10-03-24- REFLEXIONS SUR LA LAICITE (OSCAR FORTIN)
OSCAR FORTIN :
Le débat sur la laïcité nous conduit, me semble-t-il, dans bien des directions. Plusieurs penseront que la laïcité est antireligieuse et que ses promoteurs en sont les athées qui veulent faire disparaître du panorama culturel et sociétaire toutes les formes de représentations religieuses. D’autres diront que la laïcité est cet espace « neutre » que se réserve l’État pour que tous les citoyens et citoyennes de quelques religions ou tendances qu’ils soient puissent s’y retrouver sans aucun irritant de nature religieuse. Pour d’autres, le débat sur la laïcité est l’occasion toute indiquée pour régler leurs comptes avec une religion qui ne leur aura laissé que de mauvais souvenirs. Dans tous les cas, le mouvement du balancier des idées et des passions risque de nous en faire oublier l’humanité que nous partageons tous.
Dans mon esprit, la laïcité n’est ni une foi, ni un athéisme, ni une religion, mais un espace qui permet à tous les visages d’une société de se reconnaitre dans leur citoyenneté et leurs engagements solidaires au service de la justice, de la vérité, de l’entraide, de la tolérance à l’endroit des plus faibles et démunis de cette même société. En somme, une laïcité qui va au-delà de la « neutralité » en affirmant haut et fort les fondements sur lesquels s’appuie le devenir de la société. C’est ce que j’appellerais « une laïcité humaniste ».
Il appartient à chacun et à chacune de puiser ses ressources spirituelles là où ils et elles le veulent bien, mais encore faut-il que ces multiples sources d’inspiration religieuse ou agnostique en fassent de véritables ferments au service de cette humanité qui se nourrit des valeurs plus haut mentionnées. S’il fallait qu’elles deviennent tout le contraire de ce que la société est en droit d’en attendre, il faudrait alors qu’elles soient jugées sur cette base. Dans une société laïque, les véritables croyants et les véritables athées qui méritent le respect de tous et de toutes sont ceux qui sont, pour l’ensemble de la société, de véritables témoins de la justice, de la vérité, de la solidarité et de la compassion. Ce n’est ni par les signes religieux, ni les beaux discours agnostiques que l’on va transformer le monde, mais par l’engagement généreux au service de l’ « humain ». À ce titre, personne n’y échappe, du plus petit au plus grand, du plus faible au plus puissant, du plus croyant au moins croyant.
Je pense qu’une telle approche ne peut faire autrement que d’obliger les autorités des différentes religions ainsi que les défenseurs de l’athéisme et autres idéologies à se réévaluer à la lumière de leurs engagements dans le monde d’aujourd’hui. à la lumière de ce que leur foi leur enseigne sur ces grands objectifs sociétaires et humanistes. La laïcité n’est-elle pas le point de rencontre de toutes les personnes de bonne volonté qui s’unissent pour dénoncer l’hypocrisie, le mensonge, les injustices, l’intolérance à l’endroit des plus fragiles et démunis de la société ? Ne sont-elles pas celles qui sont à l’avant garde des luttes à mener pour le respect des droits des personnes et des peuples, pour que justice arrive à tous les humains de la terre et que la vérité cesse d’être manipulée et déformée par nos médias. Cette laïcité devient pour l’ensemble de la société un ferment qui unit et engage, mais aussi qui démasque et dénonce.
Étant moi-même de foi chrétienne, je demande aux églises de se repenser non plus en fonction de ce qu’elles sont comme institutions et cultes, mais comme « conscience d’une humanité qui vit les douleurs de l’enfantement en étant avec ceux et celles qui souffrent dans leur chair cette mutation. L’apôtre Jacques avait cette observation d’un non croyant à l’endroit de ceux qui s’en remettaient à la foi pour se justifier de ne rien faire :
« Toi, tu as la foi, et moi, j’ai les œuvres ? Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi. » Jc. 2, 18
La laïcité, comprise ainsi, met au défi les dieux auxquelles se rattachent les diverses croyances de montrer ce qu’ils peuvent faire à travers leurs disciples pour que cette humanité deviennent de plus en plus réalité pour tous les humains de la terre. Nous n’en sommes plus à des guerres de religion, mais à cette guerre dont les seules armes sont le courage, le don de soi au service d’une humanité qui plonge ses racines dans la justice, la vérité, la solidarité et la liberté accessibles aux sept milliard d’êtres humains.
Je vois dans le « Mouvement des indignés » qui se répand comme un feu de poudre à travers le monde l’expression de cette conscience humanitaire qui ne peut tolérer les systèmes économiques, financiers, politiques, religieux qui retiennent les peuples dans la dépendance, l’insécurité et la pauvreté. Le 15 octobre, déclaré jour mondial des indignés, a mobilisé à travers le monde des dizaines de milliers de personnes et ça ne fait que commencer. Le monde doit changer si nous voulons que l’humanité retrouve son visage humain.
Je souhaite que les religions redécouvrent la foi qui ouvre au service de l’humanité et que les athées et non croyants de tout acabit découvrent, pour leur part, le véritable humanisme au service duquel nous sommes tous conviés.
Oscar Fortin
Québec, le 15 octobre 2011