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Publié par YVAN BALCHOY

 

Aujourd'hui les Président de la République fédérale allemande et de la France visitent Ouradour pour rendre hommage aux victimes et rappeler cet HORRIBLE  crime de guerre.

Y étant passé, heureusement au début et non à la fin de la guerre, je voudrais rappeler ici les souvenir de Léon Legrand, sénateur, mon Grand Père

 

J'ai publié en ce blog en plusieurs rappels de mon exode familial.  Il nous conduisit plusieurs jours à  un OURADOUR qui n'était pas celui du carnage de 1944, même s'il en était très proche.

 

Cependant nous sommes passés fugitivement à Ouradour sur Glane. Des détails rapportés par mon Grand Père à propos de l'Alsac ouvrent une interrogation sur les raisons de ce cruel massacre qui semble avoir été prémédité.

 

 

 

 

 

D'accord avec Emile, nous voulions gagner Noiron encore distant d'une trentaine de kilomètres mais pourrait-on y parvenir ? Rochechouart devait être la première localité à atteindre, mais on nous disait que cette localité, petite sous-préfecture, était encombrée de troupes. Il en était de même disait-on, partout. En désespoir de cause, nous gagnons Rochechouard, où l'on ne voulait même pas nous laisser stationner. A ce moment Léon eut une panne de moteur, et nous dit sans plus vérifier : "C'est une panne d'essence."Que faire dans un petit village où l'on ne voulait pas de nous et pour cause. Une nouvelle fois, je me mis en quète du bureau de la place pour tâcher d'obtenir de l'essence.

Je ne réussis qu'à me fatiguer. A côté de nous se trouvait un fourgon militaire composé d'un jeune officier et d'un sous-officier qui nous témoignait quelque intérêt, connaissant très bien la Belgique et, à mon avis,  y ayant été élevé, mais il ne put nous donner d'essence. En désespoir de cause, Léon essaya de nouveau son moteur, qui, à notre  grande stupéfaction, se remit en route. Après les calculs ultérieurs de Léon, il y avait encore à ce moment environ douze litres d'essence dans  nos voitures, ce qui n'empêche que le docteur Mab. crut dur comme fer que Léon avait joué la comédie, ce qui était absolument faux.

Sortant de Rochechouard, et tenant toujours la tête, nous nous trouvâmes bientôt devant un embranchement, l'un conduisant à Saint Laurent ou Saint Julien, l'autre vers la localité nommée Oradour (1)

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(1) ORADOUR SUR VAYRES ou VEYRES
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 Nous étions toujours sous l'impression que notre auto était à peu près à court d'essence, et que d'autre part, la route nous paraissait bien tranquille, et comme Oradour était un peu plus proche de Saint Julien, nous nous engageâmes sur la route d'Oradour, où nous arrivâmes vers les quatre heures, alors que se déchaînait un orage épouvantable.

Ce petit village, chef-lieu de canton, était bourré d'Alsaciens et de troupes, et cette fois la petite voiture était à bout d'essence, au milieu de l'orage, je me dirigeai vers la mairie, avec Emile,  et avec le docteur. Nous y fûmes reçus par le maire le plus mal éduqué de la France, c'est à dire de la façon la plus grossière qu'il soit possible d'imaginer. Il nous reprocha d'avoir quitté l'endroit où nous étions, contrevenant ainsi aux ordres du soit-disant gouvernement, qui, disait-il, dirigeait alors la France et qui devait être obéi.

Ce maire, dont l'attitude resta la même par la suite, était en outre député ; c'était M. X, radical socialiste, communisant, homme sans culture et immensément riche, détesté à Oradour même, mais cajolant les paysans, qui formaient sa clientèle. Il fut l'un des trois opposants au gouvernement de Pétain. Il nous défendit de séjourner à Ouradour. J'eus beau lui faire observer qu'une des voitures était en panne, il ne cessa point ses invectives à notre adresse, et l'entretien se termina sur la défense réitérée de séjourner à Ouradour.

