09-06-21-TEMOIGNAGE D4UN JOURNALISTE ISRAELIEN DE BONNE FOI, CHARLES ERDELIN
Ancien chef du bureau des correspondants de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin a récemment publié De notre correspondant à Jérusalem. Le journalisme comme identité (Seuil, 2021).
Le 15 mai, l’armée israélienne a bombardé l’immeuble abritant les locaux d’Al Jazeera et Associated Press (AP). Plusieurs bureaux de médias locaux ou internationaux avaient aussi été détruits au cours des jours précédents. Comment peut-on expliquer que des médias soient visés en particulier ?
Charles Enderlin : Selon l’armée, le Hamas avait des installations dans ces locaux. Est-ce que cela justifiait la destruction totale de l'immeuble, alors que l'on sait que les techniques militaires permettent de détruire un seul appartement ou quelques pièces grâce à des missiles guidés? Je ne sais pas, mais cela montre un manque d'intérêt pour la presse internationale de la part d'Israël.
Il faut relier cela à la déclaration d'un porte-parole militaire israélien qui avait annoncé une incursion terrestre le 14 mai à Gaza. C'était faux, et la presse israélienne a révélé par la suite qu’il s'agissait d'une opération d'intox [ce que l’armée israélienne dément, NDLR] destinée à pousser les combattants du Hamas vers des tunnels qui seraient ensuite bombardés. Le New York Times en avait fait son titre principal, et a protesté ensuite contre une utilisation de la communication israélienne à des fins militaires auprès des grands médias internationaux.
Ceci dit, AP et Al-Jazeera ont continué à couvrir le terrain. Les autres médias palestiniens, qui étaient dans les immeubles détruits, ont poursuivi leur travail envers et contre tout, tout en montrant l'absence de considération de la part de l'armée israélienne pour leurs lieux de travail.
Au sujet de « l’intox » militaire, comment analyser ce type de communication de l'armée et son impact sur le traitement médiatique du conflit?
Aujourd’hui, on ne peut pas accorder une crédibilité absolue à cette communication. Il faut vérifier et avoir une autre source pour tout communiqué officiel israélien, en particulier militaire. Il y a un département au ministère des Affaires étrangères, et un ministère des Affaires stratégiques et de l’information, qui influent notamment sur les réseaux sociaux. Des départements qui font de la « public diplomacy », de la diplomatie publique, pour défendre l'image du pays. Des bots existent, qui envoient automatiquement des éléments de langage officiels. La bataille pour l'image des uns et des autres se fait sur les réseaux sociaux. C'est la raison pour laquelle il faut regarder cela avec la plus grande prudence.
Les publics, notamment les communautés musulmanes et juives dans les pays occidentaux, ont le droit d’avoir accès à une information professionnelle, équilibrée, allant au-delà de ce que les réseaux sociaux, les chaînes et certains médias partisans envoient.
Jusqu’à la reprise du conflit en mai, on n’entendait plus tellement parler du conflit israélo-palestinien dans les médias, notamment en France. Vous écrivez dans votre livre qu’il « n’intéressait plus personne ». Pourquoi ?
D'abord, ce sont des décisions des directeurs de rédactions, qui reposent sur l'impression que le conflit israélo-palestinien a perdu de son importance. Ce qui les intéresse en Israël, c'est l'aspect haute technologie. On a eu au début de l'année une véritable fête médiatique autour de la vaccination de masse, Israël étant présenté comme l'un des rares États ayant réussi à se débarrasser du virus.
Le reste n'est plus important et la preuve en a été les accords de normalisation conclus avec deux États du golfe Persique, le Maroc et le Soudan. Si les États arabes peuvent conclure ces accords, et bien, il n'y a aucune raison pour que l'on parle d’un conflit dont tout le monde se moque. C'est à mon avis un des grands succès de la politique de Benjamin Netanyahou : faire oublier qu'il y a toujours un problème avec les Palestiniens, que 60 % de la Cisjordanie est totalement sous contrôle israélien, où se poursuit la colonisation depuis des décennies. Très peu de médias français, américains ou allemands ont fait des reportages sur ces développements au cours des dernières années.
D'autres facteurs ont-ils pu jouer ?
Oui, il y a aussi les pressions sur les rédactions. Dès qu'un reportage ou la couverture d'un événement risque de porter atteinte à l'image d'Israël auprès du public français, des organisations pro-israéliennes et de grandes institutions juives françaises interviennent auprès des rédactions pour que ce ne soit pas le cas. Par exemple, avant même la diffusion d’un reportage d'Envoyé spécial sur France 2 en 2018, sur les « estropiés de Gaza », l'ambassade d'Israël est intervenue auprès de la présidence de France Télévisions pour que ce ne soit pas retransmis. L’ambassade, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) ou le Consistoire central israélite argumentaient que cela produirait de l'antisémitisme, alors que personne n'avait encore vu le reportage.
Finalement, il a été diffusé. C'était à propos de jeunes Palestiniens qui avaient perdu une jambe ou un bras après des tirs de snipers israéliens lors de la « Marche du retour » à Gaza. Il y avait des images effectivement très fortes, mais c'était tout à fait équilibré, avec les réactions du porte-parole de l'armée israélienne.
Vu le scandale et les pressions qui ont eu lieu, je vous garantis que pendant les années suivantes, tout le monde hésitait dans les rédactions à faire un nouveau reportage de ce genre à Gaza. Sans compter les milliers d’e-mails, de critiques, d’insultes ou de menaces pour les journalistes. Il existe une crainte de se retrouver face à des réactions extrêmes, de la part des deux camps. Pourquoi se casser la tête, si ce n'est pas indispensable ? Autant ne pas faire des sujets qui vous attirent des problèmes.
https://larevuedesmedias.ina.fr/charles-enderlin-medias-israel-palestine-correspondant-jerusalem-jo
Vous pouvez lire l'article intégral à l'adresse si-cessus !