13-04-23- LE FOND "MARIANNE" DE SCCHIAPPA A FINANCE DES CONTENUS POLITIQUES EN PERIODE ELECTORALE (ANTTON ROUGE ET ELLEN SALVI - MEDIAPART)
Marlène Schiappa lors du lancement de l’événement « Toutes Marianne » à Paris, le 8 mars 2022. © Photo Thierry Stefanopoulos / REA
France Enquête
L’association de Mohamed Sifaoui n’est pas la seule à avoir été grassement rémunérée par le fonds Marianne. Une autre structure a touché plus de 300 000 euros alors qu’elle venait d’être créée et n’avait aucune activité connue. Sous couvert de lutte contre le séparatisme, elle a diffusé des contenus politiques à l’encontre d’opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives.
Antton Rouget et Ellen Salvi
12 avril 2023 à 18h07
Son interview retentissante dans Playboy n’aura pas suffi à éteindre la polémique. Depuis deux semaines, Marlène Schiappa n’arrive pas à s’extirper d’une affaire de financements publics, du temps où elle était ministre déléguée chargée de la citoyenneté. En cause : la gestion du fonds Marianne, lancé quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020.
Cette opération, sur laquelle l’actuelle secrétaire d’État chargée de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative avait largement communiqué, écumant les plateaux de télévision, a servi à rétribuer, à hauteur de 2,02 millions d’euros (sur les 2,5 prévus) 17 associations pour des actions de sensibilisation des jeunes aux « idéologies séparatistes ».
Mais les conditions d’attribution de ces subventions publiques ainsi que le suivi des projets sont mis en cause depuis les révélations conjointes de France 2 et de l’hebdomadaire Marianne sur le fonctionnement d’un récipiendaire, l’USEPPM, dont l’un des dirigeants, Mohamed Sifaoui, un journaliste aux travaux controversés se présentant comme un « expert » en radicalisation, a reçu des salaires substantiels pour des missions aux contours encore flous.
Jusqu’à ce jour, seule l’ancienne équipe dirigeante de l’USEPPM, association reconnue d’utilité publique créée en 1885, était pointée du doigt pour des malversations présumées, laissant entendre que l’affaire reposerait davantage sur des possibles dérives individuelles qu’un dysfonctionnement plus général.
Après les premières révélations, la secrétaire d’État Sonia Backès a toutefois diligenté une enquête de l’Inspection générale de l’administration (IGA) pour faire la lumière sur la gestion du fonds lancé par sa prédécesseure. « Suite à des contrôles sur l’utilisation [des subventions versées], seize des dix-sept associations lauréates justifient de leur bonne utilisation », a répondu Marlène Schiappa, vendredi 7 avril, dans un communiqué à en-tête de son nouveau ministère.
De son côté, le patron du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), Christian Gravel, qui avait piloté l’opération, a annoncé avoir effectué un signalement au parquet de Paris pour dénoncer la gestion de l’argent par l’USEPPM. Une partie de la famille de Samuel Paty s’est dite « particulièrement heurtée par les récentes révélations concernant l’utilisation douteuse des subventions dédiées au fonds Marianne », estimant que le nom du professeur assassiné « ne peut en aucun cas et en aucune manière être l’instrument de tels agissements ».
Dans un communiqué de presse diffusé mercredi 12 avril, Mohamed Sifaoui s’est défendu de toute irrégularité, indiquant avoir « touché un salaire en contrepartie d’un travail bel et bien effectué ». « Entre juin 2021 et janvier 2023, aucune remarque n’a été formulée par aucune institution publique ni sur le fond ni sur la forme du travail accompli par l’USEPPM, ni par les équipes de Marlène Schiappa, ni par celles de Sonia Backès, ni par les membres du CIPDR », a également tenu à souligner le journaliste.
330 000 euros pour une association tout juste créée
L’USEPPM (Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire) a bénéficié de la plus grosse dotation du fonds Marianne (355 000 euros). Mais au-delà de cette seule structure, d’autres subventions interrogent. L’opération a en effet permis de financer grassement une autre association, « Reconstruire le commun », à hauteur de 330 000 euros, ce qui en fait la deuxième bénéficiaire.
Or, selon des informations de Mediapart, cette association venait tout juste d’être créée et n’avait aucune activité connue lorsqu’elle a postulé à l’appel à projets. En revanche, les personnes engagées dans « Reconstruire le commun » partageaient déjà, comme Mohamed Sifaoui, les mêmes visées politiques que Marlène Schiappa et Christian Gravel, notamment autour de la laïcité.
Nommé à la tête du CIPDR par Marlène Schiappa en octobre 2020, Christian Gravel était jusqu’alors connu pour être un très proche de Manuel Valls, dont il fut directeur de cabinet à la mairie d’Évry (Essonne) et qui le nomma préfet en 2015. Lorsqu’elle était à Beauvau, la ministre déléguée a elle-même promu ou travaillé avec plusieurs autres proches de l’ancien premier ministre, autoproclamés « militants laïques »