 

Pendant ce temps, la pluie continuait à faire rage. La petite Brigitte était tombée dans le torrent que formaient les eaux au bord de la route, et les gens nous prenaient en pitié, disant beaucoup de mal au maire, tous cependant ayant l'air d'en avoir peur.

Le sieur X avait voulu nous diriger vers Saint Laurent, nous disant qu'il n'y avait pas de troupes, j'ai su depuis qu'il mentait sciemment. En désespoir de cause, je demandai s'il y avait un curé dans l'endroit et de me dire où il habitait. On me répondit qu'il y avait un doyen et l'on me montra sa maison à quelques pas. Je trouvai le doyen à son bureau, et il me dit immédiatement qu'il me donnerait asile pour la nuit en nous abandonnant une chambre et son salon. Plus tard, la servante nous céda la chambre à deux lits qu'elle occupait et qui remplaça ainsi le salon (salle à manger)

Emile, Henri et l'ami Gilsoul allèrent chez la dame de l'agent des Ponts et Chaussées, où ils purent loger sur des paillasses prêtées par l'infirmerie du doyen, car celui-ci avait transformé en infirmerie une petite salle de spectacles.

Chez le doyen logeait déjà un prêtre alsacien, dont la servante faisait la cuisine pour les deux prêtres. C'est ainsi que nous logeâmes la première nuit Léon, Anne et Brigitte dans une chambre, Emile, Henri et Gilsoul sur leurs paillasses, Lucy et Lotti à l'infirmerie et les dix-huit autres, ménage de Paul, Marcelle et ses quatre enfants, et les six Mabille et moi-même dans la chambre à deux lits.

Le lendemain, pas moyen de trouver de l'essence, et nul  espoir de trouver un gîte où que ce fût, dans ce pays encombré. Le doyen, qui ne s'attendait qu'à nous loger un jour, nous dit qu'il ne nous mettrait pas à la porte. Les Claeys trouvèrent à se loger dans le dessus du village, chez un notaire et chez une dame Callend.  Marcelle et ses enfants, continua à être hébergée chez cette dame, dans un véritable château, jusque la fin du séjour.

Claeys, son fils et Gilsoul ne furent hébergés que quelques jours chez le notaire, et durent se réinstaller chez l'agent des Ponts et Chaussées; quant à nous, pendant les vingt-huit jours que dura ce séjour forcé, nous continuâmes à loger dans la même chambre, et j'eus la bonne fortune de pouvoir coucher sur un ressort, dans l'un des deux lits.

Ce séjour fut pénible, car nous savions combien cela devait ennuyer le Doyen qui ne disposait plus dans son presbytère, que d'une chambre à coucher, la grande salle à manger ayant été prêtée pour les repas.

Nous mangions tous en trois tournées, les Mab. d'abord vers onze heures, onze heures et quart, les Claeys ensuite, et enfin nous vers une heure. Même répétition pour le déjeuner et le souper, bien entendu nous avions à pourvoir à notre subsistance.

Nous étions à quarante trois kilomètres de Limoges, où nous pouvions parvenir à l'aide d'un tram électrique indigne d'un pays civilisé. Nous étions arrivés un samedi soir, et dès le commencement de la semaine suivante, les Claeys et les Mab. allèrent à Limoges. J'y allai moi-même deux jours après avec le docteur Mab. et j'y retournai par la suite huit ou neuf fois pendant notre séjour.

C'est dans la nuit de mardi que nous parvint la nouvelle de l'armistice. J'en avais beaucoup discuté avec le Doyen d'Ouradour, et ne lui cachai pas mon étonnement de voir la tournure des affaires. Je lui disais en effet que les pourparlers de l'armistice allaient susciter des questions insalubres au point de vue honneur français. La question de la flotte et de l'aviation, toutes choses que l'on aurait pu éviter si le gouvernement avait purement et simplement quitté la France.

