13-03-19-L'ETERNEL FEMININ (THEILLARD DE CHARDIN)
LE FÉMININ, OU L’ UNITIF
Le plus vif du Tangible, c’est la Chair. Et, pour l’Homme, la Chair, c’est la Femme.
Parti, dès l’enfance, à la découverte du Cœur de la
Matière, il était inévitable que je
me trouve, un jour, face à face avec le Féminin. -
Le curieux est seulement qu’en l’occurrence
la rencontre ait attendu, pour se produire, ma trentième année. - Si grande était pour moi la fascination de l’Impersonnel et du Généralisé...
Retard étrange, donc.
Mais retard fécond, puisque, pénétrant mon âme au moment précis où, à la veille de
la guerre, Sens Cosmique et Sens Humain étaient en
train de sortir en moi de l’enfance, la
nouvelle énergie ne risquait plus de détourner ou de dissiper mes forces, mais tombait, juste à
point, sur un monde d’aspirations spirituelles dont
l’énormité, encore un peu froide,
n’attendait plus qu’elle pour fermenter et s’organiser jusqu’au bout.
Donc, à l’histoire de ma vision intérieure, telle que la relatent ces pages, il
manquerait un élément (une atmosphère...) essentiel
si je ne mentionnais pas, en terminant,
que, à partir du moment critique où, rejetant bien
des vieux moules familiaux et religieux, j’ai
commencé à m’éveiller et à me formuler vraiment à moi-même, rien ne s’est développé en
moi que sous un regard et sous une influence de femme. On n’attendra évidemment pas de moi autre chose, ici, que l’hommage général, quasi-adorant, montant du tréfonds de mon être,
vers celles dont la chaleur et le charme ont passé,
goutte à goutte, dans le sang de mes idées
les plus chères...
Mais si je ne saurais, en pareille matière, ni préciser, ni décrire, - en revanche, ce que
je puis affirmer, c’est une double conviction progressivement née en moi, au contact des faits,
et dont - avec cette pleine sérénité et impartialité qui viennent avec l’âge - je veux témoigner.
En premier lieu, il me parait indiscutable ( en droit, aussi bien qu’en fait) que chez
l’homme - même et si voué soit-il au service d’une
Cause ou d’un Dieu - nul accès n’est
possible à la maturité et à la plénitude spirituells en dehors de quelque influence
« sentimentale » qui vienne, chez lui, sensibiliser
l’intelligence, et exciter, au moins
initialement, les puissances d’aimer. Pas plus que
de lumière, d’oxygène ou de vitamines,
l’homme - aucun homme - ne peut (d’une évidence chaque jour plus criante) se passer de Féminin.
En deuxième lieu, si primordiale et structurelle soit, dans le psychisme humain, la
rencontre plénifiante des sexes, rien ne prouve (bien au contraire !) que nous possédions
encore une idée exacte du fonctionnement et des formes optima de cette fondamentale
complémentarité. - Entre un mariage toujours polarisé, socialement, sur la reproduction, et
une perfection religieuse toujours présentée, théologiquement, en termes de séparation, une troisième voie (je ne dis pas moyenne mais supérieure) nous manque décidément : voie par la
transformation révolutionnaire dernièrement opérée
dans notre pensée par la transposition de
la notion d’ « esprit ». Esprit, nous l’avons vu, non plus de dématérialisation, mais de
synthèse. Materia matrix. Non point fuite (par retranchement), mais conquête (par
sublimation) des insondables puissances spirituelles encore dormantes sous l’attraction
mutuelle des sexes : telles sont, j’en suis de plus
en plus persuadé, la secrète essence et la
magnifique tâche à venir de la Chasteté
1
.
1
En insérant lui-même, comme appendice à son autob
iographie, le récit de ses premières expériences my
stiques, le Père Teilhard a voulu
que rejaillît, sur cette œuvre, la lumière à laquel
le il avait alors accédé.
Pour comprendre
Le Féminin
, à l'altitude où habitait le Père Teilhard depuis
1919, il faut saisir dans toute leur force les lign
es ci-après de
La
Puissance spirituelle de la Matière
: « Une rénovation profonde venait de s'opérer en
lui, telle qu'il ne lui était plus possible, mainte
nant,
d'être Homme que
sur un autre plan
... Même pour ceux qu'il aimait le plus, son affectio
n serait une charge, car ils le sentiraient cherche
r
invinciblement
quelque chose derrière eux
. » On peut également rapprocher, de la clausule ic
i publiée,
L' éternel Féminin...
Le Père Teilhard
nous a confirmé, en fin de vie, sa fidélité irréduc
tible au vœu solennel de chasteté prononcé lors de
sa profession religieuse, en 1918. « Cette
fidélité, a-t-il ajouté, n'a pas exigé de luttes do
nt je me souvienne. Je ne peux aimer que le Christ.
» Il s'agit donc bien - et uniquement - dans
ces pages de « la puissance spirituelle » du Fémini
n. (N.D.E.)
https://www.teilhard.fr/sites/default/files/pdf/t1360-117-le.coeur.de.la.matiere.pdf