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Publié par JACQUES ALLARD

« La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique »

Date de la note : 19 novembre 2021
Guillaume PITRON, « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique », Editions Les Liens qui Libèrent, octobre 2019

Guillaume PITRON, journaliste et réalisateur français spécialiste des matières premières, dans son ouvrage La guerre des métaux rares, met à nu l’industrie de ces ressources. Son écrit s’intéressant aux métaux rares, matières premières fondamentales à la transition énergétique et numérique, met en lumière les enjeux majeurs autour de ces métaux et en relève les paradoxes. Là est tout l’intérêt de cet ouvrage qui offre une vision nuancée de la transition énergétique et numérique tant idéalisée.

A l’heure de la transition énergétique et numérique, le monde de demain se veut plus vert. Il est également synonyme de développement numérique (qui permettrait d’atteindre la sobriété énergétique). Mais, cette marche vers le progrès requiert l’exploitation des métaux rares, une exploitation qui s’avère être problématique.

Comme le note Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin et ancien secrétaire général de la présidence de la République sous François Mitterrand, c’est un « cri d’alarme » qui est lancé par l’auteur en s’efforçant d’exposer un dilemme entre développement économique, souveraineté et environnement.

Nos besoins en métaux rares se diversifient et augmentent chaque jour, rendant ces matières premières indispensables aux industries spatiales et de défense, aux énergies vertes et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication grâce à leurs propriétés semi-conductrices qui permettent de modeler les flux d’électricité transitant dans les appareils numériques.

La multiplication de l’exploitation des métaux rares, passant d’une dizaine au XXème siècle à la quasi-totalité des 86 métaux aujourd’hui, et l’explosion de leur consommation est une catastrophe écologique.

De plus, la Chine détient le quasi-monopole de ces dernières avec 95 % de la production mondiale des terres rares. Par guerre des métaux rares, l’auteur entend le « conflit économique dans lequel Pékin met à profit son leadership dans la production de minerais tels que le graphite, le gallium, l’indium, le tungstène, l’antimoine et les terres rares, pour en limiter les exportations, produire ses propres technologies truffées de ces matières premières stratégiques et contester à l’Occident sa supériorité technologique ».

Comment les Etats occidentaux, alors qu’ils détenaient le leadership des terres rares, ont-ils pu céder ce pouvoir à la Chine ? Comment le pays le plus polluant au monde est-il devenu le leader des énergies vertes ?

Pékin tira très vite profit de cette position dominante en actionnant à partir de septembre 2010 une série d’embargos informels sur les terres rares qui inspira ses voisins comme l’Indonésie. Nuançons tout de même le propos puisque la pratique de l’embargo n’est pas nouvelle et sert autant des fins économiques que politiques (embargo américain sur le pétrole iranien).

La domination minière n’était que la première étape dans l’avancée technologique de la Chine qui s’intéressa rapidement aux industries des hautes technologies, notamment aux aimants de terres rares, essentiels au fonctionnement de produits équipés d’un moteur électrique. De cette façon, Pékin monopolise les matières premières et leur mise en application.

Pour ce faire, la Chine met en place des quotas d’exportations de ses métaux rares, ce qui augmente les prix vers l’extérieur et favorise les industries locales qui bénéficient de moindres coûts de production en avantageant les entreprises chinoises. L’Empire du milieu devient le premier producteur d’énergies vertes, d’équipements photovoltaïques, premier investisseur dans l’éolien, première puissance hydroélectrique…

Si les chocs pétroliers de 1973 et 1979, ont été une première étape de prise de conscience de la dépendance énergétique, la production quasi-monopolistique des métaux rares et hautes technologiques par la Chine prouve que nous n’avons pas appris de nos erreurs.

L’auteur nuance tout de même cette idée de surpuissance en soulignant le faible nombre de chercheurs chinois ainsi que la nature autoritaire du régime susceptible de freiner l’innovation.

Au-delà du secteur des métaux rares, il existe d’autres monopoles dans l’industrie des hautes technologies comme celui des GAFAM américaines. Qu’il s’agisse des métaux rares ou des GAFAM, les pratiques antitrust cèdent la place à une concurrence déloyale pour rivaliser avec les puissances étrangères.

Cependant, cette domination reste réelle et s’avère être problématique dans le domaine militaire. La vente de Magnequench, grand fabricant d’aimants de terres rares et fournisseur du Pentagone, à la Chine fut fortement redoutée par le ministère de la Défense américaine. Mais, une fois la vente ayant eu lieu, les technologies militaires américaines sont livrées à leur plus grand adversaire. Cette affaire oblige systématiquement les Etats-Unis à se demander si un « cheval de Troie » ne se cache pas dans les aimants qu’ils utilisent pour le fonctionnement de leurs armes les plus développées.