Je fus surpris à la lecture des clauses de l'armistice, car elles étaient dures, à d'autres points de vue, semblaient donner des garanties pour la flotte et pour l'aviation. Nous nous éveillâmes le lendemain avec la sensation que tout au moins le cauchemar des bombardements avait disparu, mais pour laisser place à quels spectacles. Pendant des jours et des jours, nous vîmes se continuer cette retraite française, si différente de la retraite allemande de 1918.

Déjà avant l'armistice, on voyait des autos d'officier se succéder avec bagages et familles, et souvent pilotant des autos belges, ayant donc abandonné leurs troupes ; puis ce furent des convois et des convois qui continuèrent à se succéder après l'armistice. Je m'attendais à lire le désespoir dans les yeux de ces soldats, s'enfuyant en désordre ; nous-mêmes, Belges, nous souffrions de ce fait nouveau, et si bien que pour notre pays, l'occupation fut déjà un fait accompli depuis un mois, et que nous éprouvions un soulagement à ne plus devoir fuir sous les bombes avec nos petits enfants, je ne voyais sur tous les visages que sourires et airs de fête.

J'assistais aussi à un incident émouvant ; un soldat juché sur un véhicule, fut interpellé par d'autres soldats qui se reposaient sur les marches des maisons et sous les arbres de la place ; avec rage, il leur répondit cette phrase que je n'oublierai jamais : "Espèces d'imbéciles, trouvez-vous qu'il y a de quoi rire en ce moment !"
Le malheur, c'est que l'un des chevaux de son attelage fut la victime de cet incident, le soldat hors de lui-même le frappa à coups redoublés du gros bâton qui lui servait de fouet.

Ces convois d'attelage à chevaux laissaient d'ailleurs rêveurs les passants qui les contemplaient. Chevaux maltraités, efflanqués, blessés, ayant manifestement été traités sans soins ni ménagements, voitures désuètes sur lesquelles on pouvait lire modèle 67 et modèle 87. Spectacle désolant et misérable.

Vraiment, ce que je vis alors me fit désespérer de la France. Léon et Paul, s'étaient rendus le soir de l'armistice dans ce que là-bas on appelle hôtel (à part la cuisine qui était bonne, le reste était infect comme propreté et aménagement), virent dans la place où ils se trouvaient d'un côté cinq officiers supérieurs rigolant et sablant le champagne, et de l'autre côté trois poilus cassant la croûte en buvant du pinard, et ne cachant pas leur mépris pour les cinq officiers d'à côté.

Non la France n'était pas préparée à la guerre, ni mécaniquement ni surtout moralement. On nous avait fait croire que depuis septembre 1939, un relèvement miraculeux s'était produit en France. C'était un pur mensonge..


 

Ces gens étaient prêts à toutes les défections, et comme j'eus l'occasion de le dire plus tard à un officier allemand, si Hitler avait en cette question fait preuve de modération envers la France, l'Alsace Lorraine, les Français, dans l'état d'esprit du moment, et sous le réveil de leurs sentiments anglophobes, seraient passés sans coup férir dans le camp allemand. La paix de la France eût été assurée pour cent ans et les français depuis des mois se battraient contre les Anglais. Cela ne tarderait point avec les Allemands mais il a voulu précisément cette occupation pour ramener en France la réaction actuelle, qui d'après les on-dit est sérieuse et assez explicable. Donc, dès la première semaine de mon arrivée à Oradour, je me rendis à Limoges avec le docteur Mab. mais nous n'y séjournâmes ce jour que quelques heures car les journaux du matin annonçaient que le retour en Belgique était libre et nous avions hâte de rentrer à Oradour pour prendre nos dispositions.(1)

