19-01-21-UNE HONTE POUR LA BELGIQUE - LA VIE EN SUSPEND DES PARENTS DE MAWDA
Manu Scordia
Alors que le procès s’achève, Shamden et Phrst, les parents de Mawda Shawri, reviennent sur les trois jours d’auditions dédiés aux événements tragiques qui ont conduit à la mort de leur fille de 2 ans.
La dernière journée du procès qui doit déterminer les responsabilités dans la mort de Mawda vient de s’achever. Comment avez-vous vécu ces audiences ?
Shamden : Après deux ans et demi d’aller-retour de correspondances, de démarches, d’auditions, c’était un bon jour nous. L’occasion d’enfin en finir et attendre que la juge prenne une décision. Ce qui était dur, c’est qu’on a constamment répété ce qui s’est passé cette nuit affreuse de la mort de ma fille. Cela m’empêche encore de dormir avec les souvenirs de cette nuit qui me hantent. Alors c’est difficile de devoir répéter, encore et encore.
Le policier, auteur du tir, s’est adressé à vous au cours des audiences, via une lettre de sa femme puis un texte qu’il a écrit. Qu’en avez-vous pensé ?
Shamden : En 2,5 ans, il ne nous a jamais contactés, il n’est jamais venu nous voir pour nous dire qu’il était désolé. Pourtant, il aurait pu, on vit dans le même pays, je l’attendais. Je ne suis pas un terroriste, pas un criminel, il n’y avait aucun risque à venir nous parler, partager un repas. Alors oui, j’attendais des excuses. Mais des excuses sincères.
Vous ne pensez pas qu’il était sincère ?
Shamden : J’ai dit plusieurs fois à des journalistes qu’il pouvait venir chez moi. Il aurait même pu envoyer une lettre s’il ne voulait pas nous voir. Mais il attend deux ans et demi pour faire sa démonstration. Ce n’était pas des excuses sincères, c’était des excuses devant la cour. Pourtant beaucoup de policiers se sont excusés, ont offert leur aide. Mais pas celui qui a tiré.
Prhst, vous avez quitté la salle précipitamment à la fin de l’intervention du policier.
Prhst : Je pleurais, ils m’ont demandé de sortir la salle
Shamden : Comprenez que pendant plusieurs jours, on n’arrête pas de répéter ce qui s’est passé. Et vous voyez la personne qui a tué une partie de vous – une partie de votre âme – là, en face de vous. C’est difficile de contenir ce qu’on ressent.
Qu’attendez-vous du jugement ?
Shamden : On attend de voir. Mais on n’est pas satisfait de ce qui a été requis. Le chauffeur risque 10 ans de prison, le passeur 7 ans mais celui qui a commis l’acte, celui qui a tiré n’a qu’un an avec sursis. Même s’il n’était effectivement pas au courant qu’il y avait des gens dans la camionnette, il devait bien avoir conscience qu’il était susceptible de blesser quelqu’un en tirant : le chauffeur ou quelqu’un d’un autre véhicule.
Comment cela s’est-il passé cette nuit-là après la course-poursuite ?
Shamden : Cela ne s’est pas bien passé. La façon dont ils ont géré ça… C’était inhumain. Quelle perception peut amener à empêcher des parents de monter dans l’ambulance avec leur fille ? Cela a pris deux jours qu’on nous dise que notre fille était décédée. On était en cellules, séparés, on ne nous avait pas tenus au courant. Même un terroriste n’aurait pas été traité comme cela.
Prhst : J’avais mon enfant avec moi. Leurs gestes, leur façon d’être était impolie et méchante. Ils ne voulaient même pas ouvrir la porte pour qu’on soit un peu mieux installés.
Shamden : Lorsqu’ils ont pris nos empreintes, par exemple, ils attrapaient le poignet, c’était très brutal, très irrespectueux. Je comprends que c’était la première fois qu’ils me rencontraient. Mais le fait qu’ils venaient de tuer ma fille aurait peut-être pu les inciter à se montrer compréhensifs.
Pardon ?
Shamden : Oui. C’est inimaginable, hein ? Je suis fumeur, j’ai demandé si je pouvais avoir une cigarette pour avoir une espèce de soulagement et ils étaient… impolis. Vous pouvez interroger les autres qui étaient là, ils raconteront probablement la même chose. Ils nous traitaient comme si on avait tué un enfant et qu’on devait être punis pour cela. Mon fils en est encore traumatisé. Encore aujourd’hui, il a peur de la police.
Pendant ces deux jours, vous avez gardé les vêtements que vous portiez ce soir-là ?
Shamden : On n’a pas pu se changer. Prhst avait Mawda dans ses bras, on avait du sang partout sur nos vêtements, Prhst en avait aussi sur le visage mais personne n’a proposé qu’elle se nettoie. J’ai gardé les chaussures, les vêtements, la tétine. Un jour je les donnerai à quelqu’un qui montrera ce qui s’est passé cette nuit-là.
Cette colère vous ne l’exprimiez pas, il y a encore un an. Pas de cette manière.
Shamden : Si vous saviez ce que j’ai traversé, je ne suis pas sûr que d’autres auraient survécu.
Vous avez attendu 2,5 ans que ce procès ait lieu. Comment envisagez-vous l’après ?
Shamden : Je serai soulagé qu’une décision soit prise. Les criminels auront leur sentence. Mais je continuerai à revivre cette nuit, jour après jour. C’est difficile d’oublier.
Mawda est devenue une sorte d’icône. Elle représente quelque chose pour beaucoup de gens, même au-delà de la Belgique.
Shamden : Je veux remercier les gens qui nous ont aidés. On est très reconnaissant de tout l’espoir qu’on nous a donné. Sans eux, ce dossier aurait disparu, l’affaire aurait sans doute été étouffée il y a deux ans.
Comment cela ?
Shamden : On nous a dit beaucoup de choses au début : que Mawda était tombée, que sa tête aurait été frappée contre la fenêtre, voire qu’on l’aurait nous-mêmes tuée. J’ai insisté auprès de l’avocat pour qu’une contre-autopsie soit menée.
Prhst : Quand ils sont venus vers 6h du matin, des policiers en civil ont dit que notre fille était morte dans un accident de voiture.
Shamden : On nous a aussi dit deux jours après qu’on devait quitter le pays. J’avais une petite fille morte et on nous disait qu’on devait quitter le pays.
Vous avez reçu un ordre de quitter le territoire ?
Shamden : Pas un document formel. C’est quelque chose qu’on nous a dit.
Pendant des mois vous n’avez pas eu de titre de séjour. Quelle est votre situation désormais ?
Shamden : Après 9 mois, on a reçu un permis humanitaire pour un an, qui a été renouvelé. Il expirera le 25 février, on verra s’ils prolongent notre droit de séjour. Mais on s’est finalement installé, on espère qu’on pourra construire notre futur ici. Malgré tous les problèmes, la période difficile, je n’ai pas arrêté d’apprendre la langue. Je suis une formation pour devenir coiffeur. J’espère qu’on nous donnera la possibilité d’avoir un avenir.