14-03-24- ISRAËL-GAZA, DES PREUVES ACCABLANTES DE CRIMES DE GUERRE (AMNESTY.INTERNATIONAL)
https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/israel-gaza-preuves-accablantes-crimes-guerre
CRIMES DE GUERRE - CONTRE L’HUMANITÉ
AJOUTÉ LE 20 OCTOBRE 2023
ISRAËL-GAZA, DES PREUVES ACCABLANTES DE CRIMES DE GUERRE
Tandis que les forces israéliennes intensifient leur attaque dévastatrice contre la bande de Gaza occupée, Amnesty International a recueilli des informations sur les attaques israéliennes illégales, notamment menées sans discrimination, qui ont causé d’importantes pertes civiles et doivent faire l’objet d’une enquête pour crimes de guerre.
Amnesty International s’est entretenue avec des victimes et des témoins, a analysé des images satellites et vérifié des photos et des vidéos afin d’enquêter sur les bombardements aériens effectués par les forces israéliennes entre le 7 et le 12 octobre, qui ont causé de terribles destructions et ont parfois coûté la vie à des familles entières. L’organisation présente ci-dessous une analyse approfondie de ses conclusions sur cinq de ces attaques illégales. Dans chacun des cas, les attaques israéliennes ont bafoué le droit international humanitaire, notamment en ne prenant pas toutes les précautions pour épargner les civil·e·s, ou parce qu’il s’agissait d’attaques menées sans discrimination — sans établir de distinction entre objectifs civils et militaires — ou possiblement dirigées contre des biens de caractère civil.
Voir aussi : En Israël et à Gaza : un mépris effroyable pour la vie humaine
« Dans leur intention déclarée d’utiliser tous les moyens pour anéantir le Hamas, les forces israéliennes font preuve d’un mépris choquant pour la vie des civil·e·s. Elles pulvérisent rue après rue des immeubles résidentiels, tuant de nombreux civil·e·s et détruisant des infrastructures essentielles, tandis que les nouvelles restrictions entraînent Gaza vers des pénuries d’eau, de médicaments, de carburant et d’électricité. Les récits de témoins oculaires et de rescapés ont mis en évidence, à maintes reprises, le fait que les attaques israéliennes déciment des familles palestiniennes, provoquant de telles destructions que les survivants n’ont plus guère que des décombres pour se souvenir de leurs proches », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Les cinq cas présentés effleurent à peine la surface de l’horreur relevée par Amnesty et illustrent l’impact dévastateur des frappes aériennes israéliennes sur la population de Gaza. Depuis 16 ans, le blocus illégal imposé par Israël a fait de Gaza la plus grande prison à ciel ouvert du monde. La communauté internationale doit agir sans attendre pour éviter qu’elle ne devienne un cimetière géant. Nous demandons aux forces israéliennes de cesser sur-le-champ les attaques illégales contre Gaza et de veiller à prendre toutes les précautions possibles pour réduire au minimum les dommages causés aux civils et aux biens à caractère civil. Les alliés d’Israël doivent immédiatement imposer un embargo global sur les armes, au regard des graves violations du droit international commises. »
Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont lancé des milliers de bombardements aériens sur la bande de Gaza, tuant plus de 3 793 personnes, pour la plupart des civil·e·s, dont plus de 1 500 mineur·e·s, selon [1] le ministère palestinien de la Santé de Gaza. Environ 12 500 personnes ont été blessées et plus de 1 000 dépouilles se trouvent encore sous les décombres.
« Dans leur intention déclarée d’utiliser tous les moyens pour anéantir le Hamas, les forces israéliennes font preuve d’un mépris choquant pour la vie des civil·e·s »
En Israël, plus de 1 400 personnes, très majoritairement des civil·e·s, ont été tuées et quelque 3 300 blessées, selon le ministère israélien de la Santé, après que des groupes armés ont lancé depuis la bande de Gaza une attaque sans précédent contre Israël le 7 octobre. Ils ont tiré sans discrimination des roquettes et envoyé des combattants dans le sud d’Israël, qui ont perpétré des crimes de guerre, notamment en tuant délibérément des civil·e·s et en prenant des otages. L’armée israélienne affirme que les combattants ont également emmené plus de 200 otages civils et soldats captifs dans la bande de Gaza.