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(1) J'avoue être étonné et même un peu peiné par cette opinion de mon grand père qui se trompe, je pense,  sur l'état majoritaire  de l'opinion française et surtout sur la personnalité de ce "fou dangereux" que fut Hitler incapable d'assurer une paix durable pas plus  à son peuple qu'aux peuples conquis souvent très cruellement par ses armées.
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Hélas, pendant vingt-cinq jours, nous devions marcher de déception en déception, car, vu l'hostilité du maire,  nous ne pouvions décrocher d'essence directement. Mes fils auraient pu s'en procurer car les soldats en liquidaient beaucoup pour leur propre compte, mais étant Sénateur Belge,  je ne voulais pas m'exposer à  me trouver en mauvais cas, ce qui aurait pu rejaillir sur toutes les colonies Belges qui séjournaient en France. (2)

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(2) Après ce que j'ai dit à regret plus haut, je tiens à dire ma fierté d'avoir pour Grand Père une parlementaire qui refusa sa pension politique en affirmant que son mandat de sénateur n'était pas un métier. Certain hommes "politiques"  qui ont quitté récemment  leurs fonctions en exigeant ou même en acceptant des prébendes inacceptables surtout en période de crise devraient avoir honte de leur manière d'agir. Mon Grand Père, à son honneur,  avait une toute autre conception du mandat politique.
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On décrocha tant bien que mal quelques litres d'essence par ci, par là au cours de ces vingt-huit jours que nous passâmes à Oradour. Les ordres et contrôles se succédaient à jets continues. On publia un bon jour, que les fonctionnaires, magistrats, etc... devaient rentrer les premiers et pour cela devaient s'adresser aux commissaires royaux Belges à Cahors, compétents pour la région de Limoges. C'était un voyage impossible (quarante-trois kilomètres en tram). Nous y allâmes avec Emile, Mabille et Gilsoul. Le soir, tandis que nous retournions avec Gilsoul à Limoges, Emile et Mab. partaient de la nuit pour Cahors où ils arrivèrent dans la nuit opaque. Ils furent obligés de passer le reste de la nuit dans les fauteuils d'un hôtel où ils furent réfugiés.

Le lendemain, ils furent reçus grossièrement et les derniers par le fameux commissaire royal qui n'était autre que le doctaue S.  Il leur reprocha d'être bien pressés de retourner en Belgique, alors qu'ils avaient été si pressés d'en sortir. Emile et Mab. demandaient un ordre de rejoindre pour eux-mêmes, l'un comme fonctionnaire, l'autre comme médecin et essayaient d'en obtenir de même pour moi comme conseiller municipal. Il leur fut répondu qu'en ce qui me concernait, je n'avais pas à y compter, bien qu'on invoquât mon état de santé et la nécessité de voyager avec un médecin.

 

J'avais beau dire à ce sous-préfet, And. que dans la sous-préfecture de Rochechouard, on nous défendait de nous en aller, il nous affirmait mensongèrement que toutes les routes étaient libres et que nous n'avions besoin d'aucun papier.

Bref on se payait notre tête, et le seul but de ces manœuvres était de mettre des obstacles à notre rentrée en Belgique. J'en cherchai le pourquoi et je crus qu'il fallait le trouver dans l'attitude des Allemands qui laissaient passer les Belges à la ligne de démarcation et retenaient les Français.

Il y eut en effet, pendant des semaines, des milliers de pauvres français qui furent immobilisés sur les routes avec leurs autos dans des conditions les plus dures au point de vue ravitaillement et je pense que les français se vengeaient sur nous en nous empêchant de partir, en parquant les Belges avec plaisir ou en leur défendant de partir du lieu de résidence. Je note que dès le commencement de juillet, les Magnel et les Storrer (1) étaient passés à Oradour munis

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Jeanne storrer était la fille de Léon Legrand et donc ma tante.
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d'un laisser-passer leur délivré par les Allemands, et ceux-là, les français n'osaient pas les arrêter grâce à la crainte que leur imposait l'Allemand. Je leur conseillai de se diriger vers Saint-Aignan tout en me demandant s'il ne leur arriverait pas d'incident, et si les français entre Ouradour et Saint-Agnan se montreraient aussi têtus que ceux entre Bordeaux et Oradour.