L’évènement est certes extrêmement préoccupant, mais l’espionnage militaire est une réalité qu’il convient de garder à l’esprit (soupçons d’espionnage d’un militaire français pour Moscou). L’auteur néglige également de mentionner le grand jeu d’échec des Etats-Unis et de la Chine, avec d’habituelles mesures de distorsion, où les métaux rares ne seraient qu’un des nombreux pions.

Au-delà de ces inconvénients au regard des dépendances économiques et militaires, l’exploitation des métaux rares pour la production d’énergie verte est tout sauf responsable.

Comme le démontre l’auteur, l’opération de raffinage nécessaire à l’extraction des métaux rares est un processus long qui requiert une quantité importante de réactifs chimiques et d’eau.

A titre d’exemple, la fabrication d’une voiture électrique, supposée être moins énergivore et plus propre, nécessite plus d’énergie que l’usage d’une voiture classique. La production des panneaux photovoltaïques est tout aussi problématique puisqu’avec l’augmentation de leur production, on présage 2.7 milliards de tonnes de carbone rejetés dans l’atmosphère, soit l’équivalent de la pollution générée par 600 000 voitures pendant un an.

C’est ce que Guillaume PITRON qualifie de « paradoxe des énergies vertes ». Leur utilisation est certes plus responsable mais leur production est bien plus polluante. « Les énergies dites propres nécessitent le recours à des minerais dont l’exploitation est tout sauf propre ».

Cette pollution générée par l’extraction et le raffinage des métaux rares est l’une des principales raisons de la délocalisation vers la Chine. Avec le transfert de leurs technologies vers Pékin, c’est avant tout leur pollution que les Etats occidentaux ont délocalisée. En dissimulant la production des métaux rares, les technologies vertes blanchissent leur réputation, il s’agit là de « la plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire ».

Un autre paradoxe soulevé par l’auteur est celui des énergies renouvelables qui se basent sur des matières qui ne le sont pas. Les métaux rares, au rythme de la production actuelle, seront épuisés en moins de 50 ans et, selon lui, aucun Sommet ou Conférence sur le climat n’auront de sens si les métaux rares, bases de toutes les technologies de demain, s’éteignent. Cette critique formulée par l’auteur est à nuancer puisque les grandes réunions diplomatiques gardent leur importance dans la mesure où une réponse collective est nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique.

D’ores et déjà, la course aux métaux rares en mer et dans l’espace a commencé mais elle ne résout pas de problème de fond.

Par ailleurs, de plus en plus d’énergie est requise pour l’extraction des métaux rares. Au Chili par exemple, on observe une augmentation de la production de cuivre de 10% pour une augmentation d’énergie nécessaire à cette extraction de 50%.

Les limites de notre système de développement sont alors claires : ressources épuisables, rapport entre énergie dépensée et production non-profitable, bilan écologique catastrophique, dépendance économique et militaire.

La solution proposée par l’auteur pour répondre au dilemme actuel est de réouvrir les mines occidentales en suivant la logique du Président de la République française, Emmanuel MACRON de développer des « mines responsables ». Ce qui résoudrait notre problème de dépendance vis-à-vis de la Chine.

Cette idée est loin d’enchanter les environnementalistes, mais le réchauffement climatique requiert une réponse minière d’après l’auteur. On remplace ainsi notre dépendance au pétrole par une autre, celle aux métaux rares. Guillaume PITRON plaide en faveur de cette option, qui, selon lui, permettrait un éveil des consciences concernant les véritables coûts écologiques de notre monde plus vert et une meilleure extraction des métaux rares. « La mine responsable chez nous vaudra mieux qu’une mine irresponsable ailleurs ».

En somme, à travers son ouvrage, Guillaume PITRON met en lumière l’industrie cachée des métaux rares. Entre dépendances et impact écologique, l’auteur critique notre mode de développement dans sa globalité avec pour centre, la course vers le progrès effréné.

En mentionnant un changement de système de développement, l’auteur n’évoque pas l’idée controversée de la décroissance souvent proposée par les environnementalistes. Environnementalistes longuement critiqués pour leurs incohérences dans son ouvrage mais dont les solutions qu’ils s’efforcent de proposer ne sont pas mentionnées.

Alors que l’ouvrage est paru il y a deux ans, le déni qui règne sur les métaux rares, autant sur ses problématiques écologiques que de dépendances, est toujours persistant.

Cependant, aucune réelle solution soutenable dans le temps long n’est proposée. A moyen terme, la réouverture des mines européennes permettrait de contrôler les effets environnementaux de l’extraction et de se libérer de la dépendance chinoise, mais l’épuisement des métaux rares pose toujours problème.

La conclusion de l’auteur, « Nous n’avons pas de problème de matière rare ; nous n’avons que des problèmes de matière grise » qui reprend les mots du polytechnicien Christian THOMAS, laisse le soin à d’autres de trouver des solutions durables.

Imene JAAFAR , Chargée de mission à la Fondation Prospective et Innovation

Auteur : Guillaume PITRON
Éditeur : Les Liens Qui Libèrent
Date de publication : 09 octobre 2019

 

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