« Amnesty International demande au Hamas et aux autres groupes armés de libérer sans délai tous les otages civils et de cesser immédiatement les tirs aveugles de missiles. Rien ne saurait justifier les homicides délibérés de personnes civiles, en aucune circonstance », a déclaré Agnès Callamard.
Quelques heures après le début des attaques, les forces israéliennes ont commencé à bombarder Gaza. Depuis, le Hamas et les autres groupes armés continuent d’effectuer des tirs de roquettes sans discrimination vers des zones civiles en Israël, dans le cadre d’attaques qui doivent faire l’objet d’enquêtes pour crimes de guerre. Parallèlement, en Cisjordanie occupée, notamment à Jérusalem-Est, au moins 79 Palestinien·ne·s, dont 20 enfants, ont été tués par les forces ou des colons israéliens, dans un contexte d’usage excessif de la force par l’armée israélienne et d’escalade de la violence des colons soutenus par l’État, qui font également l’objet d’enquêtes par Amnesty International.
« Nous demandons aux forces israéliennes de cesser sur-le-champ les attaques illégales contre Gaza et de veiller à prendre toutes les précautions possibles pour réduire au minimum les dommages causés aux civils et aux biens à caractère civil »
L’organisation continue d’enquêter sur des dizaines d’attaques à Gaza. Ce document met l’accent sur cinq attaques illégales qui ont frappé des immeubles d’habitation, un camp de réfugiés, une maison familiale et un marché. L’armée israélienne affirme qu’elle ne vise que des cibles militaires, mais dans plusieurs cas, Amnesty International n’a trouvé aucun élément probant quant à la présence de combattants ou d’objectifs militaires à proximité au moment des attaques. En outre, elle a noté que l’armée israélienne n’avait pas pris toutes les précautions possibles avant les attaques : les civil·e·s palestiniens n’ont pas été avertis efficacement au préalable — pas du tout dans certains cas, ou de façon inadéquate dans d’autres.
« Nos recherches relèvent des preuves accablantes de crimes de guerre pendant la campagne de bombardement menée par Israël, qui doivent faire l’objet d’enquêtes sans attendre. Des décennies d’impunité et d’injustice et le niveau inédit de mort et de destruction de l’offensive actuelle ne feront qu’entraîner de nouvelles violences et renforcer l’instabilité en Israël et dans les territoires palestiniens occupés », a déclaré Agnès Callamard.
« Il est crucial que le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) accélère les enquêtes en cours sur les éléments mettant en évidence de possibles crimes de guerre et autres crimes de droit international imputables à toutes les parties. Sans justice ni démantèlement du système d’apartheid israélien contre les Palestinien·ne·s, il sera impossible de mettre un terme aux terribles souffrances des populations civiles dont nous sommes témoins. »
Voir aussi : L'effroyable «ordre d'évacuation» de Gaza doit être immédiatement annulé par Israël
Le bombardement incessant de Gaza est source de souffrances inimaginables, alors que la population est déjà en proie à une grave crise humanitaire. Après un blocus illégal de 16 ans, le système de santé à Gaza est au bord de la ruine et son économie est en lambeaux. Les hôpitaux croulent, incapables de gérer le nombre élevé de blessés et manquant cruellement de médicaments et d’équipements vitaux.