J'appris que le passage s'était fait sans aucune difficultés, par des lettres que Jeanne réussit à m'écrire de Saint-Aignan et d'Orléan mais ces lettres eurent un certain retard, surtout celle de Saint-Aignan parce que sur celle-ci, Jeanne avait indiqué son adresse inexactement ainsi que son département. Je n'allai pas moins de huit à neuf fois à Limoges et y assistai à plusieurs réunions de parlementaires.

On était une trentaine car les autres s'étaient égaillés un peu partout. J'assistai notamment à une séance où vinrent s'expliquer Messieurs Gillon et Van Cauwelaert qui avaient disparu assez brusquement de la circulation.  Ils avaient fait un long circuit dans le midi de la France, et en Espagne même, et nous arrivaient de Vichy. On y parla de la fameuse déclaration de Limoges, tous reconnaissaient que les Belges avaient été trompés par Monsieur Reynaud quant aux circonstances dans lesquelles s'était faite la capitulation.

 

Dans plusieurs de ces réunions, il fut aussi noté qu'il avait été possible jusque là d'établir un contact entre le gouvernement réfugié à Vichy et les Allemands et le roi lui-même. Aucune réponse ne parvenait, et l'on avait l'impression que c'était un silence voulu. Je n'avais pas été à Limoges à la réunion, et sans  vouloir désapprouver les sentiments de mes collègues parlementaires que je comprenais fort bien, je n'avais pas été sans regretter l'emploi dans la Déclaration de Limoges de certains termes que je trouvais excessifs.

Je sus que le vote avait été enlevé comme toujours à la suite de certains discours enflammés et que si l'on avait dû voter à nouveau une demi heure plus tard, le vote n'eut pas été tout à fait le même. Malgré tout, je trouvais dans cette atmosphère de Limoges que certains de ces parlementaires les hauts, avaient bien soin de ne plus y venir et paraissaient peu corrects.

On avait été trop loin peut-être, mais il y en avaient qui auraient facilement dépassé les mesures, semblait-il en sens contraire. Quant à moi, dès ce moment,  j'avais fixé mon opinion et je ne pensais plus comme en Bretagne. Mieux averti, j'avais corrigé certaines parties de mes jugements mais pour le surplus, je pensais alors au sujet des évènements de Belgique, ce que je ne cessais de penser depuis lors.

Je veux croire que dans ces diverses entrevues entre le Roi et ses ministres, il y eut bonne foi de part et d'autre mais il n'en n'est pas moins certain qu'il y avait eu erreur de l'un des côtés ou de l'autre et à ce sujet, le doute à mon avis n'était point permis.

Beaucoup de parlementaires désiraient rentrer en Belgique. Ils étaient arrêtés comme moi par le défaut d'essence. Alors, à mon  dernier voyage à Limoges, j'appris que l'on avait fait par l'intermédiaire du maire de Limoges une demande à Vichy pour obtenir un bon collectif d'essence.

On m'inscrivit après coup, mais ceci se passait vers le seize juillet et je renonçai à aller voir ce qui en advint, car le dix-huit, quand je me rendis pour le dernière fois à Limoges, la réponse n'était pas encore parvenue. Notre désir était donc de partir au plus tôt. Péniblement nous avions grappille un peu d'essence par ci par là, et un certain monsieur Mo., gantois établi à Lille depuis l'autre guerre, réfugié comme nous à Ouradour, avait pu nous en procurer un peu, et dès le seize juillet nous décidions le départ pour le lendemain dix-sept, ayant, sauf accident,  assez d'essence pour atteindre la ligne de démarcation, voir même aller cinquante kilomètres au-delà.



Malheureusement, je savais que j'allais me heurter, tant que je serais dans la préfecture de Rochechouard, à plusieurs piquets de gendarmerie, mais je voulais tenter ma chance.

