EN UKRAINE, 02-12-22-OUI A LA PAIX ET A LA JUSTICE RECIPROQUE
"quand le Premier ministre polonais Morawiecki lance au président Macron qu’« on ne négocie pas avec Hitler », il oublie qu’Hitler, on est allé le chercher jusque dans les ruines de Berlin ! Alors, si on veut aller jusqu’au Kremlin, je laisse l’armée polonaise le faire…" Interview de Gérard Araud, ex-ambassadeur de France à l'ONU et aux USA par W. Bourton dans LeSoir :
"('...) W. Bourton : - Le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a déclaré que la guerre en Ukraine « se réglera sur le terrain », qu’il n’y avait pas de voie diplomatique, que Vladimir Poutine n’était pas un interlocuteur… Qu’en pense le diplomate que vous êtes ?
- G. Araud : Je suis d’accord avec la première phrase. Le problème n’est pas de savoir, hélas !, que l’Ukraine a raison, le problème est de gagner la guerre. Donc, ça se réglera sur le terrain.
Sur le fait qu’il n’y a pas de voie diplomatique, je suis à moitié d’accord. Il n’y a pas de voie diplomatique aujourd’hui, c’est évident : les Ukrainiens pensent l’emporter et les Russes veulent rétablir leur situation. Nous avons plusieurs mois de guerre, de dévastations, d’horreurs devant nous. Mais ensuite, est-ce qu’il y aura un moment, au printemps, à l’été ou plus tard, où les deux adversaires voudront négocier – soit parce qu’il y a un vainqueur et un vaincu, soit parce qu’ils sont épuisés…
Par contre, je ne suis pas du tout d’accord avec la troisième phrase. Je ne vois pas avec qui on négocie si ce n’est pas avec Poutine. Parce que quand le Premier ministre polonais Morawiecki lance au président Macron qu’« on ne négocie pas avec Hitler », il oublie qu’Hitler, on est allé le chercher jusque dans les ruines de Berlin ! Alors, si on veut aller jusqu’au Kremlin, je laisse l’armée polonaise le faire…
- W.B. : L’historien britannique Antony Beevor nous expliquait récemment que les Européens de l’Ouest avaient commis la même erreur vis-à-vis de Poutine que vis-à-vis d’Hitler à la fin des années 30 : en prenant un point de vue trop démocratique, ils n’ont pas mesuré que le dictateur est capable de faire des choses tout à fait illogiques, même du point de vue de ses propres intérêts. Qu’en pensez-vous ?
- G. A. : D’abord, j’ai décidé une fois pour toutes de refuser tout parallèle avec Hitler. C’est trop facile : directement, vous parlez du diable ; dès qu’on évoque des négociations, les gens disent : « Munich », etc. Ce que je pense, comme je l’ai dit, c’est que les Européens ont oublié la logique des rapports de force. Du coup, on n’a pas pris au sérieux les menaces de Poutine. Nous n’avons jamais cru qu’une guerre pouvait être possible sur le territoire européen. On considérait que notre continent avait surmonté cette phase d’Histoire archaïque. On a bien mené des opérations coloniales, mais on a pensé que la guerre n’était plus possible. On y a cru parce que nous avons vécu la période de paix la plus longue depuis la chute de l’Empire romain : depuis le V e siècle après Jésus-Christ. Nous étions sortis de l’Histoire ; nous voyions l’Histoire comme un drame bourgeois et nous redécouvrons que c’est une tragédie.
Quant à savoir si c’est le propre du dictateur de se lancer dans ce genre d’aventure… Ce que les Etats-Unis ont lancé au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, ou ce que la France a fait au Sahel, ce n’est pas mal non plus… Lorsqu’on les accuse d’avoir des ambitions impériales, les Chinois dressent la longue liste des interventions militaires occidentales depuis 1945. A côté, ils ont beaucoup moins fait la guerre que nous."