« Des décennies d’impunité et d’injustice et le niveau inédit de mort et de destruction de l’offensive actuelle ne feront qu’entraîner de nouvelles violences et renforcer l’instabilité en Israël et dans les territoires palestiniens occupés »
La communauté internationale doit engager Israël à mettre fin à son siège total, qui prive les habitant·e·s de Gaza de nourriture, d’eau, d’électricité et de carburant, et à autoriser d’urgence l’entrée d’aide humanitaire dans Gaza. Elle doit aussi faire pression sur Israël pour lever son blocus de longue date qui s’apparente à une sanction collective contre la population civile de Gaza, constitue un crime de guerre et un aspect clé du système d’apartheid israélien. Enfin, les autorités israéliennes doivent annuler leur « ordre d’évacuation » qui peut s’apparenter à un déplacement forcé de population.
LA POPULATION CIVILE DE GAZA PAIE LE PRIX FORT
Amnesty International a enquêté sur cinq attaques israéliennes contre la bande de Gaza, qui ont eu lieu entre le 7 et le 12 octobre. Entre 2012 et 2022, les autorités israéliennes ont rejeté toutes les requêtes de l’organisation pour pouvoir se rendre à Gaza, ou n’y ont pas répondu. Aussi Amnesty a-t-elle collaboré avec un travailleur de terrain, installé à Gaza, qui s’est rendu sur les sites des attaques et a recueilli des témoignages et des éléments de preuve. Les chercheurs d’Amnesty International ont interviewé 17 victimes et d’autres témoins, ainsi que six proches de victimes au téléphone, pour les cinq cas figurant dans ce rapport. Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises a analysé des images satellites et vérifié des photos et des vidéos des sites des attaques.
Dans les cinq cas étudiés ci-dessous, Amnesty International a constaté que les forces israéliennes ont procédé à des attaques ayant bafoué le droit international humanitaire, notamment en ne prenant pas toutes les précautions possibles pour épargner les civil·e·s, ou en procédant à des attaques sans discrimination — sans établir de distinction entre objectifs civils et militaires — ou possiblement dirigées contre des biens de caractère civil.``
Voir aussi : Alors que la centrale électrique de Gaza est à court de carburant, Israël doit lever son blocus illégal et inhumain
En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties au conflit doivent, en toutes circonstances, faire la distinction entre les civil·e·s et les biens à caractère civil, et les combattants et les objectifs militaires, et ne diriger leurs attaques que sur des combattants et des objectifs militaires. Les attaques visant directement des civil·e·s ou des biens à caractère civil sont totalement interdites et constituent des crimes de guerre. Les attaques menées sans discrimination — qui ne font pas la distinction requise — sont également interdites. Lorsqu’une telle attaque tue ou blesse des civil·e·s, elle s’apparente à un crime de guerre. Les attaques disproportionnées, c’est-à-dire celles dont on peut attendre qu’elles causent des dommages aux civils et aux biens de caractère civil excessifs par rapport à « l’avantage militaire concret et direct attendu » sont également prohibées. Mener sciemment une attaque disproportionnée est un crime de guerre.
DES FAMILLES ENTIÈRES ANÉANTIES
Le 7 octobre vers 20 h 20, les forces israéliennes ont frappé un immeuble de trois étages dans le quartier d’al Zeitoun, dans la ville de Gaza, où vivaient trois générations de la famille al Dos. Cette frappe a tué 15 membres de la famille, dont sept enfants. Parmi les victimes figurent Awni et Ibtissam al Dos, et leurs petits-enfants qui portent les mêmes noms, Awni, 12 ans, et Ibtissam, 17 ans, ainsi qu’Adel et Ilham al Dos et leurs cinq enfants. Adam, un bébé de 18 mois, était la plus jeune victime.
Mohammad al Dos, dont le fils de cinq ans Rakan a péri lors de l’attaque, a déclaré à Amnesty International :
« Deux bombes sont tombées d’un coup sur l’immeuble et l’ont détruit. Avec ma femme, nous avons eu la chance de survivre parce que nous habitions au dernier étage. Elle était enceinte de neuf mois et a accouché à l’hôpital d’al Shifa le lendemain. Notre famille est anéantie. »
Amnesty International a interviewé un voisin dont la maison a été endommagée par l’attaque. Comme Mohammad al Dos, il a indiqué qu’il n’avait pas reçu d’avertissement de la part des forces israéliennes, pas plus qu’aucun membre de sa famille.