Le dix-neuf juillet, tout au matin, j'allai soit-disant à Limoges, mais avec l'intention de bifurquer dès notre arrivée à Saint Julien où se trouvait le premier poste de gendarmerie. Il fallait trouver moyen de trouver du nouveau. J'avais surpris à Limoges que Monsieur Bel. de Purnode, était réfugié dans un petit village dont j'ai oublié le nom et qui se trouvait près de Bellac.

Je dis aux gendarmes de Saint Julien  que j'étais obligé de quitter Ouradour, pour chercher du logement, et que la gendarmerie m'avait autorisé à quitter cette localité, et qu'un compatriote réfugié dans cette localité dont j'ai oublié le nom, m'avait fait savoir qu'il y avait du logement pour moi et ma famille. Le gendarme était fort perplexe et fort sceptique, et me prévint charitablement que si je voulais le ruser, que je me ferais pincer plus loin.

Finalement, il nous laissa passer, et par Cognac-le-Froid, Saint-Salpurnicien, et un autre Oradour (1), nous allâmes vers Bellac après avoir franchi deux autres postes de gendarmerie, et je crus bien échouer quand j'arrivai près du troisième.

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(1) Il s'agit cette fois d'Oradour sur Glane, où eut lieu un carnage à la fin de la guerre. Je ne sais si des réfugiés alsaciens se trouvaient comme dans l'autre Oradour mais ce qui est sûr c'est que les troupes Allemandes qui commirent le massacre étaient partiellement composées de conscrits alsaciens enrôlés par force dans l'armée allemande. Y-aurait-il eu une explication liée à ce fait dans  cette terrible tragédie ?
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Enfin, comme le gendarme ne connaissait probablement pas mieux les lieux que nous, il nous laissa passer et nous atteignîmes Bellac sans incident, mais non sans inquiétude.

Au contraire, on nous indiqua gentiment la route à suivre pour aller vers la ligne de démarcation et nous espérions bien être  au-delà de celle-ci avant le soir, quand à une dizaine de kilomètres au-delà, à Le Dorat, dans un double village, nous fûmes subitement arrêtés et invités sans grande politesse à prendre place dans une file de quelques cent voitures Belges parquées en cet endroit. Nous eûmes beau montrer nos ordres de mission, il fallut s'incliner et nous regrettâmes de ne pas avoir compris les signes que nous avaient fait certains cyclistes avant d'arriver au village en question et qui voulaient nous avertir.

Mieux inspirés, nous aurions pris un chemin de traverses pour éviter Le Dorat, mais nous étions dans la souricière avec d'autres Belges dont beaucoup étaient déjà là depuis mercredi, et nous étions le vendredi au matin.

Le prétexte invoqué, était que la route était encombrée de voitures parquées depuis plusieurs jours le long de la route sans ravilaillement et que c'était dans notre intérêt que l'on nous tenait là-bas.


Le dix-sept juillet, de bon matin, nous étions prêts, tout le monde était dans les voitures, nous n'attendions plus que celle de Claeys, garée dans le dessous du village, il arriva pour nous apprendre que les gendarmes s'opposaient à notre départ, menaçant de parquer les voitures si nous faisions un tour de roue. Nous eûmes beau parlementer, demander qu'on nous laisser courir notre chance, rien n'y fit,  et on avait soin d'ajouter que c'était dans notre intérêt, d'autant plus que la défense de passer étant plus rigoureuse que jamais, nous serions innévitablement parqués à Rochechouard, ou à Saint Julien.

