ait été relayée par le Guardian a permis d’amplifier son impact mondial, mais c’est surtout le travail de Yuval Abraham, excellent journaliste et réalisateur, qui a rendu cela possible. Il a mené une enquête très difficile sur l’une des armées les plus puissantes. Son dénouement est le fruit d’un travail d’investigation colossal.

Nous sommes fiers de lui et de l’impact de son enquête. L’utilisation de l’intelligence artificielle est une préoccupation mondiale. Elle l’est encore plus lorsqu’elle est utilisée dans un contexte de guerre comme ici à Gaza en termes de choix des cibles, de tri des informations, etc. Nous sommes face à une dérive extrêmement dangereuse.

La guerre est déjà automatisée avec des drones, mais elle reste contrôlée par l’homme. Ici, l’armée israélienne dispose de systèmes qui décident qui tuer et où, avec très peu de surveillance humaine, ce qui entraîne un nombre élevé de victimes civiles.

Je veux être prudent lorsque je dis que les militaires agissent sans aucune supervision humaine, car je ne veux pas exonérer la responsabilité de ceux qui fabriquent ces systèmes, qui fixent leurs paramètres et qui agissent en fonction de leurs recommandations. Nous continuons d’enquêter.

Qu’est-ce que l’utilisation de ce logiciel révèle des méthodes de l’État d’Israël dans cette guerre ? 

L’État prend des mesures extrêmes, jamais vues auparavant, en termes de crimes de masse, de crimes de guerre et de bombardements aveugles. Nous avons révélé – et la dernière enquête de Yuval le démontre encore davantage – les terribles politiques intentionnelles de l’armée israélienne visant à détruire les infrastructures, à tuer des civils, à provoquer une énorme catastrophe humanitaire, à affamer et à assoiffer la population.

Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2

Nous sommes confrontés à une rhétorique véritablement génocidaire de la part de certains dirigeants israéliens, mais aussi d’une partie de l’opinion publique. Il s’agit d’une réalité très effrayante et dangereuse, qui conduit à la montée d’encore plus d’extrémisme dans les sociétés israélienne et palestinienne. Plus il y a de violence, plus il y a de destruction, plus il y a de peur les uns des autres, moins il y a de confiance, ce qui nous pousse plus profondément dans l’abîme.

Comment analysez-vous ces six mois de guerre ?

La catastrophe est totale, d’abord pour les Palestiniens mais aussi du point de vue israélien. L’extrême droite israélienne est mécontente car elle veut aller encore plus loin et détruire Rafah, bannir tous les Palestiniens et établir des colonies. Mais l’échec est là, je pense, pour la plupart des Israéliens.

La société a construit une philosophie nationale autour de la suprématie juive, dans laquelle nous ne nous soucions que de ce qui arrive aux juifs.

Nous n’avons pas récupéré la plupart des otages. Ils meurent les uns après les autres à Gaza. Certains sont tués par le Hamas, d’autres par l’armée de leur propre pays, d’autres meurent de maladie. Nous avons plus de 100 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. Jamais nous n’avons vécu cela.

Les victimes du 7 octobre 2023 sont traumatisées et ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin. Israël est plus isolé que jamais dans le monde. Le Hamas est encore assez puissant et bénéficie d’un grand soutien au sein de la société palestinienne.

L’entrée dans le septième mois de guerre a été marquée par de nombreuses manifestations rassemblant des milliers de personnes en Israël, qui réclament la libération des otages mais aussi la tête du premier ministre Benyamin Nétanyahou. Peuvent-elles changer la donne ? 

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La société est déchirée dans son approche à l’égard de Nétanyahou. C’était déjà le cas avant la guerre mais depuis le 7 octobre, la haine et la méfiance à son égard n’ont fait que croître. La grande majorité des Israéliens estiment qu’il a échoué et qu’il devrait démissionner. Ils sont divisés sur le moment approprié : maintenant ou quand la guerre sera finie. Mais pour sauver sa peau, Nétanyahou a intérêt à ce que la guerre dure éternellement.

Pour une majorité d’Israéliens, la seule véritable option est de vaincre le Hamas une fois pour toutes – ce qui, à mon avis, n’est pas du tout possible. Les divisions portent sur la question de la libération des otages mais pas sur l’arrêt de la guerre. Même ceux qui s’opposent à Nétanyahou ne s’opposent pas à la guerre, à l’exception d’une minorité.

Comment expliquez-vous qu’au bout de six mois de guerre, il semble difficile sinon impossible pour une grande majorité de la population israélienne d’appeler à cesser le massacre de civils à Gaza ?

Les médias israéliens ne montrent presque rien de ce qui se passe à Gaza. Le monde entier voit depuis six mois ce qu’Israël fait à Gaza, sauf les Israéliens qui n’en ont aucune idée, car personne n’en parle à la télévision ou à la radio. Ils ne montrent que l’aspect militaire : l’armée a tué ce terroriste, conquis cette terre, mais rien de ce qui arrive à la Palestine et aux Palestiniens.

Chaque jour, en revanche, ils parlent du 7 octobre et répandent des histoires vraiment terribles sur ce qui nous est arrivé ce jour-là. Les Israéliens n’ont pas vraiment le moyen de savoir ce que tout le monde sait sur ce qui se passe à Gaza. Ce n’est pas la première fois que nous le voyons dans les guerres israéliennes, mais c’est assurément pire que jamais.

La politique israélienne est aussi responsable de la manière dont la société a construit une philosophie nationale autour de la suprématie juive, dans laquelle nous ne nous soucions que de ce qui arrive aux juifs.

Dans la plupart des pays, affirmer que tous les citoyens méritent l’égalité n’est pas considéré comme une idée très radicale. Ici, ça l’est. Dire que tous ceux qui vivent ici méritent de jouir des mêmes droits, de la même liberté, de la même sécurité et de l’égalité est tout simplement étranger à l’esprit de la société juive.

OUI, ce qui se epasse a Gaza ressemble furieusement à une forme larvée mais réelle de génocide. L'origine de ce crime est d'autant plus navrante quand on connait le passé  horrible des tueurs actuels du peuple palestinien (YB)

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