« C’était soudain, boum, personne ne nous a rien dit », a-t-il expliqué.
Le fait que de nombreux civil·e·s se trouvaient dans le bâtiment au moment de la frappe aérienne corrobore le témoignage des survivants, selon lesquels les forces israéliennes n’ont pas émis d’avertissement. Il a fallu aux proches, aux voisins et aux équipes de secours plus de six heures pour extirper les corps des décombres.
« Deux bombes sont tombées d’un coup sur l’immeuble et l’ont détruit [...] Notre famille est anéantie »
Les recherches d’Amnesty International n’ont pas conclu à la présence de cibles militaires dans la zone au moment de l’attaque. Si les forces israéliennes ont attaqué cet immeuble d’habitation en sachant qu’il n’y avait que des civil·e·s à ce moment-là, il pourrait s’agir d’une attaque directe contre des civil·e·s ou un bien à caractère civil, donc une attaque prohibée qui constitue un crime de guerre. Israël n’a donné aucune explication sur cet événement. Il incombe à l’agresseur de prouver la légitimité de son opération militaire. Même si les forces israéliennes visaient selon elles un objectif militaire, le fait d’attaquer un bâtiment résidentiel, alors que des civil·e·s se trouvent à l’intérieur, au cœur d’un quartier densément peuplé, en causant autant de victimes civiles et un tel degré de destruction, constituerait une attaque menée sans discrimination. Or, ce type d’attaques qui tuent et blessent des civil·e·s sont des crimes de guerre.
Le 10 octobre, une frappe aérienne israélienne sur une maison a tué 12 membres de la famille Hijazi et quatre de leurs voisins, dans la rue al Sahaba, dans la ville de Gaza. Parmi les victimes, trois enfants. L’armée israélienne a assuré avoir frappé des cibles du Hamas dans la zone, sans donner d’autre information ni fournir d’éléments attestant de la présence de cibles militaires. Les recherches d’Amnesty International n’ont pas conclu à la présence de cibles militaires dans la zone au moment de l’attaque.
Amnesty International s’est entretenue avec Kamal Hijazi, qui a perdu sa sœur, ses deux frères et leurs épouses, cinq neveux et nièces et deux cousins lors de l’attaque :
« Notre maison, qui compte trois niveaux, a été bombardée à 17 h 15. Ce fut soudain, sans aucun avertissement, c’est pourquoi nous étions tous à la maison. »
Ahmad Khalid Al Sik, l’un des voisins de la famille Hijazi, a également été tué. Il avait 37 ans et était père de trois jeunes enfants, tous blessés lors de la frappe. Le père d’Ahmad a raconté ce qui s’était passé :
« J’étais chez moi, dans notre appartement, et Ahmad était en bas lorsque la maison en face de chez nous [celle de la famille Hijazi] a été bombardée, et il est mort. Il allait se rendre chez le coiffeur, qui se trouve à côté de l’entrée de notre immeuble. Lorsqu’Ahmad est sorti pour aller se faire couper les cheveux, je n’aurais jamais imaginé que c’était la dernière fois que je le voyais. La frappe fut soudaine, inattendue. Aucun avertissement, tout le monde vaquait à ses occupations quotidiennes. »
Le coiffeur chez qui se rendait Ahmad a lui aussi été tué.
Selon les conclusions d’Amnesty International, il n’y avait pas d’objectif militaire à l’intérieur de la maison ni à proximité, ce qui indique qu’il pourrait s’agir d’une attaque directe contre des civil·e·s ou des biens à caractère civil — donc interdite et constituant un crime de guerre.