En désespoir de cause, nous déchargeâmes les voitures et annonçâmes à Monsieur le Doyen, que nous étions encore ses hôtes obligés. Dès le lendemain matin,  bien que je fusse excessivement fatigué, je partis pour Limoges près de mes collègues et appris qu'à Limoges la route était libre, que les voitures belges passaient mais qu'on ne savait pas si on ne les parquait pas plus loin ; et à la préfecture, on continuait à m'affirmer que l'on pouvait partir librement.
J'eus beau dire que la gendarmerie me défendait de quitter Oradour, Monsieur And. , un des français dont j'ai gardé le plus mauvais souvenir, me congédia en continuant à me dire que j'étais libre et que je n'avais pas besoin de papiers alors qu'il savait bien qu'il n'en n'était rien. Rentrant à Oradour, et bien décidé à ne pas me laisser faire plus longtemps, j'abordai le commandant de gendarmerie qui me dit que les ordres restaient toujours les mêmes. Je lui fis observer que je ne pouvais plus rester plus longtemps à Oradour où l'on ne pouvait plus continuer à m'héberger plus longtemps, et puisque la route vers Rochechouard était interdite, je lui demandai s'il me défendait aussi d'aller vers Limoges, où je pouvais trouver du logement.

Ce commandant était très convenable. Il me répondit qu'il ne savait plus ce qu'il devait me permettre ou me défendre, et qu'en tout cas, il fermerait les yeux sur mon départ pour Limoges. Un des gendarmes nous indiqua même un chemin par lequel je pourrais atteindre Limoges, sans me heurter à un piquet de gendarmerie. Je le remerciai, bien que je n'eus nullement l'intention ni de suivre ce conseil, ni d'aller à Limoges. J'avais constaté sur la carte, qu'en déviant de neuf kilomètres vers Limoges, je tombais sur des routes parallèles à celles que j'aurais du prendre pour arriver à Bellac et de là à la ligne de démarcation.

 

Comme j'étais convaincu que c'était un nouveau mensonge, je téléphonai au Consul de Belgique, qui, de fait, me mit en rapport avec le sous-Préfet de Bellac, mais sans succès, j'en eus la preuve par la suite.

J'avais retrouvé à  Le Dorat, le sénateur Pet. , qui avait trouvé moyen de se faire héberger chez le maire. Il y avait aussi un député de Bruges, et ensemble nous fîmes démarche sur démarche chez le maire qui n'en pouvait, mais il n'arriva pas à mieux que nous.

Le samedi ( j'oublie de vous dire qu'il pleuvait à peu près sans interruption ), je fus invité à aller chez le Maire, où je trouvai le brave commandant de place de Le Lorat et le capitaine de gendarmerie qui devait venir de Bellac.

Le commandant qui venait d'arriver nous confia qu'il ne savait rien des raisons pour lesquelles nous étions parqués. Il devait savoir que ces raisons n'étaient pas sérieuses et paraissait très ennuyé. Le capitaine de gendarmerie n'arriva pas. Le commandant de place prit une décision courageuse, et décida, au risque d'être blâmé, car il n'avait pas compétence, il prit sur lui de dire aux gendarmes de nous laisser partir.

Il était quatre heures.  Le sénateur Pet. vint alors compliquer la situation en annonçant que la ligne vers Vierzon était libre, qu'il avait été informé par le Préfet de Bellac, et qu'il voulait bien signer une attestation de ce fait. Le capitaine de place ne demanda pas mieux que de se retrancher derrière cet expédient, et je reprochai vivement à Monsieur Pet. d'avoir compliqué la situation en faisant modifier l'ordre de départ pur et simple qu'avait d'abord donné le commandant de place.

Le détour par Vierzon était beaucoup plus long, et se présentait de nouveau la question d'essence.

J'en fis part au commandant de gendarmerie, qui me fit bien entendre que son barrage franchi, il se souciait fort peu de la direction que nous prendrions.

Tout allait pour le mieux, quand survinrent deux incidents malheureux.

Les premières automobiles de la file (camions du pays de Charleroi) avaient envoyé un motocycliste en reconnaissance, et comme celui-ci n'était pas rentré, ils s'opposaient au départ, menaçant de bloquer la colonne ce qui amena un temps d'arrêt.

Juste à ce moment survinrent Monsieur le Ministre Bouchery et le député Feuil. qui arrivaient de Limoges et prétendirent, sans s'occuper de nous, qu'ayant de meilleurs papiers, ils pouvaient passer...

 

 

 

 

 


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