02-08-23- LE RACISME ORDINAIRE AU COEUR DE NOS CITES
Manu Scordia
16 h
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Par contre si tu veux t'appeler Nasredine ou Abdeslam, va falloir casquer mon pote.
C'est ça le privilège non blanc : payer moins cher pour avoir un nom de blanc.
Taxe sur le changement de prénom à Bruxelles : quand Mohamed bénéficiera d’une réduction s’il veut s’appeler Jean-Pierre
hier à 07:00
Par Karim Fadoul
La taxe communale est fixée à 500 euros. Ce montant peut être réduit à 50 euros si le prénom que l’on veut modifier est de consonance étrangère. À Etterbeek, comme ailleurs en Belgique, le changement de prénom est depuis 2018 une compétence communale et il a un coût.
Mais, dans cette commune, le candidat ou la candidate peut bénéficier d’une réduction conséquente sous certaines conditions. Lesquelles ? Avoir un prénom présentant "un caractère ridicule ou odieux"; qui est "de nature à prêter à confusion"; si la personne n’a pas de prénom sur son acte de naissance ; si la demande fait suite à un changement de genre ou encore… si le prénom d’origine est de consonance étrangère.
Etterbeek, Evere, Forest…
Comprenez, en toute logique : une personne se prénommant Mohamed et désirant opter Jean-Pierre ne paiera pas 500 euros de taxe communale mais 50 euros. Un critère discriminatoire selon Ahmed Mouhssin (Ecolo), député régional, qui a pointé ce règlement repris aussi par les communes bruxelloises d’Evere ou encore Forest alors que ce n’est pas le cas à la ville de Bruxelles ou à Koekelberg par exemple.
"Le fait que des communes continuent à fixer des critères, celui des prénoms à consonance étrangère, est interpellant", indique le mandataire. "Lorsqu’on contacte une de ces administrations communales et qu’on demande à avoir une liste de prénoms à consonance étrangère permettant d’obtenir la fameuse réduction, on nous répond qu’elle n’existe pas. Cela veut dire quoi ? Si je m’appelle Mohamed, prénom à consonance étrangère et que je souhaite m’appeler Pascal, on me répond que je peux bénéficier d’une réduction."
Qu’en est-il des prénoms Kevin ou Bryan ?
Question : qui détermine l’origine étrangère du prénom de base ? "C’est l’administration de l’État-civil", avance le député, "puisqu’il n’existe aucune liste officielle de prénoms, sur base du dossier que le ou la candidate envoie et de ses intentions, qui détermine si le prénom est à consonance étrangère. C’est un peu le fait du prince. C’est une décision sur base de l’expérience du ou des fonctionnaires, de leur sensibilité… Au-delà de ça, c’est quoi un prénom d’origine étrangère ? Le prénom Eric a des origines nordiques mais est aujourd’hui pleinement considéré comme un prénom bruxellois. De même pour le prénom Kevin qui a pourtant des origines celtes et irlandaises. Sans parler de Bryan ou Ryan… Cette approche doit, à mon sens, valoir aussi pour des prénoms comme Mohamed ou Fatima, prénoms d’origine arabe et musulmane."
Le député voit dans ces règlements une volonté d’assimilation "mais également une façon de maintenir une partie de la population dans la catégorie des personnes d’origine étrangère, quel que soit le temps passé en Belgique par la personne ou les générations avant elle. Il faudrait le même tarif partout. Il n’y a aucune raison de garder cette différence."
On l’a dit : le changement de prénom n’est plus une compétence fédérale mais communale. Libre donc aux communes de fixer leurs propres tarifs. Mais le Fédéral a veillé, au travers d’une circulaire, à ce que, entre autres, la redevance due par les personnes transgenres ne peut excéder plus de 10% du tarif ordinaire et la gratuité pour les personnes de nationalité étrangère qui ont formulé une demande d’acquisition de la nationalité belge et qui n’ont pas de prénom. Mais voilà, certaines communes appliquent également une réduction tarifaire pour modifier son prénom s’il est à consonance étrangère.
Cette règle doit être supprimée
"Cette règle n’est pas claire et elle crée des aberrations", ajoute Ahmed Mouhssin. "Cela prouve que cette règle doit donc être supprimée."
Interpellé à ce sujet en commission du Parlement bruxellois, le ministre en charge des Pouvoirs locaux, Bernard Clerfayt (DéFI) ne voit pas de raison d’intervenir auprès des communes concernées. "L’exercice de la tutelle porte sur la légalité de ces règlements principalement au regard des principes constitutionnels d’égalité de traitement et de non-discrimination fiscale entre les redevables", indique le ministre. "Les communes qui ont décidé de percevoir une redevance en cas de changement de prénom(s) ont toutes respecté ces principes, en veillant à ce que le montant de cette redevance ne soit pas plus élevé pour les dossiers relatifs aux prénoms à consonance étrangère. Pour ce motif, aucune mesure de tutelle n’a été jugée nécessaire à l’encontre de ces règlements."
Cette question n’est pas une urgence pour le ministre soucieux avant tout de "l’équilibre financier des communes", du "contrôle des marchés publics" et du "respect général des règles de bonne gouvernance".
A Etterbeek, on assume le règlement prévoyant une baisse de tarif en vue de la modification d’un prénom si celui-ci a une consonance étrangère. Pour l’échevin Patrick Lenaers (MR), Etterbeek n’a fait que retranscrire, en 2018, la loi fédérale de mai 1987 sur les changements de prénom et de nom. "Nous avons retranscrit de manière claire et précise cette loi et les tarifs (convertis en euros) qui prévoyaient déjà une réduction pour certains motifs de modification de nom ou de prénom dont les prénoms dits à consonance étrangère", indique l’échevin.
Il n’existe aucun répertoire des prénoms
"Ce critère existe toujours en 2023", confirme l’échevin. "Des arguments peuvent le justifier. Prenez mon prénom, Patrick, d’origine irlandaise. Si un Patrick souhaite modifier son prénom, suite à son évolution et son parcours individuel, et vivre pleinement sa démarche avec l’identité qu’il s’est construite, il a le droit de la faire. Vous pourriez aussi avoir des personnes qui ont fui la Russie suite à l’invasion ukrainienne et souhaitent changer de prénom parce qu’elles estiment que celui-ci leur porte préjudice, dans leur parcours d’intégration."
L’accord quant à la réduction tarifaire se fera après analyse du dossier du demandeur ou de la demandeuse. "Il n’existe aucun répertoire des prénoms", confirme aussi l’échevin. "Qui serait-on pour posséder un dictionnaire des prénoms ? Depuis l’Antiquité, les prénoms n’ont fait qu’évoluer. C’est la personne qui doit argumenter quant au fond de sa démarche. Nous suivons cette demande si les arguments sont fondés, pas quand il s’agit d’un cas d’esthétisme, d’une démarche de forme et non de fond, comme une personne qui souhaiterait par exemple simplement rajouter ou supprimer un accent à son prénom."
En Région bruxelloise, certaines communes, comme Saint-Josse-ten-Noode, ont supprimé les conditions d’octroi d’une réduction et propose la gratuité pour toute demande de changement de prénom.
La durée de la procédure est de trois mois, période laissée au candidat ou à la candidate pour évaluer les conséquences de sa demande. Car le changement de prénom aura toute une série de répercussions auprès de l’administration fiscale, des organismes financiers auxquels la personne est éventuellement liée, auprès de son employeur…
Rappelons que 2022 a été une année record en matière de changement de prénom, procédure facilitée depuis 2018 donc. En tout, 5104 Belges se sont rendus dans leur maison communale pour modifier leur prénom.